Cartographie – Boko Haram sur les traces du califat de Sokoto ?
Les dirigeants de Boko Haram rêveraient-ils de faire revivre le califat de Sokoto, établi au XIXe siècle et disparu au moment de la colonisation britannique ? Leurs intentions ne sont pas claires.
Boko Haram a posté trois vidéos sur You Tube début février, dans l’intention évidente de braver les voisins du Nigeria qui s’organisent pour contrer l’expansion de la secte jihadiste. Dans l’une d’elles, l’on voit, selon l’AFP, des images d’archives faisant référence au califat de Sokoto. L’évocation par la secte de cet épisode historique est rare. Avant sa mort en 2012, Abul Qaqa, un proche du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, qui faisait office de porte-parole du groupe armé, avait prévenu : "Notre objectif est de revenir au Nigeria d’avant la colonisation, quand la charia était la loi appliquée à tous." Autant dire : lorsque le nord du Nigeria était administré par le califat de Sokoto.
Pour autant, jamais Shekau n’a revendiqué l’héritage de ce califat. Si les meilleurs spécialistes du Nigeria notent des similitudes dans l’histoire de ces deux mouvements, ils sont comme tout le monde : ils ne voient pas bien quels sont les objectifs de cette secte qui est devenue, au fil des ans, le groupe jihadiste le plus sanglant du continent.
Sokoto : un califat centenaire
Le califat de Sokoto fut établi au début du XIXè siècle dans une région couvrant le nord de l’actuel Nigeria, à l’exception notable d’une zone s’étendant du nord de Kano aux rives du lac Tchad et au sud de Maiduguri – un territoire principalement peuplé de Kanuris qui faisait alors partie du Borno, une dyarchie qui résista aux jihadistes de Sokoto, et qui correspond aujourd’hui, pour partie, à l’État de Borno, l’un des 36 que compte la Fédération du Nigeria. Le califat de Sokoto s’étendait également sur des pans du Cameroun actuel (dans ses zones septentrionales) et du Niger actuel (sud-ouest), et son influence allait même au-delà, jusqu’à Dori, ville du nord du Burkina Faso.
Ce califat a vu le jour après que l’imam Usman dan Fodio, à la tête du camp des réformateurs de l’islam, adeptes d’une purification de la pratique religieuse, eût déclaré la guerre aux souverains de la région, en 1804. Cinq ans plus tard, la quasi-totalité du septentrion du Nigéria actuel avait été conquise (à l’exception, donc, du Borno). La capitale de cet empire qui instaura la charia fut établie à Sokoto, dans le nord-ouest. Ce califat ne fut démantelé qu’un siècle plus tard, en 1903, par le colonisateur britannique
La charia de retour… cent ans après
En octobre 1999, le gouverneur de l’État de Zamfara (nord-ouest du pays) concrétise une promesse de campagne : il annonce la refonte du code pénal de l’État et réintroduit le droit de la charia, près de cent ans après la chute du califat de Sokoto. Trois ans plus tard, 12 des 36 États nigérians (soit tous ceux du Nord, dans lesquels la population est très majoritairement musulmane) avaient instauré la charia. C’est toujours le cas aujourd’hui. La carte le montre bien : les États ayant instauré la charia correspondent, peu ou prou, aux territoires soumis à l’empire de Sokoto au XIXè siècle.
Boko Haram impose son califat
En revanche, les territoires soumis au calife au XIXè siècle et ceux saignés par Boko Haram aujourd’hui ne sont pas exactement les mêmes. Le cœur du califat de Sokoto était situé au nord-ouest du Nigeria actuel (vers Kano et Sokoto, la capitale), tandis que la sphère d’influence du "califat de Boko Haram" se trouve au nord-est, dans les environs du lac Tchad, dans des territoires qui faisaient partie, dans le passé, de la dyarchie du Borno, et qui sont principalement peuplés de Kanuris (peuple dont sont issus nombre de chefs et d’adeptes de la secte). C’est à Gwoza, une ville située près de la frontière avec le Cameroun, qu’Abubakar Shekau a proclamé "son" califat, en août 2014. Et c’est à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, que la secte est née, au début des années 2000, et qu’elle ambitionne de revenir.
Dans sa folie meurtrière, l’organisation n’hésite cependant pas à dépasser ses "frontières" et à mener depuis des années des attentats plus à l’ouest (à Kano notamment, et dans de nombreux États majoritairement musulmans) et plus au sud (à Abuja, la capitale de l’État fédéral). Ansaru, une branche issue d’une dissidence au sein de la secte au début de cette décennie, mais dont tous les liens avec le commandement de Boko Haram n’ont pas été coupés, s’est en outre implantée dans le nord-ouest du Nigeria.
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