Gabon : l’opposition à la recherche de l’oiseau rare
Les principaux ténors de l’opposition gabonaise font aujourd’hui front commun. S’accorderont-ils demain pour désigner un candidat unique à la présidentielle ?
Gabon, à l’heure des comptes
Sur l’échiquier politique, comme sur les plans économique et social, les grandes manœuvres ont commencé. Objectif : la présidentielle 2016.
En tête de cortège dans les manifestations contre la politique gouvernementale, ils marchent main dans la main. Qu’en sera-t-il lorsqu’il s’agira de désigner le candidat unique de l’opposition, celui qui portera l’étendard de plusieurs dizaines de partis, petits et grands, face au candidat du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), probablement le président Ali Bongo Ondimba lui-même ? Le risque de voir s’affronter les grands fauves de la politique plane. D’autant que, par le passé, ils n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur le nom d’un leader commun. En attendant le moment fatidique, on élude la question.
Jusqu’à quand ? La donne a changé le 4 février, lorsque le pouvoir a réhabilité l’Union nationale (UN), coalition d’opposition interdite en janvier 2011 après que l’un de ses fondateurs, André Mba Obame, se fut autoproclamé président de la République. La question de son leadership, donc de son candidat, doit être examinée en l’absence de Mba Obame, toujours souffrant. Pourtant, à l’approche de l’élection présidentielle – prévue mi-2016 -, il va falloir vite trancher. Même si cette décision aura pour effet de précipiter le lancement de la campagne électorale et de la transformer en marathon.
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Dispersion des suffrages entre différents opposants
Quoi qu’il en soit, si elle veut conquérir le pouvoir, l’opposition a intérêt à progresser en rangs serrés. Le PDG, redoutable machine électorale mise en place en 1968 par Omar Bongo Ondimba, continue de bénéficier d’un maillage territorial étendu et repose sur un socle difficile à ébranler, même s’il a subi quelques défections ces derniers mois. L’opposition, elle, se caractérise par l’existence de deux coalitions distinctes et parfois rivales.
L’Union des forces pour l’alternance (UFA), conduite par Jules Aristide Bourdes Ogouliguendé et Séraphin Ndaot Rembogo, est en effet rarement au diapason du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Fuopa), mené par les barons de l’Union nationale, aux premiers rangs desquels Jean Eyeghe Ndong et Zacharie Myboto. Si leurs noms étaient différents, ces deux blocs existaient déjà en 2009… Et ils n’étaient pas parvenus à s’entendre. Cette multiplicité des candidatures avait été fatale à l’opposition : le candidat du PDG, Ali Bongo Ondimba, l’avait emporté avec 41,73 % des voix, profitant de la dispersion des suffrages entre ses principaux opposants, André Mba Obame (25,88 %) et Pierre Mamboundou (25,22 %).
Ping n’est pas le candidat naturel de l’opposition, se cabre Mike Jocktane.
En 2016, en l’absence de Mba Obame, il serait tout aussi étonnant que le représentant de l’Union du peuple gabonais (UPG), affaiblie et divisée depuis le décès de son fondateur, Pierre Mamboundou, vienne titiller le concurrent du parti au pouvoir. Mais rien n’est joué.
>> Lire aussi : la présidentielle de 2016, c’est déjà demain
Déjà un pied dans la majorité
Récemment rallié à l’opposition, Jean Ping, tête d’affiche du Fuopa, va certainement postuler pour être son candidat. Porté par le courant des souverainistes de l’UN, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine devrait bénéficier du soutien de ces derniers (qui constituent la première force d’opposition). D’ores et déjà, il travaille à rassembler un électorat étendu, des appuis de Mba Obame en 2009 à la frondeuse Port-Gentil, alors acquise à Mamboundou. Mais la capitale économique n’est pas encore gagnée pour Ping. Il n’est pas sûr de compter parmi ses soutiens le président du Parti pour le développement et la solidarité (PDS), Séraphin Ndaot Rembogo, l’autre grosse pointure politique de son Ogooué-Maritime natal. Ancien maire de Port-Gentil, Ndaot voue à Ping une animosité proverbiale et a déjà un pied dans la majorité : il a adhéré au pacte social proposé par Ali Bongo Ondimba.
D’autres appuis pourraient lui faire défaut au sein même de l’Union nationale, où il compte paradoxalement le plus d’amis. "Ping n’est pas le candidat naturel de l’opposition", se cabre Mike Jocktane, le principal lieutenant d’André Mba Obame, qui roule désormais pour lui-même et n’exclut pas de tenter sa chance en 2016. "Je suis conscient de la difficulté que nous pourrions rencontrer dans l’organisation d’une élection primaire au sein de l’opposition, reconnaît-il. C’est pourquoi je recommande de désigner notre candidat suivant une procédure et des critères bien précis." Et il faudra rassurer les barons du mouvement, notamment Jean Eyeghe Ndong ou Zacharie Myboto, lequel pousse d’ailleurs son gendre, Paul-Marie Gondjout, à se porter candidat.
"Coming out politique" de Raymond Ndong Sima ?
Un projet que pourraient peut-être caresser d’autres "indépendants", comme le président du Parti social démocrate (PSD), Pierre-Claver Maganga Moussavou, qui a montré sa propension à se singulariser en se présentant aux législatives alors qu’elles étaient boycottées par l’opposition, et auquel son fief de Mouila, en pays Punu (centre), a toujours été fidèle ces dernières années.
Enfin, quelques personnalités en rupture de ban sont susceptibles de nourrir pareilles ambitions, à l’instar de l’ex- Premier ministre Raymond Ndong Sima. Son passage à la primature (entre février 2012 et janvier 2014) a été une longue suite d’affrontements avec le premier cercle du chef de l’État. Les blessures qu’il en a gardées l’ont poussé vers l’opposition, même s’il n’a pas encore fait son "coming out" et dit consacrer son temps à l’écriture de son livre, Quel renouveau pour le Gabon ?, à paraître le 5 mars.
Assurément, le candidat unique de l’opposition sera un oiseau rare difficile à trouver. Encore faut-il le chercher…
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