Nigeria : le géant vacille, à qui la faute ?
À la veille de l’élection présidentielle, la première économie d’Afrique est très affectée par l’effondrement des prix du pétrole. Sa faute ? N’avoir pas su profiter de la croissance passée pour préparer l’avenir.
Dans les principaux ports nigérians, on fait grise mine. Au cours des dernières semaines, le trafic de conteneurs a très fortement baissé. « Normalement, le mois précédant le nouvel an chinois [le 19 février cette année] est le plus faste de l’année, avec l’envoi massif de produits asiatiques vers le Nigeria, commente l’un des principaux armateurs actifs dans le pays. Cette fois, nous avons eu du mal à remplir les bateaux. Pour le premier trimestre de cette année, nous tablons sur une baisse de trafic comprise entre 15 % et 25 %. »
Malgré son caractère plutôt diversifié, l’économie nigériane subit les effets négatifs de l’effondrement brutal du prix du pétrole, passé de 115 dollars (85 euros) en juin 2014 à moins de 50 dollars début 2015. Le budget fédéral a été revu plusieurs fois à la baisse, avec des coupes sévères dans les dépenses et dans les investissements. Depuis son plus haut niveau en juillet 2014, la capitalisation de la Bourse de Lagos s’est effondrée : 21 milliards d’euros sont partis en fumée. Mi-janvier, le Fonds monétaire international (FMI) a très fortement diminué ses prévisions de croissance pour 2015, de 7,3 % à 4,8 %. Et l’attentisme économique qui accompagne toute élection présidentielle (le premier tour a lieu le 14 février au Nigeria) n’arrange rien.
Faute d’avoir su diversifier suffisamment la base de la collecte fiscale, le budget de l’État reste dépendant du pétrole, à hauteur de 60 %.
Réformes
Dur retournement pour un pays dont les autorités célébraient, en avril 2014, l’accession au rang de première puissance économique du continent. Le Nigeria avait alors dépassé l’Afrique du Sud en matière de PIB à la suite d’un changement de l’année de base servant au calcul de la richesse nationale.
Situation difficile, aussi, pour un gouvernement qui, sur le plan économique, n’a pas fondamentalement démérité. Il a amorcé la nécessaire réforme des subventions aux carburants, aux dépens de ceux qui s’étaient enrichis en fraudant ce système.
Il a accéléré le vaste programme de réforme du secteur de l’électricité, un des freins majeurs à la croissance du pays, en permettant, notamment via des investissements privés, d’augmenter d’environ 15 % la production électrique en 2014. Et il a poursuivi le renforcement d’un système bancaire capable de financer de gros projets d’investissements, notamment privés.
« Absurde » : Ngozi répond à Charles
« Vu la qualité de l’équipe, je n’attendais pas grand-chose du gouvernement. » C’est par ces mots que Charles Soludo a ouvert les hostilités.
Dans une tribune à charge publiée le 25 janvier dans l’un des journaux les plus lus du pays, le Vanguard, l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Nigeria et ancien conseiller économique en chef de l’ex-président Olusegun Obasanjo a notamment reproché à l’actuelle administration d’avoir mal géré l’envolée des prix du pétrole ces dernières années.
La riposte, tout aussi saignante, n’a pas tardé, sous la plume de Ngozi Okonjo-Iweala. La ministre des Finances a répondu un par un aux points soulevés par son ex-allié (elle occupait le même poste qu’aujourd’hui sous la présidence Obasanjo), les qualifiant de « purement et simplement absurdes ».
Faisant référence à la violente crise bancaire traversée par le pays à partir de 2009, Okonjo-Iweala a renvoyé Soludo dans les cordes : « Il est remarquable que l’homme qui a présidé à la pire gestion du secteur bancaire du Nigeria en tant que gouverneur de la Banque centrale entre mai 2004 et mai 2009 puisse s’exprimer au sujet de la mauvaise gestion de l’économie. »
« En juin dernier, avant la chute du baril, j’aurais dit que, même s’il n’y a pas vraiment eu de succès majeur, la situation économique du pays n’était ni bonne ni vraiment mauvaise, décrypte Angus Downie, responsable de la recherche économique à Ecobank. Une croissance plutôt élevée, entre 5 % et 6 % par an, une monnaie plutôt stable, une inflation sous les 10 %… »
L’économie a largement profité de la croissance de la population, « de 2,8 % par an », rappelle Henri-Bernard Solignac-Lecomte, directeur de l’unité Afrique, Europe et Moyen-Orient de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à Paris. Au cours de la dernière décennie, le pays a su mieux maîtriser la gestion de ses finances publiques, notamment en fixant à partir de 2006 des limites aux emprunts fédéraux.
Mais, faute d’avoir su diversifier suffisamment la base de la collecte fiscale, son budget reste dépendant du pétrole, à hauteur de 60 %. Et malgré une hausse de 190 % du PIB par habitant depuis 2005 (3 416 dollars en 2014), les disparités régionales ne se sont pas réduites.
« Le taux de pauvreté est de 16 % dans la région de Lagos, de 28,8 % dans celle du delta du Niger [zone de production pétrolière] et de près de 50 % dans le Nord », détaille Henri-Bernard Solignac-Lecomte. Avec un taux de fécondité de six enfants par femme, la croissance reste bien souvent insuffisante pour réduire durablement la pauvreté.
Chômage
« Il est vrai que la croissance récente a été largement portée par le secteur non pétrolier, mais c’est surtout une économie de services qui s’est développée, alors que le pays a aussi besoin d’un secteur industriel plus fort et que l’agriculture reste un point faible », poursuit le directeur Afrique de l’OCDE. Preuve de l’insuffisante création d’emplois dans un pays qui pourrait voir sa population atteindre les 400 millions de personnes dans trente ans, le taux de chômage officiel reste très élevé, à 24 % – un chiffre à manier toutefois avec précaution étant donné le poids considérable du secteur informel.
Ces fragilités non résorbées malgré la croissance passée inquiètent vivement au moment où cette dernière dégringole. D’autant qu’on mesure encore mal l’intégralité des dégâts à venir. Selon l’agence Bloomberg, les grandes institutions financières du pays affichent une exposition au risque pétrolier variant de 17 % à 28 %. Dans la plus grande banque du pays, First Bank of Nigeria, ce chiffre atteint même 40 %.
La stabilité monétaire est l’autre victime potentielle de la chute de l’or noir, dans un pays où plus de 90 % des réserves en devises viennent des exportations pétrolières. Depuis la décision des autorités de laisser le naira se dévaluer, celui-ci a perdu 15 % de sa valeur. Selon Renaissance Capital, la monnaie nigériane « doit baisser encore de 25 %, pour arriver autour des 220 nairas pour 1 dollar ». La balance courante devrait, estime la banque d’affaires russe, plonger dans le rouge pour la première fois depuis douze ans.
Promesses
À quelques jours de l’élection, ce contexte difficile pourrait-il faire basculer le vote, dont l’issue est de plus en plus incertaine en raison de la situation sécuritaire dans le nord-est du pays, soumis au joug de Boko Haram ?
Nigeria : la politique, un investissement comme un autre ?
Ce fut le plus grandiose des événements, même selon les critères nigérians. Plus de 200 ploutocrates et leurs amis politiques réunis dans la vieille salle de banquet de la villa présidentielle d’Aso Rock, à Abuja, le 20 décembre, afin de lever des fonds pour le People’s Democratic Party (PDP, au pouvoir).
Au centre des débats, le président Goodluck Jonathan, arborant son célèbre chapeau, et le président du PDP, Adamu Mu’azu, dans un grand boubou bleu. Saluant ses invités, Jonathan a qualifié son parti, pour faire bonne mesure, de « business-friendly ». En tout, 21 milliards de nairas (environ 95 millions d’euros) ont été collectés au cours de cette seule soirée…
« Le milieu des affaires nigérian est habituellement à 80 % en faveur du People’s Democratic Party [PDP, au pouvoir], puisque c’est le passage obligé pour obtenir des contrats, explique Sebastian Spio-Garbrah, fondateur du cabinet de conseil en risques DaMina Advisors. Cependant, cette année, on pourrait plutôt évoquer un 60-40 ou même un 50-50. Le président sortant, Goodluck Jonathan, a encore des grands noms qui le soutiennent ouvertement, mais les mêmes contribuent tranquillement à la campagne de Muhammadu Buhari. »
Dans une campagne où les généreuses promesses économiques ont déjà été rendues caduques par la crise pétrolière, le retour au pouvoir du challenger (Buhari a été chef de l’État au début des années 1980) pourrait pourtant menacer des élites qui ont largement profité de la croissance jusqu’au retournement récent.
« Buhari a clairement fait savoir qu’il avait l’intention de chasser la corruption partout où elle se trouve et sans aucune crainte », souligne Sebastian Spio-Garbrah, qui avance l’hypothèse d’une campagne antioligarques sur le style de celle menée il y a quelques années par Vladimir Poutine en Russie. Alors que le budget 2015 n’a toujours pas été approuvé – « malgré trois tentatives », précise Angus Downie, d’Ecobank -, le Nigeria se prépare à des mois difficiles.
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