Maghreb Steel, histoire d’un sauvetage difficile
Alors que le plan de redressement de Maghreb Steel semblait bien amorcé, son directeur général, Amar Drissi, a subitement démissionné. La relance de l’aciériste marocain est-elle une mission impossible ?
Recruté en octobre pour mener à bien le plan de sauvetage de Maghreb Steel, Amar Drissi n’aura finalement tenu que quatre mois. « La tâche était tellement difficile qu’il a jeté l’éponge », commente un homme d’affaires casablancais. Faux, rétorque le fondateur et président du groupe, Fadel Sekkat : « Drissi est parti pour des raisons personnelles et familiales. Ce sont d’ailleurs les équipes qu’il a lui-même mises en place qui vont poursuivre le travail. » Le départ de ce manager de choc, qui officiait auparavant en tant que directeur industriel de l’OCP, ne change en rien le plan de sauvetage du sidérurgiste, concocté par les équipes du cabinet de conseil McKinsey.
Froid dans le dos
Un plan de la dernière chance visant à remettre à flot ce fleuron marocain de l’industrie de l’acier plat, en quasi-faillite depuis trois ans déjà… Ses derniers indicateurs financiers, publiés fin juin 2014, donnent froid dans le dos : 250 millions de dirhams (près de 23 millions d’euros) de perte et surtout un taux d’endettement de… 700 % !
C’est en 2012, date d’entrée en service de sa nouvelle usine de Mohammedia, que les difficultés de Maghreb Steel ont commencé. Ce site d’une capacité de 1 million de tonnes d’acier plat devait servir aussi bien le marché local que les marchés à l’export. Mais la crise est passée par là. Et les prix de l’acier, qui atteignaient 1 300 dollars (883 euros) la tonne au moment du lancement du projet en 2007, sont depuis tombés à moins de 300 dollars, remettant en question tous les calculs de Fadel Sekkat. « Lorsque nous avons lancé l’investissement, en ces temps d’euphorie, nous nous attendions bien sûr à une baisse du prix de l’acier, mais jamais à un tel niveau », avoue Fadel Sekkat.
« démesurés »
Personne n’a vu venir cette chute, accélérée par la crise internationale, ni la baisse de la consommation mondiale d’acier. Pas même les banques qui ont financé ce mégaprojet – Attijariwafa Bank, BMCE Bank, BCP, BMCI, Société générale et Crédit du Maroc. Et une dizaine d’investisseurs institutionnels sont impliqués, via les levées réalisées sur le marché obligataire. « Avec le recul, on s’aperçoit que nous avons pris des risques démesurés. Et on se demande comment on peut récupérer notre dette, dont une bonne partie a été déjà provisionnée », confie l’un des banquiers de Maghreb Steel.
Saad Bennani prend le relais
Il était depuis octobre 2014 l’adjoint d’Amar Drissi. Aujourd’hui, il prend sa relève. Ancien patron de Cema Bois de l’Atlas, l’homme a déjà réalisé une belle carrière dans l’industrie.
Ce diplômé de la Kedge Business School avait également dirigé la Somathes (Société marocaine du thé et du sucre), du groupe Holmarcom, et le leader du marché de la levure, Somadir.
Il sera épaulé dans cette mission de sauvetage par une autre recrue : le polytechnicien Amine El Wali, ancien directeur des compétences industrielles de l’OCP.
Trop important – il représente pas moins de 2 000 emplois – pour véritablement tomber, Maghreb Steel est désormais sous perfusion, maintenu debout à coups de renouvellement des lignes de trésorerie et de refinancement des tombées obligataires.
« Nos difficultés viennent de la conjoncture internationale. Quand celle-ci se rétablira, les choses vont rentrer dans l’ordre », explique Fadel Sekkat, affirmant que c’est le constat qu’ont fait les consultants de McKinsey. Ces derniers prévoient une relance du marché de l’acier dès 2016.
>>>> McKinsey au secours de Maghreb Steel
Confisqué
En attendant, le pouvoir à Maghreb Steel a été presque confisqué par les banques, qui traînent dans cette affaire une ardoise de plus de 5 milliards de dirhams… « Les banques ont exigé que les membres de la famille Sekkat soient écartés de la gestion. Et elles l’ont obtenu. Ce sont elles qui pilotent aujourd’hui l’affaire », confie une source proche du dossier.
La mission confiée à McKinsey s’inscrit justement dans cette logique : restructurer l’entreprise pour permettre aux banques de récupérer leur dû. Car le risque d’une défaillance peut avoir de lourdes conséquences sur tout le secteur bancaire. « Toutes les banques marocaines sont impliquées dans cette affaire. La faillite de Maghreb Steel peut avoir l’effet d’un tsunami sur le secteur financier », prévient notre source.
Pour éviter ce scénario catastrophe, McKinsey a proposé un plan qui implique toutes les parties, à commencer par les actionnaires, appelés encore une fois à mettre la main à la poche pour injecter 400 millions de dirhams dans le capital de la société. « Nous avons déjà mobilisé 200 millions de dirhams. Le reste sera apporté d’ici à 2017 », confie Fadel Sekkat. Cette augmentation de capital est la deuxième en moins de deux ans, puisque la famille Sekkat a déjà dû injecter en 2013 pas moins de 600 millions de dirhams. « Nous avons vendu tous nos biens pour sauver Maghreb Steel. Nous avons l’industrie dans le sang… », confie le chef de famille.
« La faillite de Maghreb Steel peut avoir l’effet d’un tsunami sur le secteur financier », avertit un expert.
Le bout du tunnel ?
Les banques ont-elles été incitées à renouveler les lignes de trésorerie de la société, et à rééchelonner une partie de la dette sur une plus longue échéance, avec des franchises importantes sur les intérêts ? Même l’État marocain a été mis à contribution : d’abord en engageant sa garantie pour une partie de la nouvelle dette, qui atteint 230 millions de dirhams, mais aussi et surtout en protégeant Maghreb Steel sur le marché local.
Car en plus d’être chahuté sur les marchés internationaux, cet ex-champion marocain de l’acier subit depuis 2012 la concurrence des opérateurs européens. Face à la baisse de la consommation sur leur continent, ils ont commencé à déverser leur production sur le marché marocain, à des prix défiant toute concurrence.
Des pratiques que le ministère de l’Industrie vient de juger illégales, avant de décider d’octroyer à Maghreb Steel une batterie de mesures de protection. « Elles n’ont pris effet que fin 2014. Leur impact commence à peine à se faire ressentir », précise Fadel Sekkat. Après une année difficile, le patron commence ainsi à entrevoir le bout du tunnel. « En janvier, nous avons écoulé 40 000 tonnes d’acier plat, soit le double des ventes par rapport à la même période l’année dernière. Je suis donc optimiste quant à l’avenir », assure Fadel Sekkat.
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