Afrique du Sud : un modèle minier à réinventer
Après le long conflit social qui a marqué les mines d’or et de platine de la nation Arc-en-Ciel en 2012, les professionnels s’interrogent sur l’avenir du secteur et les réformes à entreprendre.
Mi-novembre 2012, après une grève de près de trois mois, la plupart des mineurs avaient repris le travail en Afrique du Sud. Mais la répression des manifestations à la mine de platine de Marikana, qui a fait 34 morts fin août, a laissé de profondes séquelles. « Cette crise sociale est d’abord le symptôme de la scission entre les travailleurs des mines et les syndicalistes proches de l’ANC [Congrès national africain, au pouvoir, NDLR] censés les représenter », estime l’avocat sud-africain Otsile Matlou, du cabinet Edward Nathan Sonnenbergs. « Les dirigeants des groupes miniers se sont rendu compte de la fragilité des accords sociaux signés par filière professionnelle, qui n’étaient en réalité pas soutenus par les salariés », ajoute-t-il.
Selon Wickus Botha, responsable des clients miniers chez Ernst & Young en Afrique du Sud, la crise va forcer les groupes à intégrer les questions sociales dans leur plan de développement. « La population des zones minières est en forte croissance, mais le nombre d’emplois n’a pas augmenté dans les mêmes proportions. Les frustrations ne cessent de croître. Les riverains tiennent les compagnies minières pour responsables du chômage et de la pauvreté », note cet ancien administrateur d’AngloGold Ashanti.
Dans ce contexte, et en dépit de sa richesse géologique (platine, diamant, charbon et or), la nation Arc-en-Ciel n’a plus la cote. Néanmoins, d’après Nielen Van der Merwe, directeur du Mining Research Institute de l’université du Witwatersrand, « il est possible de renouveler le modèle économique minier sud-africain pour qu’il bénéficie davantage aux populations locales ». Et de citer l’exemple de l’entrepreneur Bernard Swanepoel, patron de Village Main Reef : « Avec des employés des mines constitués en trust, il a repris des exploitations aurifères jugées non rentables. En optant pour des coûts d’administration réduits, son groupe, coté à la Bourse de Johannesburg, affiche de belles perspectives », indique-t-il.
D’autres défis restent à relever. « Depuis 1994, l’État n’a quasiment pas investi dans la recherche géologique, et la plupart de nos spécialistes sont partis dans des groupes privés ou à l’étranger », regrette Nielen Van der Merwe. « J’espère qu’il n’est pas trop tard ! Dans la filière aurifère, la plupart des mines du Gauteng [région de Johannesburg] arrivent en fin de vie. Nous disposons de gisements inexploités dans la région septentrionale du Limpopo mais, faute d’un accompagnement adéquat, administratif comme scientifique, certains groupes pourraient préférer aller à l’étranger », s’inquiète l’universitaire.
La lecture de la crise sociale par Cynthia Carroll
Le 5 décembre dernier, peu de temps avant son départ de la tête du géant Anglo American, qui réalise 55 % de ses bénéfices dans la nation arc-en-ciel, Cynthia Carroll revenait sur la crise survenue l’an passé. « La brutalité passée des relations humaines, les dislocations provoquées par les migrations de travailleurs dans l’histoire de l’Afrique du Sud, combinés au mal moderne du chômage expliquent la tragédie vécue en 2012 », estimait-elle lors d’une conférence au Gordon Institute, à Johannesburg. Celle qui fut l’une des patronnes les plus puissantes au monde, pilotant 100 000 salariés et un chiffre d’affaires de 30,6 milliards de dollars, rappelait la nécessité de maintenir l’ordre public, mais aussi la « responsabilité morale du management de s’assurer de leur compétitivité économique ». Selon l’américaine, qui a annoncé sa démission le 26 octobre dernier et a été remplacée le 8 janvier par l’australien Mark Cutifani, le spectre des nationalisations s’estompe mais demeure le risque de « changements réglementaires dangereux ».
C.L.B.
Pénurie
Si l’Afrique du Sud peut encore tabler sur une main-d’oeuvre compétente, héritière de deux siècles d’histoire minière, des pénuries sont apparues dans certains métiers, notamment pour les techniciens qualifiés, « devenus nécessaires avec la mécanisation des mines à roches dures, majoritaires chez nous », observe Nielen Van der Merwe. Le manque de dynamisme de la Bourse de Johannesburg n’améliore pas l’attractivité du pays. « Les investisseurs de la Place privilégient les valeurs de père de famille. Ils ne veulent pas prendre de risques en finançant des projets miniers », regrette le Congolais Kalaa Mpinga. Le patron de Mwana Africa, installé en Afrique du Sud depuis 1997, a créé sa compagnie en 2004, mais a préféré la coter à Londres. « Le strict contrôle des changes et les délais administratifs n’incitent pas à choisir Johannesburg, surtout si l’on souhaite s’internationaliser », explique-t-il.
Si rien n’est tenté pour inverser la tendance, les compagnies pourraient chercher à réduire leur dépendance à la conjoncture locale, à l’image d’Anglo American, qui a délocalisé dès 1999 son management à Londres. « Je ne serais pas surpris si, dans quelques années, des compagnies sud-africaines comme AngloGold, Harmony ou Gold Fields prenaient le même chemin, investissant en priorité dans d’autres pays émergents », craint Wickus Botha.
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