Boko Haram, la tactique du boucher

Le groupe islamiste agit-il en ordre dispersé ou suivant une véritable stratégie militaire ? De batailles en massacres, son organisation se dévoile peu à peu.

Zahra’u Babangida, 13 ans, arrêtée en décembre le corps ceint d’explosifs. © AP Photo/Sipa

Zahra’u Babangida, 13 ans, arrêtée en décembre le corps ceint d’explosifs. © AP Photo/Sipa

Publié le 23 février 2015 Lecture : 5 minutes.

La ville nigériane de Gambaru, réduite en cendres par les islamistes en mai 2014. © Jossy Ola/AP PHOTO
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Boko Haram, la sale guerre

Composée des troupes du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad, la force régionale s’est lancée dans la bataille pour enrayer l’avancée de la secte jihadiste. Une course contre la montre est engagée pour détruire un ennemi insaisissable et multiforme.

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Advienne que pourra, et Dieu saura reconnaître les siens : à première vue, telle semble être la stratégie de Boko Haram lorsque la secte s’attaque à une position militaire ou à de simples villageois. Comment expliquer autrement les hécatombes qu’occasionne, dans ses propres rangs, chacun de ses assauts ? Depuis des mois, elle compte ses morts par centaines.

Les 29 et 30 janvier, dans les environs de Fotokol au Cameroun, 123 jihadistes auraient péri au cours de deux attaques, selon un bilan donné par l’armée tchadienne (qui, elle, aurait perdu trois éléments). Lors de la première opération de Boko Haram au Niger, à Bosso, le 6 février, les militaires nigériens et tchadiens ont recensé entre 120 et 200 morts du côté des assaillants… Quel autre groupe armé pourrait survivre à de telles pertes sur le continent ?

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"Boko Haram est une réelle menace militaire, capable de se battre sur plusieurs fronts en même temps : le Niger, le Cameroun…", glisse un officier français. Capable aussi d’affronter frontalement, régulièrement, des armées, et de leur infliger de lourdes pertes (en deux semaines d’opérations au Cameroun et au Nigeria, 25 soldats tchadiens avaient été tués au 11 février, et des dizaines d’autres blessés). Capable, enfin, de déjouer leur vigilance pour orchestrer des massacres de masse. Le 4 février, alors que les armées tchadienne et camerounaise quadrillaient la zone, 81 habitants de la ville camerounaise de Fokotol ont été abattus, dont une trentaine dans la mosquée.

Le mode opératoire de la secte, qui sème la terreur dans le nord-est du Nigeria depuis cinq ans, est à l’image de son chef, Abubakar Shekau : confuse, morbide, audacieuse, insensée même, mais aussi bien plus sophistiquée qu’il n’y paraît, et toujours difficile à décrypter pour ses adversaires. "C’est bien plus structuré qu’on ne le pensait. Ce mouvement sait manoeuvrer militairement", confie une source diplomatique française.

>> Lire l’analyse en cartes : Boko Haram sur les traces du califat de Sokoto ?

Pillages et enlèvements, les spécialités de la secte

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La menace Boko Haram a plusieurs visages. Après le Cameroun, c’est au Niger d’en faire l’expérience. Le 6 février, des hordes d’hommes mais aussi d’enfants ont donc attaqué Bosso, ainsi que Diffa. Le 8, des obus ont été tirés sur cette dernière ville depuis le territoire nigérian. Le 9, des hommes ont pris d’assaut (sans succès) sa prison, où étaient incarcérés une trentaine d’éléments de Boko Haram. Puis un kamikaze, une femme vraisemblablement, s’est fait sauter au coeur de la cité, tuant cinq personnes. Autre spécialité de la secte, les pillages et les enlèvements, que les Nigérians et les Camerounais éprouvent depuis des années pour les premiers, depuis des mois pour les seconds.

"Il y a peut-être une part d’improvisation dans tout cela, mais il y a aussi une vraie stratégie", estime un officier ouest-africain. "C’est une guerre bâtarde, tantôt asymétrique, avec des opérations kamikazes ou des enlèvements, tantôt conventionnelle, avec des assauts coordonnés", notait déjà un officier camerounais après la bataille d’Amchidé le 15 octobre. Ce jour-là, les hommes de Boko Haram ont démontré qu’ils étaient bien plus que de simples illuminés.

Depuis plusieurs années, le groupe jihadiste recrute des milliers de jeunes Nigériens et Camerounais.

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Avant de se lancer à corps perdu sur le camp militaire d’Amchidé (107 morts dans leurs rangs), ils avaient envoyé aux militaires camerounais un faux informateur chargé de tromper leur vigilance en les prévenant d’une attaque, mais dans un autre village. Puis l’assaut a été donné à deux endroits différents, dans le but de disperser les forces camerounaises. D’abord, des 504 bourrées d’explosifs, conduites par des hommes destinés à la mort. Puis trois chars d’assaut. Et enfin l’infanterie : plusieurs centaines d’hommes armés de kalachnikovs.

Comme une armée, Boko Haram dispose d’informateurs un peu partout. Quand ils ont fondu sur la prison de Diffa le 9 février, ils savaient très certainement qu’il était prévu d’opérer, quelques heures plus tard, le transfert des éléments de Boko Haram qui y sont détenus. "Ils ont peut-être bénéficié d’une complicité, ou tout simplement d’une fuite", indique un officier nigérien à Niamey.

Depuis plusieurs années, le groupe jihadiste recrute des milliers de jeunes Nigériens et Camerounais, lesquels reviennent régulièrement au village et ont peut-être mis en place des cellules dormantes. À Diffa, il semble qu’elles se seraient réveillées ces derniers jours… Et au Nigeria, Boko Haram profite également de complicités à de plus hauts niveaux.

"Assoiffés de sang"

Au Cameroun comme au Nigeria, ceux qui ont survécu aux rezzous de Boko Haram racontent la même chose : quand les jihadistes arrivent, ils tirent sur tout le monde, les femmes, les enfants, les vieux, sans discernement. Mais ils ciblent aussi des personnes visiblement identifiées en amont, se dirigent vers leur demeure que des complices ont certainement repérée au préalable, et les tuent, d’une balle dans la tête ou d’un coup de machette. Au Nigeria, les "cibles" sont souvent des membres des milices d’autodéfense, qui ont pris le relais de l’armée lorsque celle-ci a déserté. Au Cameroun, ce sont des "indics" de l’armée.

Les services de renseignements occidentaux estiment que le groupe compte entre 6 000 et 7 000 combattants.

Les rescapés parlent également d’hommes "ensorcelés", "possédés", "assoiffés de sang". Drogués, très certainement. Parmi les quelque 300 hommes qui ont lancé l’assaut sur Bosso, certains portaient des armes à feu, mais d’autres n’avaient que des couteaux, des flèches ou des pierres. Un officier nigérien qui occupe de hautes responsabilités n’en revient toujours pas : "Ils attaquaient l’armée tchadienne, l’une des plus redoutées du continent, avec des armes blanches… C’est fou !"

Pour lui, cela ne fait guère de doute : la plupart de ces assaillants-là (dont très peu étaient en tenue de combat) n’étaient pas des combattants de Boko Haram, mais des civils que la secte avait attaqués, capturés et drogués. Nombre d’observateurs pensent qu’il en est de même pour les kamikazes, comme la fillette de 10 ans qui s’est fait sauter sur un marché de Maiduguri début janvier.

Si cette théorie est confirmée, cela explique pourquoi Boko Haram n’hésite pas à envoyer ces hommes et ces enfants à la mort. Et cela signifie que le groupe dispose d’un vivier intarissable de chair à canon. Quant à son "armée" proprement dite, elle reste un mystère, tout autant que son état-major. "Nous avons une idée assez imprécise de l’organisation de ce groupe, indique-t-on au ministère de la Défense, à Paris. Il est très déconcentré et fonctionne en petites structures assez autonomes." Les services de renseignements occidentaux estiment qu’il compte entre 6 000 et 7 000 combattants, mais c’est une évaluation "au doigt mouillé", reconnaît un officier français chargé du renseignement.

Il en est de même pour l’arsenal. On sait tout juste qu’ils disposent d’"un bel attirail", selon cette même source : chars ("quelques-unes, pas trente non plus"), voitures blindées, pick-up armés de mitrailleuses comme ceux que l’on voit sur les vidéos de Shekau, peut-être des armes antiaériennes, plus des fusils et des munitions en grandes quantités. "Cela fait des mois qu’ils pillent les casernes que l’armée nigériane laisse derrière elle. Autant dire qu’ils ont de quoi faire", s’alarme un officier ouest-africain.

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