Nigeria : la politique, un investissement comme un autre ?
Pour les patrons, il est difficilement concevable de ne pas financer le parti au pouvoir. De futurs marchés en dépendent. Pourtant, certains commencent à prendre leurs distances…
Ce fut le plus grandiose des événements, même selon les critères nigérians. Plus de 200 ploutocrates et leurs amis politiques réunis dans la vieille salle de banquet de la villa présidentielle d’Aso Rock, à Abuja, le 20 décembre, afin de lever des fonds pour le People’s Democratic Party (PDP, au pouvoir). Les tables étaient parées de rouge, vert et blanc – les couleurs du parti au pouvoir. Au centre des débats, le président Goodluck Jonathan, arborant son célèbre chapeau, et le président du PDP, Adamu Mu’azu, dans un grand boubou bleu. Saluant ses invités, Jonathan a qualifié son parti, pour faire bonne mesure, de « business-friendly ». En tout, 21 milliards de nairas (environ 95 millions d’euros) ont été collectés au cours de cette seule soirée.
« Au Nigeria aujourd’hui, le meilleur moyen de s’assurer des rendements élevés, ce n’est pas d’investir dans les hydrocarbures ou les télécoms, mais dans la politique, souligne Jide Ojo, ancien gestionnaire de programme à la Fondation internationale pour les systèmes électoraux, à Washington. Les dérogations à l’importation, les escroqueries aux subventions aux carburants, l’immunité contre les poursuites sont des compensations pour ceux qui ont soutenu le parti gagnant. »
« Au Nigeria aujourd’hui, le meilleur moyen de s’assurer des rendements élevés, ce n’est pas d’investir dans les hydrocarbures mais dans la politique », estime un observateur.
Entrepreneurs et politiciens se sont d’ailleurs constitués en réseaux de supporters, se faisant concurrence pour contribuer aux finances de la campagne de Jonathan et adoptant des noms patriotiques comme « Les ambassadeurs de la transformation du Nigeria », « Les protecteurs de la postérité du Nigeria » ou encore « Projet 2015 ».
Pragmatiques
Mais lors de la collecte de fonds à Aso Rock, l’hypothèse d’une défaite du PDP, mastodonte de la politique nigériane depuis 1999, à l’élection du 14 février fut toutefois discrètement émise. L’absence de certaines célébrités du business a soulevé quelques questions. En 1999, un Aliko Dangote alors relativement peu connu avait donné, au cours d’un dîner pour la campagne électorale d’Olusegun Obasanjo, un tiers des fonds récoltés. Depuis lors, les initiés disent que les relations de l’homme le plus riche d’Afrique avec le PDP se sont refroidies.
L’absence de Femi Otedola a provoqué le plus de commentaires. Le « roi du diesel » a fait fortune en important du carburant (à prix subventionné) pour les dizaines de millions de générateurs nécessaires pour combler l’insuffisance chronique de production électrique. Ami proche de Jonathan pendant une décennie, Otedola serait désormais critique sur la gestion économique du gouvernement, selon certains de ses associés. Comme beaucoup d’importateurs de carburant, ses entreprises ont en effet souffert depuis que l’État a commencé à réduire les subventions, en 2012…
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Les entreprises sont tout simplement pragmatiques, explique un porte-parole travaillant pour la campagne de Jonathan : « La plupart des grandes compagnies contribuent au PDP. Elles ne peuvent pas se permettre de prendre le risque de snober le parti au pouvoir. Mais je suis assez certain que beaucoup d’entre elles donnent dans le même temps quelque chose à Muhammadu Buhari, comme une sorte de police d’assurance. »
Les derniers grands bénéficiaires du gouvernement PDP ont été les attributaires de blocs pétroliers et les bénéficiaires de la privatisation dans le domaine de l’électricité. Mais les compagnies pétrolières ont été touchées par la chute du prix du pétrole, et la plupart des nouvelles entreprises d’électricité sont plombées par des dettes énormes, alors que des questions ont émergé autour des tarifs de vente de l’électricité et ceux de l’achat de gaz.
Tolu Ogunlesi (The Africa Report), à Lagos
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