Boko Haram : la sale guerre a commencé

Composée des troupes du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad, la force régionale s’est lancée dans la bataille pour enrayer l’avancée de la secte jihadiste Boko Haram. Une course contre la montre est engagée pour détruire un ennemi insaisissable et multiforme.

La ville nigériane de Gambaru, réduite en cendres par les islamistes en mai 2014. © Jossy Ola/AP PHOTO

La ville nigériane de Gambaru, réduite en cendres par les islamistes en mai 2014. © Jossy Ola/AP PHOTO

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Publié le 24 février 2015 Lecture : 5 minutes.

La ville nigériane de Gambaru, réduite en cendres par les islamistes en mai 2014. © Jossy Ola/AP PHOTO
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Boko Haram, la sale guerre

Composée des troupes du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad, la force régionale s’est lancée dans la bataille pour enrayer l’avancée de la secte jihadiste. Une course contre la montre est engagée pour détruire un ennemi insaisissable et multiforme.

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Lorsqu’il a fait ouvrir le feu sur les hordes de combattants qui se ruaient vers la prison de Diffa, le 9 février à l’aube, le commandant nigérien de la garnison a d’abord cru qu’il s’agissait de diables : « Ils paraissaient ne jamais mourir et mes hommes m’ont dit que leurs grigris étaient très puissants. » Avant de s’apercevoir que ceux que lui-même et ses collègues tchadiens et camerounais appellent les « BH » (Boko Haram) avançaient par vagues suicides identiques, sans jamais chercher à se protéger. L’assaut a été facilement repoussé ce matin-là, mais le Niger était, pour de bon, entré en guerre.

La décision de mettre sur pied une force régionale de 8 700 hommes issus de quatre pays frontaliers du Nigeria plus ce dernier, avec état-major opérationnel à N’Djamena, et destinée à traquer ce qui est sans doute le groupe armé le plus violent au monde, a été scellée en marge du dernier sommet de l’Union africaine, fin janvier à Addis-Abeba. Il a fallu pour cela tordre le bras au Nigeria, où la secte d’Abubakar Shekau contrôle un territoire de 20 000 km² qui s’étend entre les États de Borno et de Bauchi, et le menacer de déclencher des droits de poursuite sans son autorisation, pour que cette plateforme mutualisée puisse voir le jour.

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Des pressions directes soutenues par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, facilitées par l’entente qui, désormais, est de mise entre les trois présidents francophones de la ligne de front : le Camerounais Paul Biya, le Nigérien Mahamadou Issoufou et le Tchadien Idriss Déby. Parrain transfrontalier dont l’armée est déjà engagée au Mali, mais aussi aux confins de la Libye, du Soudan et de la Centrafrique, ce dernier fait figure de chef de file. Tant par leur puissance de feu que par la qualité de leur encadrement, les hommes de l’ANT (Armée nationale tchadienne) seront le fer de lance de l’offensive générale qui s’annonce. Mais si les plans d’attaque, avec pour objectif majeur la ville de Maiduguri, métropole du Nord-Est nigérian encerclée par Boko Haram, sont prêts, la question du financement reste encore en suspens.

L’essentiel du coût de cette nouvelle guerre devra être supporté par l’Union africaine, l’ONU, l’Union européenne peut-être, et les pays concernés eux-mêmes.

Américains, Français, Britanniques et Canadiens n’offriront guère plus que du renseignement, des survols de drones, un minimum d’aide logistique et technique, du conseil pour la planification des opérations et quelques dizaines d’éléments de leurs forces spéciales. L’essentiel du coût de cette nouvelle guerre devra être supporté par l’Union africaine, l’ONU, l’Union européenne peut-être, et les pays concernés eux-mêmes. Pour l’instant, c’est sur fonds propres et grâce aux 50 000 litres de carburant que leur livre chaque semaine le Cameroun que les détachements de l’ANT ont entrepris les premiers ratissages. En attendant le jour J, prévu pour le 1er avril.

L’armée nigériane humiliée

Que se passera-t-il ensuite ? C’est un peu l’inconnu. L’attitude de l’armée nigériane, passablement humiliée depuis cinq ans par son incapacité à réduire la rébellion jihadiste et minée par la corruption, demeure une énigme. Ses officiers, dont la majorité est originaire du Sud chrétien (l’état-major répugnant à laisser le commandement des troupes à des militaires nordistes, par crainte des défections), et qui ne connaît ni les habitants ni la langue locale, coopéreront-ils aisément avec des troupes étrangères, pour l’essentiel musulmanes, habituées à ce type de terrain et aux règles d’engagement différentes ?

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Les Tchadiens, dont l’armée est disciplinée, ont ainsi privilégié au sein de leur corps expéditionnaire des officiers parlant le kanouri, langue d’une communauté transfrontalière de 8 à 10 millions d’âmes présente au Nigeria, au Niger, au Tchad et dans l’Extrême-Nord du Cameroun et vivier de recrutement quasi exclusif de Boko Haram. Pas sûr que les chefs des Nigerian Armed Forces considèrent avec bienveillance ce choix tactique, à leurs yeux extrêmement risqué.

Encore creusé par l’affrontement préélectoral entre Goodluck Jonathan et Muhammadu Buhari, le fossé Sud-Nord n’a il est vrai jamais autant divisé le Nigeria : « L’opinion partagée dans le Nord est que Goodluck entretient, voire finance l’insurrection de Boko Haram pour mieux diviser les musulmans, commentait il y a peu un chef d’État de la région, alors que dans le Sud, il n’est pas rare d’entendre que plus les musulmans se tuent entre eux, mieux c’est. Vous voyez où ils en sont ! »

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Distributions de nourriture et prières de masse

L’autre point d’interrogation est la capacité de résistance des 6 000 à 12 000 hommes de la secte, que la force régionale ambitionne de prendre en étau après avoir bouclé les frontières. On sait peu de chose de la façon dont Shekau et son fantomatique Conseil de la Choura de trente membres administrent leur « califat ». Entre deux séries d’exécutions de « traîtres » (souvent des membres des milices locales d’autodéfense), qui dégénèrent en tueries aveugles où les vieillards et les enfants ne sont pas épargnés, les jihadistes nigérians, infiniment plus cruels que leurs homologues maliens, somaliens ou même syro-irakiens, tentent parfois de gagner les coeurs et les esprits de leurs sujets.

Les chefs de Boko Haram ont pour habitude de droguer leurs combattants afin qu’ils soient indifférents à la mort.

Distributions de nourriture et séances de prières de masse rythment ainsi la vie de Bama, localité de l’État de Borno conquise par la secte en septembre 2014, où l’émir local de Boko Haram s’est installé dans le palais du Shehu, entouré de jeunes filles épousées de force. Cet ancien poissonnier peut il est vrai se permettre un peu de répit : il a, dès son arrivée, fait massacrer tous les hommes de la localité qui refusaient de lui prêter allégeance. Face à un ennemi multiforme et insaisissable, adepte des attentats kamikazes, qui a largement infiltré les camps de réfugiés et enrôle de plus en plus de jeunes au Niger, au Tchad et au Cameroun, l’offensive qui se prépare vise la tête du serpent afin de la couper de ses métastases.

Les chefs de Boko Haram ayant pour habitude de droguer leurs combattants afin qu’ils soient indifférents à la mort, cette guerre à huis clos sera sans doute longue – bien au-delà des six semaines fanfaronnées par le conseiller à la sécurité du président nigérian – et très certainement sanglante. Nul doute pourtant qu’il s’agisse là d’une guerre aussi juste et nécessaire que le fut, il y a deux ans déjà, celle du Mali.

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