L’Algérie face au gaz de schisme

Pour les autorités algériennes, l’exploitation du gaz de schiste est une nécessité malgré les dangers qu’elle fait peser sur l’environnement. Mais les populations du Sud ne l’entendent pas de cette oreille.

Sept bassins susceptibles de renfermer d’importants gisements de gaz non conventionnels ont été identifiés en Algérie. DR

Sept bassins susceptibles de renfermer d’importants gisements de gaz non conventionnels ont été identifiés en Algérie. DR

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Publié le 21 février 2015 Lecture : 5 minutes.

La confidence a été recueillie à l’heure du petit déjeuner, dans le hall de l’hôtel Sheraton d’Alger, le jeudi 20 décembre 2012, par un journaliste de l’hebdomadaire Le Point. « Nous avons signé un accord avec les autorités algériennes pour explorer le gaz de schiste », lui déclare en aparté Laurent Fabius, chef de la diplomatie française, qui accompagnait le président François Hollande lors d’une visite officielle de deux jours à Alger.

Aussitôt mise en ligne sur le site du magazine, la confidence suscite une levée de boucliers en Algérie. Quoi ? Le président Bouteflika se serait mis d’accord avec les Français pour exploiter le gaz de schiste alors que Hollande l’interdit formellement chez lui ? Les opposants algériens au gaz de schiste crient au scandale, les chantres du patriotisme économique dénoncent un bradage des richesses de la nation, voire le retour du néocolonialisme. Les experts, eux, pointent du doigt les dangers que l’exploitation du gaz de schiste fait peser sur l’environnement et sur la santé des populations des régions du Sud qui tirent l’essentiel de leurs revenus des exploitations agricoles.

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Algerie Schiste JA2823p041 info1>>>> Gaz de Schiste : les risques du métier

À l’époque, les autorités algériennes se gardent bien de réagir à la polémique. Et pour cause. En août 2012, six mois avant la confidence de Laurent Fabius, Ali Hached, conseiller au ministère algérien de l’Énergie, annonçait que Sonatrach avait « déjà conclu des accords avec des partenaires étrangers pour développer le potentiel en gaz de schiste ».

Sept bassins susceptibles de renfermer d’importants gisements de gaz non conventionnels sont ainsi identifiés. Il manque toutefois un arsenal juridique pour cadrer cette activité. Celui-ci est créé en février 2013 lorsque la présidence de la République promulgue une nouvelle loi sur les hydrocarbures qui ouvre la voie à l’exploitation des gaz non conventionnels avec, à la clé, des mesures fiscales attrayantes pour les investisseurs étrangers.

>>>> L’Algérie autorise l’exploitation du gaz de schiste

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Pour les responsables algériens, l’exploitation du gaz de schiste est d’autant plus nécessaire que la production d’hydrocarbures a connu une baisse significative au cours des dix dernières années (de 2 millions de barils par jour en 2005 à 1,2 million en 2014), que les revenus pétroliers – qui assurent 95 % des recettes en devises du pays – vont considérablement chuter avec l’effondrement des cours du baril et que la consommation locale ne cesse de croître.

L’Algérie, si l’on en croit plusieurs études internationales, détient en outre les quatrièmes réserves mondiales récupérables de gaz de schiste, derrière les États-Unis, la Chine et l’Argentine. Plusieurs majors internationales, l’américain Anadarko, l’italien ENI, le conglomérat anglo-néerlandais Shell, le britannique BP, le canadien Talisman ou le groupe français Total se ruent sur l’eldorado algérien pour signer des contrats avec la compagnie publique Sonatrach. Mais de toutes les compagnies étrangères présentes dans ces projets gaziers, une seule suscitera la controverse : Total.

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Accusations

Alors que le gouvernement peine à mettre fin à la protestation des habitants du Sud, qui exigent depuis décembre 2014 l’arrêt des forages des puits de gaz de schiste, Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT, d’obédience trotskiste), met de l’huile sur le feu en accusant Total de manoeuvres de déstabilisation.

« Il y a au moins deux compagnies françaises, dont Total, qui ont déclaré la guerre à Sonatrach et à l’actuel ministre de l’Énergie », soutient-elle le 20 janvier. Dans cette Algérie où les officiels évoquent fréquemment la « main de l’étranger » pour expliquer les manifestations de rue, ces propos péremptoires, proférés sans preuves, relancent le débat sur un prétendu deal secret avec Paris pour permettre à Total d’exploiter le gaz de schiste, comme le laissait à penser la déclaration de Laurent Fabius.

Dès décembre 2009, Total avait communiqué sur son site officiel à propos des deux projets dans lesquels il s’était impliqué en association avec trois autres partenaires étrangers. Le premier se trouve à Timimoun, à 1 270 km au sud d’Alger. Composé de Sonatrach (51 %), de Total (37,57 %) et de l’espagnol Cepsa (11,25 %), le consortium s’engageait, pour 1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros), à exploiter du tight gaz (gaz de réservoir compact), un gaz non conventionnel, comme ceux de schiste ou de houille, coincé dans des formations rocheuses situées parfois à 3 500 m de profondeur.

Algerie Schiste JA2823p040L’exploitation du tight gaz exige donc le recours à la fracturation hydraulique, une méthode de forage nécessitant beaucoup d’eau, du sable et des produits chimiques. Pas moins de 37 puits devaient être forés à Timimoun, pour une production annuelle, prévue en 2017, d’un demi-million de mètres cubes par jour.

Renégociation

Le deuxième projet concerne le site d’Ahnet, à In Salah, celui-là même qui fait l’objet de vives contestations. Signé aussi en 2009, pour un investissement de près de 2 milliards de dollars, ce contrat rassemble Sonatrach (51 %), Total (47 %) et le portugais Partex (2 %). Le groupement s’engageait à explorer et à produire, dès 2015, 4 milliards de mètres cubes par an de tight gaz.

Interrogé à ce propos en janvier 2010, Christophe de Margerie, ex-PDG de Total, décédé dans un accident d’avion en octobre 2014, se montrait d’ailleurs optimiste sur les activités futures de son groupe dans le pays : « Au-delà de Timimoun, nous souhaitions entrer dans un projet qui nous permettrait de renforcer notre présence en Algérie, confiait-il au quotidien algérien Liberté. Ahnet n’est pas un nouveau projet d’exploration, la phase d’appréciation étant en cours et le projet entrant dans la phase de développement. Total va verser à Sonatrach 4,11 dollars par baril équivalent pétrole découvert, au titre du droit d’entrée sur le gisement, à partir de la mise en production prévue pour le second semestre 2015. »

Quid aujourd’hui de ces deux contrats ? Contactée par Jeune Afrique, la firme française affirme que « Total Exploration-Production Algérie n’a pas de permis d’exploration ni de projet de développement de gaz de schiste en Algérie ». Et d’ajouter qu’elle « n’a jamais participé à des activités de forage de puits à objectifs gaz de schiste, ni dans le bassin d’Ahnet ni dans un autre périmètre en Algérie ».

Le groupe français reconnaît être effectivement présent sur le projet d’Ahnet, mais il précise avoir cessé ses activités depuis le 6 juin 2014, date d’expiration du permis d’exploitation. Étrange, tout de même, que ce permis n’ait pas été renouvelé alors que Total y a investi des sommes colossales.

Selon plusieurs sources, la demande de renégociation des Français, qui arguaient que les prix n’étaient plus conformes aux investissements, aurait essuyé un refus de la part des Algériens. Ce que nous confirme le groupe français, qui estime que c’est là une pratique courante dans l’industrie pétrolière.

« N’ayant pu trouver d’accord sur les termes et conditions permettant d’assurer la commercialité du développement des réservoirs d’Ahnet, le groupe a renoncé à la mise en oeuvre de ce projet », nous explique un porte-parole de Total. Et si la compagnie française n’a pas, à proprement parler, investi dans le gaz de schiste en Algérie, elle n’en est pas moins présente dans le domaine des gaz non conventionnels. Depuis les accusations de Louisa Hanoune et les articles de presse qui les ont suivies, le groupe français a décidé de retirer de son site, dans la rubrique « tight gaz », les informations concernant ce projet très controversé. Il a même modifié la carte illustrant sa présence dans le Sud algérien en supprimant le site d’Ahnet.

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