Mégagisements… mégaretards

Malgré l’intérêt des groupes miniers pour ses immenses richesses, l’Afrique tarde à exploiter ce potentiel. En cause : l’instabilité politique et réglementaire, les conflits armés et l’absence de coopération régionale.

Au Gabon, le projet de fer de Belinga stagne en raison des inquiétudes sur les conséquences environnementales. © Laurent Sazy/Divergence

Au Gabon, le projet de fer de Belinga stagne en raison des inquiétudes sur les conséquences environnementales. © Laurent Sazy/Divergence

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 31 janvier 2013 Lecture : 6 minutes.

Les spécialistes des minerais ne se résolvent pas aux « scandales géologiques » africains. Ainsi, on connaît le gisement guinéen de fer du mont Nimba, à la frontière avec le Liberia, depuis les années 1960. Les premiers sondages ont montré qu’il recelait des réserves exceptionnelles avec des teneurs très élevées, semblables à celles du gisement de Carajas découvert à la même époque. « Mais alors que la mine brésilienne est exploitée depuis les années 1970 – c’est actuellement la plus importante au monde -, le projet guinéen Euronimba en est encore à ses balbutiements après le retrait de BHP Billiton, se désole un géologue européen. Quant à la bauxite, la production guinéenne n’a pas augmenté depuis le milieu des années 1970, poursuit-il. Le pays dispose pourtant des plus importantes réserves de la planète ! Pis, aucune nouvelle raffinerie d’alumine n’a été construite depuis 1960, malgré plusieurs projets non aboutis. »

Mafieux

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C’est dans la phase de réalisation que toutes les belles promesses se gâtent.

Mêmes regrets pour le chercheur belge Thierry De Putter, qui étudie depuis vingt ans les sous-sols d’Afrique centrale, immensément riches. « On estime que l’est de la RD Congo dispose de 20 % des réserves mondiales de tantale [issu du minerai de coltan et utilisé dans la fabrication des instruments chirurgicaux et des téléphones portables]. On y trouve aussi de bons indices de terres rares, des ressources critiques pour les industries chimique et électronique », note le géologue du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, près de Bruxelles. Et d’ajouter : « Malheureusement, avec l’instabilité politique, aucune exploration n’a pu être menée pour planifier une exploitation industrielle. Au Kivu, les seules exploitations de ces minerais sont artisanales et le plus souvent tenues par des groupes mafieux. Le Katanga, qui dispose de meilleures infrastructures, pourrait produire des quantités de cuivre et de cobalt plus importantes, mais aussi de l’uranium, de l’or et du germanium [utilisé dans la fibre optique]. Quant au Burundi, il dispose à Musongati d’un gisement de nickel de classe mondiale, mais cela fait vingt-cinq ans qu’on évoque en vain son exploitation. »

Pourtant, l’intérêt des miniers pour le continent ne se dément pas. « Ces cinq dernières années, quelque 400 juniors australiennes et une centaine de sociétés canadiennes prêtes à prendre des risques sont venues en Afrique, indique Christian Mion, associé du cabinet Ernst & Young. Il y a une véritable ruée des miniers pour mettre la main sur les réserves majeures du continent, confirme son collègue sud-africain Wickus Botha. Compte tenu de la conjoncture internationale, ce sont les projets dans le fer, la bauxite, le cuivre et le charbon qui attirent le plus, même si de belles possibilités existent aussi dans le manganèse et le nickel. » Reste que si les juniors d’exploration ont été promptes à se positionner sur le continent, l’exploitation des gisements découverts met souvent des dizaines d’années à se concrétiser… quand elle ne se perd pas dans les méandres des évolutions réglementaires, des changements politiques ou des conflits armés.

C’est dans la phase de réalisation des projets que toutes ces belles promesses minières se gâtent. Mouhamadou Niang, directeur mines à la Banque africaine de développement (BAD), explique : « En ce qui concerne les mégaprojets dans les métaux de base, qui nécessitent des investissements faramineux, on ne peut pas blâmer les seuls miniers pour leurs hésitations à se lancer. Le coût de développement des mines du Simandou, dans l’ouest de la Guinée, est estimé à 15 milliards de dollars [environ 11,5 milliards d’euros], dont 5 milliards d’infrastructures ferroviaires et portuaires pour évacuer le minerai vers les côtes. Même pour un gisement secondaire comme celui de la Falémé, au Sénégal, il faut débourser 1 milliard de dollars. »

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Cliquez sur l'image.Face à ces coûts élevés, les prix actuels des minerais sur les marchés seraient-ils trop peu incitatifs ? « Les cours du cuivre, du fer et de la bauxite sont plutôt bas ces derniers mois, mais ils sont cycliques, donc ils vont remonter. La vraie explication des retards réside d’abord dans l’instabilité politique et réglementaire », estime le cadre de la BAD, qui appuie la réalisation d’études sociales et environnementales sur des projets dans le fer et le cuivre jugés prioritaires par l’institution.

Opacité

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De l’avis de tous, l’instabilité réglementaire – et donc l’opacité des processus d’attribution des permis miniers et du niveau des taxes – est la première cause des retards d’entrée en exploitation. Dans la bauxite comme dans le fer, les groupes attendent des garanties sur vingt ans. Ils doivent pouvoir élaborer un modèle économique stable, présentable pour leurs actionnaires. « Quand un État procède à des expropriations de compagnies qui ont pourtant mis en valeur leurs gisements, l’image du pays auprès des investisseurs miniers en pâtit », relève Mouhamadou Niang.

L’effet est encore plus désastreux lorsqu’il s’agit de majors réputées pour leur sérieux. En 2006, l’éviction de Rio Tinto de la partie nord du Simandou a fait partie de ces signaux négatifs perçus par de nombreux investisseurs industriels en Guinée, qui se sont inquiétés de la pérennité des accords signés, ce qui a contribué au report de certains projets. Le départ forcé de First Quantum de ses gisements de Kolwezi, après avoir dû les céder au groupe kazakh ENRC, a eu le même effet sur la réputation de la RD Congo. Si ces deux événements ont été dénoncés par des ONG spécialisées sur les questions de transparence comme Global Witness, ils ont aussi eu mauvaise presse dans les milieux miniers.

Les conflits armés expliquent aussi l’arrêt de certains projets, mais pas pour tous les minerais. Ainsi, dans l’or, qui nécessite moins d’investissements que les métaux de base, même les plus grands groupes sont prêts à prendre des risques car ils peuvent plus facilement se replier et évacuer leurs pépites. AngloGold Ashanti et Randgold Resources sont ainsi présents dans l’est et le nord de la RD Congo. Même constat au Mali, où les zones aurifères sont situées assez loin des zones tenues par les groupes islamistes. « Mais la principale conséquence des conflits ou de l’absence d’État, c’est la prolifération des mines artisanales, préjudiciables pour la santé des travailleurs et l’environnement, et le passage en fraude des minerais et pierres précieuses », précise Thierry De Putter. Une dérive qui se vérifie aussi bien entre la RD Congo, le Rwanda, le Burundi et la Centrafrique qu’entre Madagascar et l’île Maurice.

Blocage

Le choix d’un partenaire médiocre peut parfois expliquer les délais d’entrée en production.

Enfin, le choix d’un partenaire médiocre peut parfois expliquer l’allongement des délais d’entrée en production. Au Gabon, le développement du projet de fer de Belinga stagne depuis cinq ans. China Machinery Engineering Corporation (Cmec), détenteur du permis d’exploitation, n’est pas un spécialiste minier mais un équipementier d’usine. Libreville, mécontent du retard et des risques pesant sur l’environnement, souhaiterait qu’une major prenne en charge les opérations. Mais même si BHP Billiton a affiché son intérêt, le pays ne peut rien faire sans une décision d’arbitrage international ou une entente à l’amiable entre les deux compagnies.

Reste un point de blocage majeur pour les projets miniers africains : l’absence de coopération régionale – et parfois même nationale – pour mettre en place une logistique minière économique et cohérente. « La voie d’évacuation naturelle des minerais du Kivu passe naturellement par le Rwanda et la Tanzanie. Mais aucune entité régionale ne travaille sérieusement à la mise en place de corridors efficaces », regrette Thierry De Putter. Selon le chercheur, la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), qui devrait prendre en charge le dossier, est devenue une « coquille vide » en raison des inimitiés entre le Rwanda, le Burundi et la RD Congo, ce qui n’empêche pas des collusions plus souterraines.

Même manque de coordination entre la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Alors que le fer du mont Nimba se trouve à 300 km des côtes libériennes, Conakry continue de privilégier la construction d’une voie ferrée intégralement guinéenne de 800 km de long. Les États et les organisations régionales devront apprendre à coopérer s’ils veulent que leurs économies profitent enfin de leurs sous-sols.

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