Tunisie : les hommes du président Béji Caïd Essebsi

Conseillers, collaborateurs ou proches, ils bénéficient d’un accès direct au palais de Carthage. Et joueront un rôle clé dans le dispositif du nouveau chef de l’État.

Béji Caïd Essebsi (à dr.) lors de la prestation de serment des membres du gouvernement. © Ons Abid

Béji Caïd Essebsi (à dr.) lors de la prestation de serment des membres du gouvernement. © Ons Abid

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 24 février 2015 Lecture : 5 minutes.

Abdessatar Messaoudi, membre du bureau exécutif de Nidaa Tounes, avocat et "ami personnel" de Béji Caïd Essebsi, s’en était ému dans la presse : une "troïka de l’ombre" formée par Ridha Belhaj, Mohsen Marzouk et Rafaa Ben Achour ferait la pluie et le beau temps au palais de Carthage, aurait isolé le président et l’aurait même "obligé" (sic) à "changer de numéro de téléphone" (re-sic) !

Dans un autre registre, Khemaïs Ksila, l’un des élus frondeurs du parti présidentiel, s’en était pris vertement, début janvier, à Marzouk et à Ben Achour, leur reprochant de marginaliser le groupe parlementaire de Nidaa. Le député rebelle avait été rappelé à l’ordre. Ce qui ne l’a pas empêché, le 8 février, de récidiver, mais cette fois à l’encontre de Ridha Belhaj, en l’accusant d’"hégémonie"…

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C’est la loi du genre : les principaux collaborateurs du président sont au coeur de toutes les supputations. À tort ou à raison, on croit deviner leur empreinte derrière chaque décision, chaque nomination. Mais au-delà de ces critiques, un constat trivial s’impose : avec l’élection de "BCE" à la magistrature suprême, le vrai pouvoir s’est déplacé à Carthage. Le choix de Habib Essid comme Premier ministre s’inscrit dans cette logique.

Grand commis de l’État sans attache partisane, le chef du gouvernement ne devrait pas faire de l’ombre au chef de l’État ou à son entourage. Pour autant, Béji Caïd Essebsi et son staff n’entendent pas s’ingérer dans l’activité quotidienne de l’équipe ministérielle. Ceux qui le connaissent bien l’assurent : BCE sera un "président régnant", à la manière d’un François Mitterrand, plutôt qu’un hyperprésident, à la manière d’un Nicolas Sarkozy.

Pour gouverner, il s’appuiera d’abord sur un petit quatuor de fidèles : Ridha Belhaj, donc, le directeur du cabinet présidentiel, Mohsen Marzouk, le conseiller spécial, Rafaa Ben Achour, le juriste, et Moez Sinaoui, le porte-parole. Quatre hommes de confiance qui ont tous travaillé à ses côtés au gouvernement, en 2011, ou au parti, entre 2012 et 2014. Belhaj, qui a l’expérience des rouages de l’État et de la coordination, puisqu’il a été secrétaire général du gouvernement, aura sous ses ordres une administration forte de 3 000 agents (dont 2 300 relèvent de la garde présidentielle) et dotée d’un budget annuel de 86 millions de dinars (plus de 39 millions d’euros).

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Il sera secondé par le benjamin de l’équipe, Sélim Azzabi, 37 ans, diplômé de l’École centrale de Paris et "jeune pousse" de Nidaa Tounes, qui a codirigé la campagne présidentielle de BCE aux côtés de Mohsen Marzouk (il était en charge de la logistique). Nommé secrétaire général de la présidence, Azzabi chapeautera notamment les entités administratives qui émargent au budget du Palais.

Les conseillers spécialisés offrent des profils plus hétérogènes. Certains, comme le conseiller diplomatique Khemaïs Jhinaoui, sont des visages connus. Ex-ambassadeur à Londres et à Moscou, il a été secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans le gouvernement BCE en 2011. Le conseiller défense, le contre-amiral Kamel Akrout, sera, lui, appelé à jouer un rôle déterminant dans le cadre de la mise en place de la stratégie antiterroriste.

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Sa nomination à Carthage est à la fois un symbole et un signal fort. Cet ancien directeur général de la sécurité militaire, à la compétence reconnue, avait été une des victimes de la purge décidée en août 2013 par le président Moncef Marzouki, orchestrée en sous-main par le conseiller militaire de l’époque, le très controversé Brahim Ouechtati. Akrout avait été "exilé" à Abou Dhabi, aux Émirats, comme attaché militaire. Raoudha Mechichi, ancienne première présidente du tribunal administratif, a été nommée conseillère juridique de la présidence. Proche de l’épouse de Ridha Belhaj, elle remplace Ahmed Ouerfelli, dont la présence était devenue indésirable.

Le poste de directeur du protocole présidentiel reste à pourvoir. Il était occupé, depuis avril 2012, par le diplomate Mondher Mami, qui était sur le départ depuis plusieurs mois et qui a officialisé sa démission fin janvier. Certains ont voulu le tenir pour responsable du ratage de la cérémonie d’anniversaire de la révolution, organisée le 14 janvier, fortement perturbée par des agitateurs qui s’étaient glissés parmi les familles des martyrs. En réalité, la responsabilité serait plutôt à chercher du côté de la sécurité, trop laxiste. Mais ce fiasco inaugural, qui a porté un coup au "prestige de l’État" que BCE entendait restaurer, a démontré que la moindre improvisation se payait cash.

Un accès direct au président

Une autre figure occupera un rôle clé dans le dispositif du chef de l’État : Mohamed Ennaceur, 80 ans, le président de l’Assemblée. Ancien ministre des Affaires sociales de Habib Bourguiba, il avait retrouvé ce portefeuille en 2011. Il était, avec le ministre de la Justice de l’époque, Lazhar Karoui Chebbi, un des "sages" qui échangeaient le plus régulièrement avec BCE.

Consensuel, apprécié par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale, et disposant de relais à l’international, notamment en Allemagne et dans les pays scandinaves, Ennaceur a rejoint Nidaa Tounes en qualité de vice-président, un poste spécialement créé pour lui début 2014. Il a succédé fin 2014 à BCE à la présidence du parti, qu’il cumulera avec la présidence de l’Assemblée. Lazhar Karoui Chebbi, à 87 ans, vient quant à lui d’être nommé ministre représentant personnel du chef de l’État.

Absentes de l’organigramme, d’autres personnalités bénéficient néanmoins d’un accès direct au président. C’est notamment le cas de son fils, Hafedh Caïd Essebsi, "HCE", qui vient d’intégrer le comité constitutif de Nidaa, instance décisionnelle du parti. C’est également le cas de l’homme d’affaires établi en Allemagne Abderraouf Khammassi, un vieil ami de la famille. Il a rencontré BCE à Bonn dans les années 1986-1987, quand ce dernier était ambassadeur en République fédérale d’Allemagne. Il a pris sous son aile et hébergé Hafedh Caïd Essebsi après le retour de son père en Tunisie.

Réputé proche des milieux de l’ex-RCD (le Rassemblement constitutionnel démocratique, parti de l’ex-président Ben Ali), il fait jaser mais a rendu bien des services pendant la campagne. Nabil Karoui, le patron de la chaîne privée Nessma, qui a été l’un des premiers, en 2011, à miser sur le "retraité BCE", a lui aussi réussi à tisser une relation spéciale et affective avec le patriarche. Spécialiste du mélange des genres – il possède aussi une agence de communication -, il agace autant qu’il séduit dans l’entourage du "patron", mais reste incontournable.

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