« My Fairy Tales » : Nneka, à foi haute
Habitée, la chanteuse nigériane Nneka sort un cinquième album aux accents mystiques qui entend servir de caisse de résonance aux souffrances de la diaspora africaine.
"Je me baladais dans le quartier du Louvre avec une amie… Il y avait cette église, très belle. Je suis entrée seule pour dire une prière. Au moment de sortir, je me suis rendu compte que j’étais enfermée ! J’ai ri, crié, dansé, prié encore devant les tombes… J’ai tambouriné sans fin sur la porte. J’étais hors de moi. Enfin, au bout de cinq heures, la police m’a ouvert. Ils ont pensé que j’étais folle. Cet événement m’a inspiré pour l’album. Je me suis demandée pourquoi Dieu m’avait enfermée dans une église… Peut-être parce que le seul endroit où je me sens en sécurité, c’est en Dieu et en moi-même."
Les jambes nonchalamment perchées sur l’accoudoir de son fauteuil dans un café branché parisien, Nneka Egbuna ressemble à une ado turbulente et fragile qui aurait séché le lycée. Silhouette de brindille, tignasse indocile coincée dans un bonnet, vieux sweat, chaussettes multicolores remontées sur son jean : la chanteuse de 34 ans rigole comme une enfant en sirotant sa camomille. Mais quand elle parle de Dieu, son masque d’adolescente se fige. Dans son dernier album, citant les psaumes, cette chrétienne demande : "L’Éternel est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je peur ?" comme pour mieux s’en convaincre. La chanson s’inspire de l’histoire de Job, ce personnage biblique dont la foi est mise à l’épreuve par le diable. "Parfois, évidemment, j’ai moi aussi des doutes… explique-t-elle avant de se reprendre. Je sais pourtant que Dieu n’est jamais loin."
La petite princesse groovy aux textes mâtinés de pidgin nigérian a commencé à percer dès son deuxième album.
Sans cette foi dévorante, comment aurait-elle pu aller si loin ? My Fairy Tales est le cinquième album de Nneka. Et, comme tous les vrais "contes de fées", ceux de la chanteuse sont autant teintés de merveilleux que hantés par la peur, la souffrance et la mort. La jeune femme est née à Warri, une mégalopole nigériane cernée par les entreprises de raffinerie, où, très jeune, elle donne de la voix dans la chorale de sa paroisse. Un événement dramatique la pousse à s’exiler en Allemagne, le pays de sa mère, à l’âge de 19 ans, où elle étudie l’anthropologie à l’université de Hambourg. C’est à partir de ce moment, grâce à un coup de pouce divin, à l’en croire, qu’elle commence à donner des concerts. "Je n’étais pas avec ma famille, j’avais besoin de quelque chose pour tenir le coup… La musique m’a trouvée. Dieu m’a donné l’opportunité de chanter."
La petite princesse groovy aux textes mâtinés de pidgin nigérian commence à percer avec son deuxième album, No Longer At Ease, dont le single "Heartbeat" fait vibrer le palpitant de dizaines de milliers de fans. À partir de là, tout s’emballe pour celle qu’on a souvent comparée à Lauryn Hill ou à Neneh Cherry. On la voit en tournée aux côtés de Lenny Kravitz, des Roots, de Nas ou de Damian Marley. Elle enflamme le légendaire Apollo Theater de Harlem – où ont été découverts Ella Fitzgerald, Aretha Franklin et les Jackson Five. Et, preuve que son aura ne se limite pas aux pays occidentaux, elle a intégré l’année dernière le jury de l’émission de télé-crochet Nigerian Idol.
Nomade depuis quinze ans, Nneka évoque dans ce dernier album un sujet qui lui tient à coeur : celui de la diaspora africaine. Dans le communiqué de presse qui accompagne ce projet, elle explique ne pas vouloir se centrer uniquement sur la souffrance des Africains exilés… Le son oscille entre soul, hip-hop et reggae. Ses textes amoureux ou engagés sont portés avec une fougue inspirée qui évoque ses mentors, Bob Marley et Fela (qui apparaît, fantomatique, en couverture de l’album).
Mais, paradoxalement, c’est de la douleur qui sourd dans presque chacun de ses titres : déracinement, nostalgie, perte d’identité. Le disque s’ouvre sur le titre "Believe System", dans lequel elle évoque "les souffrances des sans-papiers, de ceux qui ont traversé les océans pour avoir une vie meilleure, qui ont toujours cru que ce qui était blanc était mieux." Mais cette "esclave du système" qu’elle décrit, "partie si loin qu’elle en a perdu son âme", et qui ne rêve que de revenir à Warri city, pourrait être elle.
"La main qui me nourrit vient d’Europe"
"Parfois j’ai l’impression que je réalise une sorte de pèlerinage lorsque je pars en tournée, avoue-t-elle. J’ai eu le sentiment de m’éloigner de moi-même. J’ai ressenti ce que beaucoup d’Africains éprouvent lorsqu’on leur demande d’être différents pour faire de l’argent. Aujourd’hui, la main qui me nourrit vient d’Europe. C’est quelque chose qui me fait plaisir, mais qui m’énerve. Je pourrais être une reine au Nigeria."
Nneka s’exprime dans un français presque parfait. Depuis un an, elle a effectué plusieurs séjours à Paris, logeant dans un petit appartement, étudiant la langue de Molière, coupant presque tout contact avec famille et amis. Elle s’est longuement promenée à Montmartre, observant les touristes et les Parisiens, disséquant leurs comportements en anthropologue. "Partir loin de chez soi, c’est se perdre, mais c’est aussi ce qui m’a permis de me trouver", observe la métisse qui s’est appuyée sur ses rencontres avec des immigrés africains pour écrire ses textes.
Tiraillée entre le Nord et le Sud, Nneka a acquis la conviction que son foyer était en Afrique. Via la fondation qu’elle a créée en 2012, Rope, elle s’implique personnellement dans des ateliers pour aider les plus démunis. Gamins qui n’ont pas la possibilité de s’exprimer avec lesquels elle compose des chansons. Femmes maltraitées, violées, victimes de la guerre – par exemple en Sierra Leone – qu’elle accompagne dans la création de leur propre entreprise. "Moi aussi j’ai vécu des choses", souffle-t-elle pour expliquer son militantisme, sans toutefois révéler l’origine de cette cicatrice à l’âme toujours ouverte, qui semble la pousser à se dépasser.
Face aux violences qui gangrènent son continent, Nneka s’en remet encore une fois au Seigneur. Dans une des chansons de l’album, s’adressant à Boko Haram, elle chante : "Votre âme est misérable, mais je vais prier pour vous / Vous avez détruit ma maison, mais je vais quand même prier pour vous / Vous vous fichez du futur, vous allez encore beaucoup tuer, mais je prierai quand même pour vous." Est-il possible de prier pour ceux qui vous tourmentent ? "J’ai dit que je prierais, je n’ai pas dit que je pardonnerai."
My Fairy Tales, sortie le 2 mars. En tournée européenne à partir de mars, le 4 avril en concert au Bataclan à Paris
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