Cinéma : le Fespaco dans l’ère numérique

Alors que le pouvoir burkinabè a changé de mains, le principal festival de cinéma du continent change de patron et évolue… dans la continuité.

Le cinéma sera à la fête à Ouagadougou, dès le 28 février. © Sophie Garcia pour J.A.

Le cinéma sera à la fête à Ouagadougou, dès le 28 février. © Sophie Garcia pour J.A.

Renaud de Rochebrune

Publié le 26 février 2015 Lecture : 5 minutes.

Comme tous les deux ans depuis près de cinquante ans, le cinéma sera à la fête à Ouagadougou, du 28 février au 7 mars, dans le cadre du Fespaco, le plus important festival du sud du Sahara consacré aux films réalisés par des Africains. Une fête qui, assurément, donnera encore une fois l’occasion au Burkina Faso de montrer son attachement indéfectible au septième art.

Où existe-t-il ailleurs dans le monde une grande place nommée "place des Cinéastes", ornée en son milieu d’un immense monument représentant une caméra, et cela au bout d’une avenue où trônent de majestueuses statues de grands réalisateurs ? Quel autre festival peut réunir régulièrement dans un grand stade une bonne trentaine de milliers de spectateurs pour célébrer, avec de grandes vedettes, son inauguration ? Pourtant, cette édition du Fespaco s’annonce riche en changements. Changement de "patron", bien sûr, et changement de règles présidant à la sélection des films en compétition pour l’Étalon d’or de Yennenga.

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Le très placide et très élégant Ardiouma Soma a été nommé en décembre 2014 par les nouvelles autorités du Burkina pour remplacer le dynamique Michel Ouédraogo, en poste depuis 2008. Ancien responsable de la presse gouvernementale, ce dernier doit sans doute son éviction au changement de pouvoir. Il ne s’agit cependant pas d’une "révolution" accompagnant celle qui a chassé Blaise Compaoré, mais d’un "changement dans la continuité".

>> Lire aussi : le film Timbuktu retiré de la compétition officielle du Fespaco

Le nouveau délégué général de la manifestation est, comme ses prédécesseurs, un agent de l’État, et ce depuis le début de sa carrière professionnelle. En tant que directeur artistique du festival et directeur de la cinémathèque africaine de Ouagadougou, il était depuis vingt ans l’un des animateurs de l’équipe permanente d’une quarantaine de personnes qui organise le Fespaco. Rien d’étonnant à ce qu’il dise vouloir puiser dans les réflexions en cours depuis des années les améliorations à apporter au festival. Sans précipitation.

Des films réalisés par des membres de la diaspora africaine

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La principale nouveauté de 2015 a donc consisté à élargir l’éventail des films qui pourront concourir pour les divers prix de la section des longs-métrages de fiction. En effet, pour la première fois, les films numériques participeront à la compétition, qui n’exigera plus obligatoirement une copie 35 mm. Participeront aussi les films réalisés par des membres de la diaspora africaine, jusque-là projetés dans une section à part. Résultat : plus de 700 films, soit presque deux fois plus que d’habitude, étaient présentés pour faire partie des 134 – dont 86 pour les compétitions officielles – qui seront projetés à Ouagadougou.

Les 20 longs-métrages pouvant prétendre aux Étalons d’or, d’argent ou de bronze sont de 17 nationalités différentes. Seuls le Burkina, bénéficiant du privilège du pays organisateur, le Maroc, leader en matière de production sur le continent, et, plus surprenant, l’Algérie présentent deux films. On peut relever que six films sont déjà sortis dans des festivals – notamment Cannes ou Carthage – comme en salles. C’est le cas du grand favori, Timbuktu, du Mauritanien Abderrahmane Sissako (Étalon d’or en 2003 avec Heremakono), qui s’affirme déjà comme le plus grand succès de l’histoire du cinéma africain, avec près de 800 000 entrées dans l’Hexagone et sept César. Mais celui-ci a été retiré de la compétion officielle pour des raisons sécuritaires.

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D’autres films peuvent également l’emporter, comme Fièvres et C’est eux les chiens, deux films pleins d’énergie des Marocains Hicham Ayouch – le frère très prometteur de Nabil – et Hicham Lasri, de Printemps tunisien de Raja Amari, qui évoque divers aspects du soulèvement contre le régime de Ben Ali, de Run de l’Ivoirien Philippe Lacôte sur la dérive d’un ex-"jeune patriote" et enfin de l’ambitieux Des étoiles de la Sénégalaise Dyana Gaye, racontant les mésaventures d’une immigrée venue en Europe retrouver son conjoint.

Comme le festival n’a lieu que tous les deux ans, on ne peut se passer de sélectionner les films de qualité même s’ils sont en salle depuis longtemps.

Avec l’entrée en compétition de deux films dont les réalisateurs sont originaires des Antilles (Christian Lara de Guadeloupe et Ramesar Yao de Trinité-et-Tobago), il ne reste plus qu’un peu plus de la moitié des sélectionnés pour présenter des inédits africains qui pourraient surprendre les festivaliers. Le plus attendu sera évidemment celui du Malien Cheikh Oumar Sissoko, qui, pour son retour derrière la caméra avec Rapt à Bamako, tentera de remporter un deuxième Étalon après son chef-d’oeuvre, Guimba (1995).

On découvrira aussi avec intérêt le deuxième long-métrage – Morbayassa – du Guinéen Cheick Fantamady Camara, l’auteur prometteur d’Il va pleuvoir sur Conakry dont on était sans nouvelles depuis 2006. Vu la rareté des productions dignes d’un grand festival au pays de Nollywood, on accordera une attention particulière au film nigérian Render to Caesar, d’Ovbiagele Desmond.

Faire collaborer jeunes cinéastes et auteurs confirmés

Cette relative rareté des inédits, malgré l’explosion des candidatures, n’est en rien étonnante, selon Ardiouma Soma. Comme le festival n’a lieu que tous les deux ans, on ne peut se passer de sélectionner les films de qualité même s’ils sont en salle depuis longtemps. Indubitable, l’ébullition créative qu’a provoquée l’irruption du numérique n’a pas pour autant permis, jusqu’ici, de révéler beaucoup de nouveaux talents. Les films de la jeune génération laissent encore à désirer d’un point de vue esthétique quand on les compare à ceux des "anciens". Lesquels, découragés par la baisse des aides et parfois peu enclins à passer au numérique, ont souvent cessé de tourner des années durant, à l’instar des Souleymane Cissé ou Idrissa Ouedraogo.

Pour Soma, il faudrait peut-être trouver le moyen de faire collaborer jeunes cinéastes et auteurs confirmés afin de relancer le cinéma africain. Évoquer cette nécessaire relance d’un secteur totalement sinistré à l’international et presque inexistant au niveau national, en raison notamment de la disparition des salles, n’est pas inutile. Il suffit pour s’en persuader de savoir que le dernier lauréat du Fespaco, l’excellent Aujourd’hui, du Sénégalais Alain Gomis, n’a attiré que 20 000 spectateurs en France. Plus grave, l’Étalon d’or 2011, Pégase, du Marocain Mohamed Mouftakir, n’est pas sorti sur les écrans européens. Timbuktu, à cet égard, n’est que l’arbre qui cache la forêt.

Le Fespaco peut-il favoriser cette relance ? Ardiouma Soma en est persuadé. Voilà pourquoi, dit-il, "il faudrait que le festival muscle son marché du film en attirant plus de professionnels", à commencer par les producteurs, distributeurs et exploitants, si utiles "pour donner une chance à tous les jeunes réalisateurs en quête de soutien". Utile au développement, le cinéma peut même devenir une activité économique rentable. Ce qui suppose de mobiliser les politiques.

Et, comme on essaie de le faire au Burkina, de réhabiliter les salles en les transformant pour leur permettre d’accueillir toutes sortes de spectacles. Au-delà de la fiction, il serait aussi bon d’encourager la production de documentaires de création en permettant à ces derniers de concourir. Enfin, pour obtenir une meilleure émulation entre les cinéastes, sans doute faut-il faire des efforts afin que les pays non francophones, à commencer par l’Afrique du Sud, soient plus présents au Fespaco.

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