Sénégal : l’affaire Wade
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 23 février 2015 Lecture : 3 minutes.
Le procès Karim Wade, véritable marathon judiciaire entamé le 31 juillet 2014 à Dakar, s’est achevé ce 19 février. Jugement attendu le 23 mars. L’enjeu est énorme. D’abord pour l’ancien ministre et fils de l’ex-président, qui risque sept ans de prison, plus de 380 millions d’euros d’amende, la confiscation de ses biens et la privation de ses droits civiques. Mais aussi, et surtout, pour la justice sénégalaise et, plus largement, africaine.
Car, du nord au sud du continent, très rares sont les procès sensibles, c’est-à-dire à connotation politique, où les sacro-saints principes d’équité des débats et d’équilibre des sentences sont scrupuleusement respectés. Or, sans préjuger du fond d’un dossier (près de 40 000 pages !) dont personne ne connaît vraiment le contenu exact, mais dont tout le monde parle, il est évident que ce feuilleton qui passionne les Sénégalais ne s’est pas déroulé dans les meilleures conditions de sérénité. Depuis le début, notamment quand, en mars 2013, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) a demandé à Karim Wade de justifier, dans un délai d’un mois, un patrimoine évalué à… plus de 1 milliard d’euros (il aurait fallu vider les comptes de tout le pays pour parvenir à un tel montant !), les dés étaient pipés.
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Pour les juges de la Crei, le seul défi qui vaille est celui de la crédibilité. Réponse le 23 mars.
Le milliard s’est transformé en 178 millions d’euros (quand même…), signe d’une instruction bâclée, alors qu’il n’y avait aucune raison de se précipiter. L’ex-procureur spécial Alioune Ndao a dû être limogé le 11 novembre 2014 : subitement célèbre et puissant, l’homme était devenu incontrôlable, faisant régulièrement fi de la présomption d’innocence, jetant en pâture aux médias les noms de personnalités soupçonnées de prévarication et, surtout, donnant en permanence l’impression de vouloir "se payer" Karim Wade, alors que les éléments en sa possession, souvent farfelus, ne l’y autorisaient guère. Ainsi, notamment, de la thèse selon laquelle la filiale sénégalaise de Dubai Port World appartenait au fils de l’ex-président…
Pas vraiment l’image d’un magistrat intègre, lequel, à force d’égrener des accusations qui se sont ensuite dégonflées, n’a fait qu’accréditer l’impression d’une enquête à charge reposant sur peu de preuves tangibles. Que dire, enfin, du président de la Cour, qui se permet, en pleine audience, d’apostropher le prévenu en ces termes : "Toi et tes complices…" ? La justice sénégalaise, en tout cas l’image qu’en ont les citoyens, ne sort guère grandie, pour l’instant, de ce cirque ultramédiatisé. Qui pourtant se déroule dans le pays d’Afrique francophone où l’État de droit est le mieux respecté. Il n’est pas trop tard pour y remédier.
Karim Wade est un justiciable comme les autres, ni au-dessus ni au-dessous des lois. Son statut d’ex-ministre et de fils d’un ancien chef d’État ne doit pas l’immuniser. Pas plus qu’il ne doit l’accabler. Sa réputation, en matière d’argent, n’est guère flatteuse, et les rumeurs sont légion. Mais le droit n’est pas supputation. Axiome simple s’il en est : preuves de délit(s) ou de crime(s) = condamnation. Pour les juges de la Crei, le seul défi qui vaille est celui de la crédibilité. Réponse le 23 mars.
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