Palestine : Mahmoud Abbas, le chant du cygne

Ignoré par Tel-Aviv, décrédibilisé aux yeux de son peuple, le président de l’Autorité palestinienne tente vaille que vaille de sauver la face. Mais la question de sa succession se pose plus que jamais.

Ni guerrier, ni visionnaire, Mahmoud Abbas n’a pas l’étoffe de son prédécesseur, Yasser Arafat. © yuri Cortez / AFP

Ni guerrier, ni visionnaire, Mahmoud Abbas n’a pas l’étoffe de son prédécesseur, Yasser Arafat. © yuri Cortez / AFP

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Publié le 4 mars 2015 Lecture : 9 minutes.

Autrefois partenaire de Yasser Arafat, Mahmoud Abbas – dit Abou Mazen – a longtemps vécu dans l’ombre du père de la Palestine. En dix ans d’exercice du pouvoir, son pragmatisme n’a que trop peu été entendu par Israël pour qu’il puisse faire basculer l’Histoire et celle de son peuple. Quel héritage laisse-t-il ?

Aussi rusé que Benyamin Netanyahou, il était parvenu à l’imiter lorsque celui-ci se glissa en tête de la marche républicaine du 11 janvier, à Paris, mais il ne daignera pas lui adresser le moindre regard. Le Premier ministre israélien s’étant pratiquement invité à la marche, l’Élysée s’était finalement résolu à convier le raïs palestinien par souci d’équilibre. De ce désormais célèbre cliché, les observateurs retiendront que les deux dirigeants ne s’étaient pas affichés – presque – côte à côte depuis… 2010.

À Ramallah, ironie du sort, c’est une caricature qui a fini d’achever la crédibilité d’Abbas.

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"Ce comportement fait partie de l’hypocrisie et des acrobaties politiques dont Abbas est coutumier", s’insurge Mahmoud al-Zahar, haut dirigeant du Hamas à Gaza. Six mois après l’offensive destructrice de l’armée israélienne, le mouvement islamiste palestinien accuse son vieux rival de bloquer la reconstruction de la bande de Gaza, ainsi que les salaires des fonctionnaires. "Il laisse son peuple mourir de faim dans le froid glacial", ajoute Zahar, alors que l’hiver frappe durement l’enclave palestinienne.

Obtenir une reconnaissance unilatérale de l’État palestinien

À Ramallah, ironie du sort, c’est une caricature qui a fini d’achever la crédibilité d’Abbas. Le 1er février, le prophète Mohammed apparaît à la une du journal Al-Hayat Al-Jadida, propriété de l’Autorité palestinienne, en train de répandre des graines sur le globe terrestre. Le dessin déclenche une vive polémique sur les réseaux sociaux. Loin de se poser en fervent défenseur de la liberté d’expression, et trahissant par là même l’esprit de Charlie Hebdo au nom duquel il avait manifesté, le président Abbas réclame une enquête immédiate, insistant sur "la nécessité de prendre des mesures dissuasives à l’encontre des responsables de cette terrible erreur".

Les dirigeants israéliens de droite, eux, ont toujours perçu Abbas comme un fourbe modulant son discours au gré de ses interlocuteurs. Au début de l’année, sa demande d’adhésion à la Cour pénale internationale (CPI) a ainsi été qualifiée d’"hypocrite" par le gouvernement Netanyahou, pour qui "l’Autorité palestinienne n’est pas un État, mais une entité liée à une organisation terroriste, le Hamas, auteur de crimes de guerre".

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À l’aube de ses 80 ans, le locataire de la Mouqataa multiple les démarches visant à obtenir une reconnaissance unilatérale de l’État palestinien pour se consoler de l’échec d’un processus de paix auquel il a consacré une grande partie de sa vie politique. Dès la fin des années 1970, alors qu’il dirige les finances de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), ses tentatives de dialogue avec les formations pacifistes israéliennes lui valent de nombreux procès en trahison. Les tueurs d’Abou Nidal, un dissident du Fatah, se chargent alors d’éliminer ses émissaires secrets et s’engagent dans le terrorisme pour couper court à toute normalisation.

L’élite de la diaspora

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Dès lors, Arafat se sert d’Abbas comme médiateur. Après la prise d’otages de l’ambassade saoudienne à Paris, en septembre 1973, il l’envoie à Bagdad pour tenter de raisonner Abou Nidal. En vain ; furieux du jusqu’au-boutisme de ce dernier, Abbas claque la porte de la réunion et exige d’Arafat qu’il bannisse à jamais le traître aux ordres de Saddam Hussein. Le "Vieux" apprécie le dévouement de son numéro deux, qu’il charge, à partir de 1984, des relations internationales de l’OLP.

Les deux hommes s’étaient connus au Koweït dans les années 1950. Abbas, dont la famille avait été expulsée de Safed après la première guerre israélo-arabe, a une telle soif de revanche qu’il participe à la création du Fatah, en 1959. Jeune docteur en histoire de l’université de Moscou, Abbas incarne l’élite de la diaspora palestinienne et se distingue par une certaine clairvoyance, qui fera longtemps défaut aux cadres de l’OLP, enfermés dans le déni d’Israël.

Cette approche iconoclaste le conduit à piloter les négociations secrètes qui déboucheront, en septembre 1993, sur la signature des accords d’Oslo, consacrant la reconnaissance mutuelle entre l’OLP et l’État hébreu. Sur la pelouse de la Maison Blanche, Abbas et Arafat paraphent ensemble le document qui les fait entrer dans l’Histoire. C’est aussi là que leurs relations se compliquent. À partir de 1996, année charnière où il est propulsé secrétaire général de l’OLP, Abbas accepte de moins en moins de n’exister que dans l’ombre d’Arafat. Quatre ans plus tard, la seconde Intifada lui donne l’occasion de prendre ses distances avec le leader historique palestinien. Abbas s’oppose ouvertement à la militarisation de la "guerre des pierres" qui, pour lui, "n’a pas fait ses preuves". Agacé par les errements d’Arafat, alors assiégé dans la Mouqataa, il part bouder au Qatar, désespéré face à l’isolement diplomatique des Palestiniens.

La rue palestinienne, elle, rêve d’être dirigée par le charismatique Marwan Barghouti, emprisonné par l’État hébreu.

Son pragmatisme finit par lui donner raison. Sous la pression des Américains, Abbas est nommé Premier ministre de l’Autorité palestinienne le 19 mars 2003. Sa volonté de mettre fin à l’anarchie et de mater les factions armées dissidentes, comme le Hamas et le Jihad islamique, ne lui vaut pas que des amis. Les islamistes palestiniens l’accusent de trahison et le menacent de mort pour "avoir renoncé aux sacro-saints principes du mouvement national".

Le poids du dernier discours d’Arafat

À la mort d’Arafat, un an plus tard, Abbas est proche de jeter l’éponge. Il finit par s’engager à poursuivre le combat de son mentor. "Je me sens lié par le dernier discours d’Arafat devant le Conseil constitutif [du 18 août 2004]. S’il s’agit d’un discours extrémiste, comme certains le prétendent, alors je suis également extrémiste. Pourtant, en réalité, je ne le suis pas", affirme-t-il. En 2005, son élection comme président ne suscite aucun enthousiasme en Cisjordanie, encore moins dans la bande de Gaza.

Si Abbas appelle de ses voeux la "paix des braves", il n’a pas l’étoffe de son légendaire prédécesseur. Ni guerrier dans l’âme ni visionnaire, et certainement trop bureaucrate. Selon ses proches collaborateurs, Abbas arrive à son bureau à 10 heures, rentre chez lui en début d’après-midi pour faire une sieste et retourne travailler quatre ou cinq heures. Depuis trente ans, il emploie la même secrétaire et s’appuie sur les dernières sentinelles de l’OLP, Nabil Abou Roudeina et Yasser Abd Rabbo, tandis que la rue palestinienne rêve d’être dirigée par le charismatique Marwan Barghouti, emprisonné par l’État hébreu (voir ci-dessous).

La présidence d’Abbas est agitée. Entre un processus de paix moribond, miné par la colonisation israélienne, et les luttes intestines palestiniennes, le raïs passe le plus clair de son temps à résoudre des crises. La rupture avec le Hamas constitue assurément un tournant majeur. Le 26 janvier 2006, la victoire des islamistes aux législatives l’oblige à nommer Ismaïl Haniyeh comme Premier ministre. Mais un an plus tard, une guerre fratricide oppose le Fatah et le Hamas à Gaza. Le conflit tourne à l’avantage des islamistes, qui prennent le contrôle de l’enclave. Craignant d’être renversé en Cisjordanie, Abbas décrète l’état d’urgence et nomme Salam Fayyad comme nouveau chef du gouvernement… de Ramallah.

Former un gouvernement transitoire

Son mandat s’achevant théoriquement en janvier 2009, Abbas annonce d’abord qu’il n’est pas candidat à sa propre succession, mais il repousse finalement les élections et se maintient tant bien que mal à la tête d’un Fatah corrompu et d’une Autorité palestinienne sous perfusion qui ne gouverne que la Cisjordanie. N’ayant obtenu aucune concession ni d’Israël ni des États-Unis malgré sa docilité, il est totalement décrédibilisé auprès de son peuple.

Et tente une opération rachat qui va s’opérer en trois temps. En octobre 2010, Abbas suspend les négociations directes avec Israël après que Netanyahou a refusé de poursuivre le gel de la colonisation en Cisjordanie. Seconde initiative le 27 avril 2011 lorsque, à la surprise générale, son parti, le Fatah, conclut au Caire un accord avec le Hamas afin de former un gouvernement transitoire en vue d’élections présidentielle et législatives. Ultime étape : face à l’intransigeance de l’État hébreu, il rencontre tour à tour la plupart des chefs d’État arabes et européens à qui il demande de soutenir la création, dès l’automne 2011, d’un État palestinien.

Si la démarche d’Abbas n’a aucun effet concret, elle n’en a pas moins provoqué l’isolement croissant d’Israël sur la scène internationale.

Sa première tentative à l’ONU échoue à cause du veto américain. Mais le 29 novembre 2012, date anniversaire du vote du plan de partage de 1947, la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État non membre de l’ONU est validée par l’Assemblée générale. À son retour de New York, Abbas peut enfin savourer une victoire : il est acclamé par des milliers de partisans réunis devant la Mouqataa. "Maintenant, nous avons un État. La Palestine a réussi quelque chose d’historique aux Nations unies, lance le raïs, avant de conclure : Jérusalem est à jamais notre capitale."

Si la démarche d’Abbas n’a aucun effet concret, elle n’en a pas moins provoqué l’isolement croissant d’Israël sur la scène internationale. Et le président palestinien d’enfoncer le clou, multipliant les demandes d’adhésion aux agences onusiennes, de même qu’à la Cour pénale internationale (CPI) après la guerre à Gaza, l’été dernier. Une politique qui risque de dresser contre lui de potentiels partenaires israéliens, à l’instar de Tzipi Livni, nouvelle transfuge du parti travailliste, ou de l’ancien émissaire américain Dennis Ross, qui somme l’Europe "d’arrêter de laisser les Palestiniens faire cavalier seul".

Tel est donc l’héritage que devrait laisser Abbas, au moment où la question de sa succession se pose à nouveau. À Ramallah, le nom de Mohamed Dahlan, 53 ans, revient avec insistance depuis quelques mois, bien que son procès pour corruption se soit ouvert en décembre 2014 en son absence. L’ancien chef de la sécurité à Gaza avait fui l’enclave en 2007, au plus fort des combats entre le Fatah et le Hamas. Et pour cause : quand Arafat lui confia la direction des forces préventives palestiniennes, après les accords d’Oslo, sa mission était sans équivoque : mater les islamistes. Dahlan, par ailleurs, a toujours été suspecté de connivence avec la CIA, voire d’être l’homme des Israéliens. Personnage sulfureux, il s’est vu récemment attribuer la nationalité serbe pour avoir favorisé les investissements du Golfe dans les Balkans.

Message secret de Netanyahou

Aujourd’hui réfugié aux Émirats arabes unis, Dahlan dispose d’appuis politiques forts dans le monde arabe. Reste que ses rapports avec Abbas, qui l’a fait bannir du Fatah en 2011, sont exécrables et pourraient faire obstacle à son retour aux affaires. En attendant, l’État hébreu plaide ouvertement sa cause. Début janvier, la presse israélienne révélait que Benyamin Netanyahou aurait transmis un message secret à Mahmoud Abbas pour l’informer que plusieurs rencontres se seraient tenues entre un ministre israélien – qui pourrait être Avigdor Lieberman – et Mohamed Dahlan.

Un fédérateur nommé Barghouti

Marwan Barghouti croupit dans la cellule numéro 28 de la prison de Hadarim, près de Tel-Aviv, où il est incarcéré depuis une dizaine d’années. Usé par sa détention, il est de plus en plus avare de déclarations. La dernière en date remonte à juillet 2014. "Palestiniens, ne baissez pas les bras", écrit-il, alors que Gaza subit les bombardements israéliens. Il adresse surtout un message politique à la direction palestinienne et à Mahmoud Abbas, qu’il implore de "prendre part aux côtés du peuple palestinien à la bataille constante pour la résistance, la levée du siège et la reconstruction".

Son arrestation, le 15 avril 2002, avait sonné le glas de la seconde Intifada. Condamné le 20 mai 2004 à cinq peines de réclusion à perpétuité, l’ancien chef militaire du Fatah n’a jamais reconnu la légitimité de la justice israélienne. En Cisjordanie et à Gaza, ses partisans ont perdu tout espoir de le voir libéré. En 2011, il avait été exclu de la liste de prisonniers palestiniens relâchés en échange de Gilad Shalit. Il n’empêche, Marwan Barghouti continue d’être perçu, aujourd’hui encore, comme la seule figure palestinienne capable de fédérer son peuple.

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