Assurances obligatoires : les États africains hésitent

Alors que la généralisation des contrats obligatoires pourrait stimuler le développement du secteur, la plupart des États africains et les principaux assureurs restent frileux.

Le siège d’Allianz à Dakar. © Youri Lenquette/J.A.

Le siège d’Allianz à Dakar. © Youri Lenquette/J.A.

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 25 février 2015 Lecture : 6 minutes.

Le siège d’Allianz à Dakar. © Youri Lenquette/J.A.
Issu du dossier

Assurances : inciter oui, imposer jamais ?

Alors que la généralisation des contrats obligatoires pourrait stimuler le développement du secteur, la plupart des États africains et les principaux assureurs restent frileux.

Sommaire

Le 30 décembre, les forces de police avaient choisi les villes de Louga, Kaffrine et Fatick, respectivement situées dans le nord, le sud et l’ouest du Sénégal, pour contrôler les attestations d’assurance des automobilistes et transporteurs de voyageurs. À leurs côtés, quelques représentants du secteur de l’assurance, venus les assister dans ces opérations dont l’objectif est clair : vérifier que tout conducteur roule avec une assurance en bonne et due forme.

Cela fait une dizaine d’années que les assureurs sénégalais organisent, tous les trois mois environ, ces « opérations coup-de-poing ». « Dans les grandes agglomérations, entre 800 et 1 000 véhicules sont contrôlés, pour 400 à 500 dans les plus petites », explique Ousmane Sy, directeur du pool Transport public de voyageurs (TPV), l’un des organisateurs et participants de ces opérations avec la Fédération sénégalaise des sociétés d’assurance et le Fonds de garantie. « Lors de ces coups de filet, les véhicules non assurés sont mis en fourrière jusqu’à régularisation. Les automobilistes ne sont bien sûr pas prévenus à l’avance et, pour préserver l’effet de surprise, les contrôles ne durent pas plus deux jours », poursuit Ousmane Sy. D’après lui, ces initiatives, menées également en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays africains, ont plus d’effet que n’importe quelle action de sensibilisation.

la suite après cette publicité

Pilier

Au Sénégal, le taux de non-assurance dans le domaine automobile constaté via ces contrôles inopinés est tombé à moins de 5 %, un niveau très bas. « Il y a quatre ou cinq ans, ce chiffre s’élevait à 30 % », insiste Sidy Faye, directeur général de la NSIA (Nouvelle Société interafricaine d’assurance) au Sénégal. Et sur le continent, le cas sénégalais n’est plus isolé. « En Angola, lorsque l’obligation d’assurance auto a été appliquée, ce segment a vu son activité s’envoler », raconte Raymond Farhat, directeur général de Saham Finances, un groupe d’assurance panafricain qui a finalisé, en octobre 2013, le rachat de GA Angola Seguros, l’un des principaux assureurs du pays lusophone.

En Afrique, la branche automobile est un des piliers de l’activité des assureurs, représentant selon les pays entre un quart et plus de la moitié des primes émises. La responsabilité civile (RC), seule assurance de cette catégorie à être obligatoire dans tous les pays, génère à elle seule un tiers des revenus des assureurs IARD (incendie, accidents et risques divers) du Bénin et environ 20 % de ceux du Cameroun. Au Niger, le chiffre dépasse les 40 %. Autant dire que le monde de l’assurance a intérêt à ce que l’obligation de tout automobiliste de souscrire à un contrat soit enfin respectée. D’un pays à l’autre, la situation reste pourtant encore très contrastée.

>>>> Cameroun : reportage sur la route de la mort

la suite après cette publicité

« Le niveau de fraude dans le domaine automobile reste assez élevé, confirme Benjamin Romain, associé au sein de la société de conseil Okan Consulting. Pas tellement en raison d’une absence pure et simple d’assurance, un phénomène qui est finalement négligeable, mais plutôt à cause de l’existence de fausses attestations ou d’attestations émises par des assureurs presque informels, à des tarifs trop bas. »

Même si elles ont pour but de protéger les citoyens et les entreprises des grands risques qui pèsent sur eux, les assurances obligatoires restent encore très peu nombreuses dans la grande majorité des pays du continent, à l’exception notable de la Tunisie, qui en compte plus de 20. « En France, un marché mature, il en existe 80, expliquait à Jeune Afrique, début 2014, Mohamed Hassan Bensalah, président de la Fédération des assurances du Maroc. Au Maroc, on n’en a que trois, qui sont la RC automobile, la RC décennale et la RC pour la chasse. » Dans la zone de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima), le bilan est aussi faible : « Il n’y a que deux assurances obligatoires, la RC automobile et l’assurance sur les marchandises importées », souligne Benjamin Romain. Quelques rares pays ont également institué l’obligation d’assurance dans le domaine de la construction (au Congo) ou encore l’assurance scolaire (au Gabon), qui couvre les dommages qu’un élève pourrait occasionner à un tiers.

la suite après cette publicité

Réforme

D’autres États ont aussi rendu obligatoires la RC chasse (le Sénégal, où l’assurance maritime l’est également) ou les assurances des professions réglementées (médecins, architectes, etc.). Étonnamment, les couvertures dans le domaine de la construction et de l’immobilier restent souvent facultatives. « La multirisque habitation est très rarement obligatoire », constate ainsi Raymond Farhat. « Son taux de souscription est dérisoire », déplore-t-on chez Allianz Africa. En 2009, au Sénégal, le code de la construction a bien imposé plusieurs assurances dans ce domaine, notamment la « tous risques chantier », mais, cinq ans plus tard, les arrêtés permettant la mise en application de la réforme se font toujours attendre.

« Je suis plutôt favorable à l’augmentation du nombre d’assurances obligatoires, explique Sidy Faye. Dans les pays développés, leur nombre est beaucoup plus important, et cela a contribué à développer le secteur et la culture de l’assurance. Il ne faut pas oublier le rôle de protection sociale des assureurs, notamment lorsqu’il y a un dommage causé à un tiers. » Autre avantage, la réduction automatique de ce que les assureurs appellent l’ »antisélection », un phénomène qui fait que s’assurent en premier ceux qui présentent le plus fort risque. « Lorsque l’on rend une assurance obligatoire pour tout le monde, il n’y a plus d’antisélection et le risque diminue en raison de la mutualisation, explique Raymond Farhat. Du coup, des produits d’assurances auparavant non rentables le deviennent. » Les assureurs interrogés par Jeune Afrique insistent sur le caractère central des assurances obligatoires mais se refusent le plus souvent à faire du lobbying auprès des législateurs. « Ce n’est pas notre rôle », répond Raymond Farhat. « Nous poussons plutôt les législateurs à réduire la fiscalité appliquée sur les contrats d’assurance afin de les rendre plus attractifs, souligne Mamadou Diop, directeur général de Sonam Assurances, au Sénégal. Nous préférons l’incitation à l’obligation. »

Qualité

Les professionnels du secteur, notamment les plus importants, manient le sujet avec précaution. Car si les assurances obligatoires peuvent porter l’activité des plus petits assureurs – les plus prompts à casser les prix -, les leaders des marchés africains préfèrent miser sur des services de qualité leur offrant des marges confortables. « Avec la RC automobile, et notamment parce que certains assureurs ne dédommageaient pas correctement les sinistres, l’assurance a été perçue comme une taxe », décrypte Frédéric Baccelli. Du coup, le directeur général d’Allianz Africa, assureur présent dans onze pays au sud du Sahara, reste prudent sur ce caractère obligatoire. « Il faut que l’assurance soit perçue comme un service qui apporte une valeur ajoutée. Le fait de la rendre obligatoire n’est donc pas forcément une solution. »

Certains plaident pour des obligations limitées dans la durée, notamment dans le domaine de l’habitation. « Cela permettrait de diffuser la culture de l’assurance dans certains secteurs où elle est presque indispensable, estime Mamadou Diop. Et en limitant l’obligation dans le temps, on limite le caractère contraignant de ces contrats, qui pose aussi des problèmes. »

Certains plaident pour des obligations limitées dans la durée, notamment dans le domaine de l’habitation.

À commencer par la capacité des États à s’assurer que les obligations sont respectées. Les assureurs reconnaissent ainsi que la plupart des deux-roues ne souscrivent pas de contrat. Ils ont également eu longtemps des difficultés à assurer les minibus et autres transporteurs de voyageurs, très répandus sur le continent. En cause, la sinistralité très élevée et l’antisélection. Depuis la création de pools d’assureurs TPV (qui participent aux opérations de contrôle d’assurance avec la police) permettant de mutualiser les risques, la situation est largement réglée au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

L’autre point qui inquiète les compagnies, c’est le prix. « Qui dit assurance obligatoire dit contrainte de tarifs fixés par les autorités et qui ne permettent pas toujours d’assurer la rentabilité des contrats », souligne Mamadou Diop. Allianz cite ainsi le cas d’un petit marché à la situation révélatrice, la Centrafrique. « À Bangui, les tarifs minimaux obligatoires sont trop bas et n’évoluent pas, malgré l’inflation », souligne Claire Hamonic, responsable automobile et transport chez Allianz Africa. Fort heureusement pour les assureurs, ce n’est pas partout le cas.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Dans le même dossier

Soixante-dix personnes travaillent dans les bureaux de Coface à Casablanca. © Hassan Ouazzani pour J.A.

Coface Maroc passe à la vitesse supérieure

Pierre Olivier Adrey, diplômé en droit des assurances, a mis l’accent sur le rerutement et la formation. © Sidali Djenidi pour J.A.

Pierre Olivier Adrey, en toute confiance