Opposition togolaise : chacun pour soi et tous pour lui ?

L’union fait la force, c’est bien connu. Pourtant, l’opposition ira une fois encore en ordre dispersé à la présidentielle du mois d’avril. Et cela ne peut qu’arranger le chef de l’État sortant.

Faure Gnassingbé, le président sortant, et son principal adversaire, Jean-Pierre Fabre. © Baudoin Mouanda pour J.A./Vincent Fournier pour J.A./Montage J.A.

Faure Gnassingbé, le président sortant, et son principal adversaire, Jean-Pierre Fabre. © Baudoin Mouanda pour J.A./Vincent Fournier pour J.A./Montage J.A.

Christophe Boisbouvier

Publié le 4 mars 2015 Lecture : 6 minutes.

L’opposition togolaise est face à l’un de ses vieux démons : la division. Depuis la loi électorale du 31 décembre 2002, il n’y a plus de second tour à l’élection présidentielle, et l’opposition doit resserrer les rangs si elle veut espérer l’emporter. En 2005, elle s’était rassemblée derrière Emmanuel Bob Akitani et avait affirmé que, sans la fraude, elle aurait gagné haut la main. En 2010, elle est allée à la bataille en ordre dispersé. Cette année, tout indique qu’elle va encore partir désunie, du moins en partie, ce qui ne peut que faire l’affaire du président sortant, Faure Gnassingbé, 48 ans, candidat à un troisième mandat.

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Pour surmonter cette difficulté, Kofi Yamgnane a fait une proposition à ses partenaires de l’opposition : exercer une forte pression sur le pouvoir afin de l’obliger à rétablir un second tour avant le scrutin d’avril. "Si le régime ne veut pas réviser la loi électorale, nous devrons tous annoncer que nous boycotterons l’élection, a expliqué le Franco-Togolais. Si aucun opposant n’est candidat, vous imaginez le bruit que cela va faire ! À ce moment-là, le pouvoir sera obligé de réformer la loi." Le problème, c’est que les leaders de l’opposition togolaise sont trop divisés pour se mettre tous ensemble autour d’une table. Pas d’appel collectif au rétablissement d’un second tour, pas de création d’un front commun en vue de cet objectif… Chacun joue sa carte dans son coin.

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Si l’élection reste à un tour, Jean-Pierre Fabre, le président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), est tout de même persuadé qu’il peut battre Faure Gnassingbé. Ses atouts ? Il en a au moins trois. D’abord sa constance dans l’opposition. À la différence de Gilchrist Olympio, de l’Union des forces de changement (UFC), ou de Me Yawovi Agboyibo, du Comité d’action pour le renouveau (CAR), il n’a jamais accepté d’entrer au gouvernement.

Ensuite l’implantation de son parti : avec 16 députés, l’ANC est la première force d’opposition à l’Assemblée nationale. Enfin ses alliances : avec la coalition CAP 2015, Fabre a réussi à rallier à sa candidature d’autres figures de l’opposition, comme Brigitte Adjamagbo-Johnson, de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA), et Me Abi Tchessa, du Parti socialiste pour le renouveau (PSR) – un Kabyè du nord du Togo qui chasse sur les terres de la famille Gnassingbé.

Fabre a, à deux reprises, rencontré Faure Gnassingbé au palais présidentiel, et les portes commencent à s’ouvrir en Afrique de l’Ouest.

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Jean-Pierre Fabre, 62 ans, y croit d’autant plus qu’à la présidentielle de mars 2010, malgré cette opposition désunie, la commission électorale lui a attribué la ­deuxième ­place, avec 33,93 % des voix – derrière Faure Gnassingbé, crédité de 60,88 % des suffrages. Fabre affirme qu’à l’époque le scrutin avait été entaché de fraudes. "Cinq jours après le scrutin, la gendarmerie n’a pas hésité à saisir tous les procès verbaux de vote que j’avais rassemblés dans mon QG de campagne, rappelle-t-il. Cette fois-ci, l’effet de la révolution burkinabè se fera ressentir. S’il y a une volonté de falsifier les résultats, la population réagira."

Jean-Pierre Fabre est-il trop radical ? C’est ce que disent ses adversaires. Le numéro un de l’opposition togolaise est conscient que cette image peut l’isoler sur la scène internationale. Du coup, depuis deux ans, il met de l’eau dans son vin. Il a, à deux reprises, rencontré Faure Gnassingbé au palais présidentiel, et les portes commencent à s’ouvrir en Afrique de l’Ouest. Ainsi, en octobre 2013, a-t-il été reçu à Abidjan par l’Ivoirien Alassane Ouattara. En mars, il devrait effectuer une tournée sous-régionale (avec des escales notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal) pour mobiliser des soutiens

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En 2010, en dépit de la multiplicité des candidatures, Fabre (ici en décembre 2014)
était arrivé deuxième avec presque 34% des suffrages. © Noel Koukou Tadegnon/Reuters

Seuls trois petits opposants dans la course

Dans l’opposition, deux figures plus modérées ont tenté de se démarquer de Fabre, avant de finalement renoncer à se porter candidat. Au CAR d’abord. En 2010, Me Yawovi Agboyibo a été crédité d’un score très modeste, 2,95 %. Cette année, l’ex-Premier ministre de Faure (de septembre 2006 à décembre 2007) a voulu céder sa place à un autre avocat, Apévon Dodji. Ensuite Kofi Yamgnane, 69 ans.

En mars 2010, l’ancien secrétaire d’État français aux Affaires sociales et à l’Intégration (de mai 1991 à mars 1993) n’a pas pu se présenter, car ses documents d’état civil mentionnaient deux dates de naissance différentes. "Depuis, le problème a été réglé par un jugement supplétif", précise-t-il. Sa double nationalité est-elle un handicap ? "Je sais bien que mes adversaires prétendent que je ne connais pas le terrain togolais, répond-il. Mais c’est totalement faux. Et, dans les villages, beaucoup disent à mon propos : "Si les Blancs l’ont jugé assez intelligent pour être ministre chez eux, pourquoi ne serait-il pas capable de gouverner chez nous ?"" Finalement, empêtré dans une affaire judiciaire en France (voir ci-dessous), Kofi Yamgnane a dû jeter l’éponge.

Toujours dans l’opposition, trois petits candidats se sont, eux, vraiment lancé dans la course. Aimé Gogué, sous les couleurs de l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI), Gerry Taama, pour le Nouvel Engagement togolais (NET), et Tchassona Traoré, au nom du Mouvement citoyen pour la démocratie et le développement (MCD). "Comme ils n’atteindront jamais 5 % des suffrages et ne pourront pas récupérer le cautionnement de 20 millions de F CFA [30 500 euros], je me demande s’ils ne sont pas aidés en haut lieu pour nous prendre des voix", glisse un proche de Jean-Pierre Fabre.

Reste le cas Olympio. Pas Gilchrist, qui reste comme prévu à la maison. Mais Alberto Olympio, petit-neveu de Sylvanus Olympio, le premier président du Togo. Le fondateur du Parti des Togolais, qui a finalement renoncé lui aussi à se porter candidat, est un nouveau venu difficile à classer. Ingénieur informatique diplômé de la Harvard Business School, aux États-Unis, il a monté une société de logiciels et a apporté son savoir en matière de comptabilité électorale au candidat Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) lors de la présidentielle d’août 2013 au Mali.

Depuis quelques mois, Alberto Olympio se bat pour la transparence du fichier électoral. Le 24 avril 2005, l’image de l’urne volée par un militaire en plein jour a fait le tour du monde. Le 4 mars 2010, la panne du système de centralisation des résultats par internet – financé par l’Union européenne (UE) – a fait couler beaucoup d’encre. Cette fois, l’opposition veut croire qu’elle a sa chance.

Kofi Yamgnane a-t-il été piégé ?

C’est une drôle d’histoire. Il y a un an, le 24 janvier 2014, Kofi Yamgnane organise à Paris une réunion de collecte de fonds pour sa future campagne au Togo. À la fin, l’opposant togolais dédicace son livre Afrique, introuvable démocratie (éditions Dialogues, 2013). Une femme lui tend une enveloppe. Il l’accepte. Puis, le lendemain, il constate qu’elle contient 3 000 euros. Jusque-là, tout le monde est d’accord.

Là où les versions divergent, c’est sur l’objet de cette gratification. La femme, qui est marocaine, affirme qu’elle a remis l’argent à Yamgnane en échange de la promesse que celui-ci l’aiderait à obtenir un titre de séjour en France. Le Franco-Togolais déclare qu’il a reçu cette enveloppe en croyant qu’il s’agissait d’un geste militant. Et il ajoute : "Aux côtés de cette femme, il y avait son avocat, Marcel Ceccaldi, qui m’a dit : "C’est pour participer à votre campagne.""

Aujourd’hui, l’ex-conseiller Afrique du candidat François Hollande est mis en examen pour trafic d’influence et attend d’être confronté à son accusatrice. "Depuis trente ans, j’ai aidé des milliers de gens à obtenir un visa ou un logement, et je n’ai jamais rien demandé en échange", dit-il. L’affaire ne semble pas le troubler outre mesure. Mais il a finalement renoncé à se porter candidat.

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