Philippe Mellier : « Nos diamants sont des produits rares »

Désormais majoritairement contrôlé par Anglo American, De Beers est le leader incontesté du secteur diamantifère. Son patron détaille ses activités en Afrique australe.

Philippe Mellier, directeur général de De Beers. © Kalpesh Lathigra

Philippe Mellier, directeur général de De Beers. © Kalpesh Lathigra

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 31 janvier 2013 Lecture : 5 minutes.

Bien que français, Philippe Mellier est parfaitement à l’aise à la tête de De Beers, vieille dame anglo-saxonne de 125 ans. Nicky Oppenheimer, président du leader mondial du diamant, a fait appel en mai 2011 à cet ingénieur passé par Ford, Renault, Volvo puis Alstom. Le profil d’industriel de ce familier des négociations musclées avec les États y est pour beaucoup.

Jeune Afrique : Quelles sont les conséquences de la prise de participation majoritaire d’Anglo American au sein de De Beers ?

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Cliquez sur l'image.Philippe Mellier : Concrètement, la marche de nos affaires a été peu affectée par notre intégration dans le groupe, que je considère comme naturelle. Anglo American était auparavant le premier actionnaire de De Beers, avec 40 % des parts. La famille Oppenheimer a fondé nos deux compagnies. Je connais bien Cynthia Carroll, l’ex-directrice générale d’Anglo American, qui était déjà parfaitement au courant de nos activités en tant que membre de notre conseil d’administration. Depuis le bouclage de l’opération, en août 2012, nous avons mutualisé certaines fonctions comme la logistique et notre gestion des ressources humaines. Mais pour le reste, De Beers fonctionne comme avant, car notre métier est bien différent de celui des autres filiales d’Anglo American, qui se consacrent aux métaux précieux ou de base.

Comment réagissez-vous à la nomination de Mark Cutifani à la tête d’Anglo American, annoncée le 8 janvier ?

À ce moment-là, j’étais à New York pour y rencontrer des partenaires commerciaux. Je ne le connais pas encore personnellement, mais je sais qu’il était un excellent candidat pour succéder à Cynthia Carroll, du fait de sa crédibilité acquise à la tête d’AngloGold Ashanti en Afrique du Sud. Nous aurons bien besoin de lui pour nos opérations là-bas, essentielles pour le groupe. Il ne connaît pas le monde du diamant, mais je ne me fais pas de soucis : il va apprendre !

Quelle est votre stratégie industrielle ?

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D’abord, il faut comprendre que le diamant n’est pas une commodité [matière première ayant un cours international, NDLR]. Nos pierres sont des produits rares, chacune d’entre elles a son propre prix. Nous pouvons attendre avant de vendre : notre stratégie extractive ne dépend pas uniquement du marché. Notre niveau actuel de production minière, 27 millions de carats en 2012, demeure inférieur à celui de 2007. Il n’y a pas eu de grande découverte de gisement de diamants depuis près de vingt ans et nombre de mines existantes sont vieillissantes… Il ne faut donc pas s’attendre à un bond de la production en 2013.

Les prix du diamant ont augmenté de 65 % entre 2008 et 2011… Peut-on dire qu’il est devenu une valeur refuge ?

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Le diamant n’est pas une matière première liquide sur les places boursières, comme l’or ou le platine. Il n’est donc pas une valeur refuge au sens strict du terme. Quand on offre un diamant de joaillerie, on veut donner une élégance intemporelle à quelqu’un. Globalement, depuis des années, le prix du diamant de joaillerie ne fait qu’augmenter, même s’il y a eu des baisses passagères. On sait qu’un jour on peut revendre un diamant, mais ce n’est certainement pas un achat spéculatif.

Quelle est la place de l’Afrique dans la stratégie de De Beers ?

Nous sommes bien implantés au Botswana, en Namibie et en Afrique du Sud. Dans ces trois pays, nous sommes à chaque fois associés avec les États. Au Botswana, Debswana, présidé par Eric Molale et basé à Gaborone, est une coentreprise à parts égales avec les autorités.

Au Botswana, 15 % des pierres appartiennent à l’État, qui les distribue pour son propre compte.

Nous comptons deux filiales en Namibie, elles aussi en coentreprises : Namdeb Coastal Mines, consacrée aux diamants terrestres, et Debmarine Namibia, qui extrait les pierres en mer. Enfin, en Afrique du Sud, Ponahalo Holdings, propriété d’actionnaires noirs, détient 26 % de nos opérations dans le pays, conformément à la politique du Black Economic Empowerment.

Comment évoluent les relations avec vos partenaires locaux ? On sait que les négociations minières peuvent être musclées, notamment en Afrique…

En réalité, dans le monde du diamant, le plus dur à négocier, ce n’est pas l’organisation de la production minière, mais plutôt la répartition des diamants produits. Au Botswana, on peut dire que nous avons atteint un bon équilibre en la matière. Aujourd’hui, 15 % des pierres botswanaises sont la propriété de l’État, qui en assure la distribution pour son propre compte, alors qu’il y a dix ans, il ne percevait que des taxes et royalties.

Où en est le transfert des activités de tri, de taille et de commercialisation des diamants au Botswana ?

Cliquez sur l'image.Pour des raisons économiques et de traçabilité, nous cherchons à ce que la taille des diamants soit effectuée au plus près des mines par des partenaires locaux sérieux, et non pas par De Beers. Contrairement à ce que l’on croit, Anvers, New York et Tel-Aviv ne sont plus les centres de la taille de diamant dans le monde, même si les pierres exceptionnelles y sont encore travaillées. Désormais, c’est l’Inde qui est en pointe en la matière. Au Botswana, nous nous sommes lancés dans une organisation originale : nous avons transféré à Gaborone nos activités de tri, d’agrégation et de vente des diamants du pays. Cela représente une équipe de 150 personnes, composée à 40 % d’expatriés venus de nos bureaux de Londres. Mais, à terme, cette proportion diminuera. En comparaison, nos mines ont beaucoup plus d’impact sur l’emploi.

Vous menez des activités d’exploration en Afrique pour trouver de nouvelles pierres. Êtes-vous prêt à ouvrir de nouvelles mines sur le continent ?

De Beers a découvert la majorité des mines de diamants du globe et dispose de la meilleure expertise. Le processus d’exploration est complexe ; il prend souvent plus de douze ans. Nous recherchons le diamant dans les parties les plus anciennes de la couche terrestre. Sur le continent africain, nous explorons d’abord des zones situées autour de nos mines existantes, en Namibie et au Botswana notamment. Depuis plusieurs années, nous réalisons aussi des sondages en Angola, mais pour le moment je ne peux pas dire si nous pourrons un jour y ouvrir une mine. À plus court terme, nous sommes davantage focalisés sur le Canada.

Pourquoi n’explorez-vous pas les possibilités de développement en Sierra Leone, en RD Congo, en Centrafrique et au Zimbabwe, des pays où l’on sait qu’il y a du diamant ?

Notre principe est d’aller là où l’on pense pouvoir ouvrir une mine. L’exploration coûte excessivement cher, et notre budget, de plusieurs dizaines de millions de dollars, est restreint. C’est vrai, les s ous-sols des pays que vous évoquez recèlent de bons potentiels, mais pour des raisons économiques nous préférons nous concentrer sur les pays où nous sommes déjà présents et où il existe une certaine stabilité politique. Quand nous ouvrons une mine, nous voulons que la traçabilité et le bon fonctionnement de nos opérations soient garantis.

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