Mounir Fakhry Abdel Nour : « Les réformes que nous engageons sont pénibles mais nécessaires »
Réduction des subventions, recul de la croissance et du tourisme, lancement de nouveaux projets d’infrastructures, les dossiers sur lesquels doit plancher le gouvernement égyptien sont nombreux et complexes. Mounir Fakhry Abdel Nour, le ministre égyptien du Commerce extérieur et de l’industrie, est revenu sur chacun de ces points épineux dans une interview accordée à « Jeune Afrique ».
De passage à Paris pour attirer les investisseurs en Égypte, Mounir Fakhry Abdel Nour, ministre du Commerce extérieur et de l’Industrie depuis juillet 2013, ancien chef de l’opposition de 2005 à 2011, revient sur la situation économique de son pays, ses grands projets d’infrastructure – dont celui du doublement du canal de Suez-, et sur ses relations avec ses voisins africains.
Près d’un an et demi après votre arrivée au gouvernement, quel bilan faites-vous de l’économie égyptienne ?
Nous avons dû faire face à trois déficits majeurs en même temps : d’abord, un déficit budgétaire énorme qui a atteint 13 % du PIB ; ensuite, un déficit de notre balance extérieure, lié à la chute des investissements étrangers et à la baisse de nos flux touristiques ; et enfin, un déficit de croissance, passée de 7 % au déclenchement de la crise économique en 2008, à 4 % puis autour 2 % actuellement. Nous avons réagi par un programme de réformes. Nous nous sommes d’abord attelés au redressement budgétaire. Nous avons instauré deux nouvelles taxes, une sur la valeur ajoutée (TVA) et une autre sur les valeurs mobilières.
D’autre part, nous cherchons à réduire les subventions inefficaces, en particulier celles qui créent des distorsions sur le marché. Nous avons déjà commencé à réduire les subventions aux carburants et à l’électricité, avec un calendrier qui doit faire faire coïncider le prix de vente au coût de production en cinq ans. Parallèlement, nous augmentons les dépenses à but social de santé et d’éducation, car la cause majeure des problèmes économiques et sociaux rencontrés à partir de juillet 2011, c’est la mauvaise distribution des biens et des revenus en Égypte.
La TVA s’applique à tous, les subventions bénéficient aussi aux petits consommateurs : n’y a-t-il pas un fort risque de mécontentement populaire ?
Comme je vous l’ai dit, ce sont des décisions pénibles à annoncer, mais indispensables. Nous avons eu le courage et l’honnêteté d’engager ces changements, et nous continueront dans cette voie, parce que c’est la seule manière de résoudre les problèmes économiques et sociaux du pays.
Vous organisez un sommet de l’investissement à Charm el-Sheikh, du 13 au 15 mars prochain, quel sera votre message aux investisseurs ?
D’abord nous allons présenter notre programme d’investissement dans les secteurs prioritaires de l’énergie et des infrastructures. Nous avons de grands projets comme le développement de la zone du canal de Suez. Nous voulons aussi réussir le démarrage des zones minières au sud du pays, une région riche en or, phosphates et terres rares. Enfin, appuyés sur nos ressources naturelles, nous voulons relancer notre industrie, notamment avec le développement de la pétrochimie et de la transformation minière, avec l’implantation d’usines de fabrication d’engrais phosphatés notamment.
J’invite vos experts à venir, avec le président Hollande, inaugurer le canal le 4 août 2015 ! Nous tiendrons le calendrier prévu !
Sur le doublement du canal de Suez, la plupart des experts s’accordent à dire que les délais fixés pour les travaux, censés être terminés en août 2015, sont intenables…
J’invite vos experts à venir, avec le président Hollande, inaugurer cette voie d’eau le 4 août 2015 ! Nous tiendrons le calendrier prévu ! Et il faut faire la distinction entre le doublement du canal – qui augmentera la capacité de cette voie navale et réduira le temps de passage de ces bateaux – et le développement d’une grande zone économique à ses abords.
Des études tendent à montrer aussi que la croissance du trafic ne sera pas telle que vos calculs l’annoncent…
L’accroissement du trafic sera graduel, il ne se fera pas en une seule année après l’ouverture, mais plutôt sur une décennie. Mais, en fin de compte, la capacité du canal de Suez augmentera, le temps de passage sera réduit et ce sera un plus à la fois pour le commerce international comme pour l’Égypte. Ce grand projet symbolique a largement mobilisé notre population : nous avons été capables de mobiliser 10 milliards de dollars en huit jours auprès des Égyptiens. Ce seul fait justifie le projet !
En plus du doublement du canal, vous prévoyez donc une grande zone de développement sur ses rives …
L’idée est de profiter de la situation géographique unique de cette zone, à la croisée de trois continents, pour en faire un hub logistique, industriel et commercial, et un centre de services pour le secteur naval. Nous voulons développer plusieurs ports : El Arish, Port Saïd-Est, Port Saïd, Suez et Port Tewfik.
L’expérience du port de Tanger-Med au Maroc, lancé en 2010, vous a-t-elle inspiré ?
Le projet marocain est intéressant : nous sommes dans la même logique. Nous savons depuis très longtemps que le commerce international repose sur quatre ports majeurs : Singapour, New York, Port Saïd et Tanger. C’était vrai hier, ça l’est toujours aujourd’hui ! En ce qui nous concerne, le nord du canal de Suez, où se situe Port Saïd, est un relais essentiel pour le commerce qui va de l’est à l’ouest et vice-versa. Il est certain que cette zone peut-être une aire de stockage et de redistribution du commerce international.
Revenons sur la situation au Sinaï où le chômage nourrit le mécontentement et renforce les groupes radicaux, ce qui nuit évidemment au tourisme…
L’industrie touristique au sud du Sinaï ne s’est pas du tout effondrée ! Charm el-Sheikh fonctionne très bien, le taux de remplissage y est très élevé et si vous trouvez y une chambre d’hôtel libre aujourd’hui, vous êtes bien chanceux ! Là où le tourisme souffre, c’est malheureusement dans la vallée du Nil c’est à Louxor et Assouan où la perception de l’insécurité est négative.
Qu’entreprennent les autorités pour restaurer l’image de l’Égypte et faire redémarrer l’industrie touristique, notamment dans la capitale, Le Caire ?
Il faut communiquer sur la situation sécuritaire réelle – et non pas fantasmée – en montrant ce qui se passe à Charm el-Sheikh, Louxor, Assouan, et Urghada. Là-bas, le tourisme est en train de reprendre. Nous avons reçu en 2014 un peu plus de 10 millions de touristes et nous espérons que 2015 verra ce chiffre encore augmenter.
N’y a-t-il pas une diversification de votre clientèle depuis 2011 ?
Les Russes représentent aujourd’hui 30 % des touristes en 2014 ! L’on voit également des touristes chinois qui commencent à arriver en nombre, alors que leur pays devient le premier émetteur de touristes au monde, avec plus de 100 millions d’entre eux qui sortent de la Chine, chaque année. L’Égypte attire également de plus en plus les Brésiliens… Nous sortons des sentiers battus !
À propos donc des investissements du Golfe, vitaux en ce moment pour l’Égypte, ne frôle-t-on pas la dépendance économique et politique ?
Nous sommes dans l’ère de la globalisation. Il s’agit de coopérer avec tout le monde, d’investir chez tout le monde et d’accepter les investissements de tout le monde. Nous sommes très reconnaissants aux pays arabes qui nous ont soutenus pendant ces années très difficiles, nous accueillons leurs investissements les bras ouverts, comme ceux d’autres pays, en espérant pouvoir leur donner le traitement qu’ils méritent.
La période post 2011 a vu la mise en accusation ou le départ en exil de nombreux hommes d’affaires… Qu’en est-il aujourd’hui ? Cela a nécessairement un impact sur le climat des affaires….
Les tribunaux sont en train de démêler tous ces dossiers dont un grand nombre a été clos. Nous avons confiance dans le pouvoir judiciaire égyptien qui, malgré tout ce qui a été dit, a toujours prouvé son intégrité. Sa manière de procéder, surtout au pénal, a été très mal comprise à l’étranger mais elle suit son cours et justice sera faite.
Vous évoquiez l’importance de l’image du pays pour le tourisme et les investissements. Mais les condamnations de milliers d’islamistes et d’activistes ne la favorisent pas…
La critique est aisée, mais l’équilibre entre la préservation de la sécurité, condition sine qua non au redressement économique, et le respect des libertés de l’autre, est extrêmement difficile. Cependant j’admets que des débordements et des excès ont eu lieu.
Qu’en est-il de vos relations économiques avec vos voisins africains ?
L’Afrique représente pour l’Égypte un grand espoir. Nos rapports avec les pays membres de le Comesa [marché commun d’Afrique de l’Est et australe] sont excellents. Ces relations sont appelées à se développer, en particulier avec le Soudan, l’Éthiopie, et le Kenya…
Avec ces deux premiers pays, les relations étaient tendues sur le dossier de la gestion des eaux du Nil. Cela s’est-il apaisé ?
Il y a des discussions en cours sur ce sujet et un modus vivendi sera trouvé. Nous reconnaissons le droit de l’Éthiopie à se développer, mais pour nous l’eau est d’une importance extrême. Le développement de nos voisins ne doit pas se faire aux dépens de la survie de l’agriculture égyptienne. Cela dit, nous avons des rapports économiques et commerciaux corrects avec l’Éthiopie – excellents avec le Kenya.
>>>> Égypte – Éthiopie : tempête sur le Nil
Nous espérons la fusion prochaine entre la Comesa, la SADC (Communauté de l’Afrique australe) et l’EAC (Afrique de l’Est) pour disposer d’une très vaste zone de libre-échange allant de la Méditerranée au cap de Bonne Espérance, qui représente 58 % du PIB africain et 620 millions de consommateurs.
Aujourd’hui les échanges avec ces pays africains ne sont pas énormes : notre commerce avec zone Comesa ne dépassent pas les 4-5 milliards de dollars, sur les 27 milliards de dollars d’exportations égyptiennes. Mais la fusion des trois zones donnera lieu à une expansion importante de nos relations économiques avec cette zone.
>>>> Lire aussi : Intégration à marche forcée pour le Comesa
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