Afrique francophone : chef de l’opposition, un statut à double tranchant

Plusieurs pays d’Afrique francophone ont adopté un statut officiel de « chef de file de l’opposition ». D’autres ont voté des textes mais attendent toujours la désignation de leur opposant en chef. Mali, Burkina, Guinée, RDC… Voici la place institutionnelle réservée à vos opposants.

Le numéro un de l’opposition malienne, Soumaïla Cissé. © AFP

Le numéro un de l’opposition malienne, Soumaïla Cissé. © AFP

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 26 février 2015 Lecture : 5 minutes.

Après plusieurs années de tâtonnement, l’Assemblée nationale malienne a adopté, le 19 février, la mise en place d’un statut officiel de "chef de file de l’opposition". Outre le Mali, plusieurs pays francophones, principalement en Afrique de l’Ouest, ont institutionnalisé cette fonction qui émane de la culture politique anglo-saxonne.

Souvent incarné par le leader du parti d’opposition ayant le plus de sièges à l’Assemblée nationale, le chef de file de l’opposition bénéficie de droits et de devoirs encadrés par la loi. Il est considéré comme l’interlocuteur privilégié du pouvoir exécutif et peut demander à être reçu ou convoqué par le président de la République et le Premier ministre. Il bénéficie, en fonction des pays, d’un siège ou de bureaux, reçoît des fonds de fonctionnement prélevés sur le budget national, et occupe une place de choix dans le protocole d’État.

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Bénéfices démocratiques

Il est également censé avoir un accès libre et équitable aux médias et peut profiter d’avantages spécifiques tels que des frais de représentation ou la mise à disposition d’un chef de cabinet, d’un secrétaire ou encore d’un chauffeur. Pour ses défenseurs, l’instauration d’un statut de chef de file de l’opposition est une des meilleures façons de favoriser les transitions démocratiques. Il permettrait de donner plus de poids et de moyens à l’opposition, et au final de rééquilibrer la lutte politique contre le parti au pouvoir.

Ses détracteurs affirment au contraire que c’est un outil de contrôle et d’instrumentalisation supplémentaire dans certains régimes autoritaires.

Ses détracteurs affirment au contraire que la création de ce statut d’"opposant officiel" est un outil de contrôle et d’instrumentalisation supplémentaire dans certains régimes autoritaires. "À priori, la mise en place d’un tel statut est une bonne chose. Mais si les pays dans lesquels il est adopté ne sont que des démocraties de façades, alors cela ne sert à rien", résume le professeur Dodzi Kokoroko, vice-doyen de la faculté de droit à Lomé. Du Mali à la RDC en passant par la Guinée, voici une liste non-exhaustive des pays d’Afrique francophone qui ont instauré ce statut politique particulier – ou qui tentent de le faire.

Les pays qui ont institutionnalisé le statut de "chef de file de l’opposition"

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Au Burkina Faso, le principe d’un statut de chef de file de l’opposition a été adopté dès 2000, après la grave crise socio-politique suscitée par l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo, en décembre 1999. Mais il faudra près de dix ans pour que Blaise Compaoré consente à appliquer cette loi instituant un chef de file de l’opposition politique (CFOP). "Nous avons réussi à rassembler toutes les forces de l’opposition et à mettre en place une plateforme politique", se rappelle l’ancien opposant en chef Stanislas Benewende Sankara, président de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste (Unir/PS). Porte-parole de l’opposition à un nouveau mandat de "Blaise", Zéphirin Diabré, président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) et dernier titulaire du mandat de CFOP, fait aujourd’hui partie des favoris pour la présidentielle d’octobre 2015.

Au Mali, l’Assemblée nationale vient d’adopter le statut de chef de file de l’opposition politique à une large majorité. Ce dernier, qui bénéficiera des mêmes droits que le vice-président de l’Assemblée nationale, sera issu des rangs de l’Union pour la République et la démocratie (URD), le parti d’opposition comptant le plus grand nombre de députés. Son leader, Soumaïla Cissé, député et rival d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) lors de la présidentielle de 2013, devrait, sauf surprise, devenir le premier chef de file de l’opposition malienne.

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Pays frontalier du Mali, la Guinée a elle aussi récemment institutionnalisé le statut de chef de file de l’opposition. Depuis le mois de décembre dernier, Cellou Dalein Diallo, député et président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le premier parti d’opposition au président Alpha Condé, est donc officiellement le chef de file de l’opposition guinéenne.

Au Niger, une loi encadrant le statut de l’opposition existe depuis les années 2000. Renforcée après la chute du président Mamadou Tandja, sa nouvelle version a été promulguée en 2011. Le chef de file de l’opposition nigérienne est aujourd’hui Seyni Oumarou, ancien Premier-ministre et président du Mouvement national pour la société du développement (MNSD). Le Tchad compte aussi, depuis 2013, un chef de file de l’opposition en la personne de Saleh Kebzabo, député et président de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR).

Les pays où des textes existent… mais où l’opposition n’a pas de véritable statut

Au Togo, une loi officialisant le statut d’un chef de file de l’opposition a été adoptée en 2013 par l’Assemblée nationale. Depuis, son décret d’application n’a toujours pas été signé. Les avantages et privilèges prévus par ce texte ont par ailleurs attisé les tensions au sein d’une opposition déjà fortement divisée. "Cette loi, loin de contribuer au renforcement et à la cohésion de l’opposition, est l’une des causes de son éclatement et de son affaiblissement", estime ainsi Claude Wella, assistant en droit public à l’université de Lomé.

Le flou juridique ou les avantages du statut entretiennent parfois les querelles individuelles entre opposants.

Au Bénin voisin, une loi portant statut de l’opposition a été votée en 2002. Il faudra ensuite attendre six ans pour que soit signé son décret d’application, en 2008. Mais, selon plusieurs observateurs, ce texte est incomplet et favorise le "nomadisme politique", c’est-à-dire la tendance de certains députés à passer d’un parti à un autre en fonction de leurs intérêts personnels. Autre problème de la loi béninoise : n’importe quel chef d’un parti d’opposition ayant un minimum de poids à l’Assemblée ou ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés lors des dernières législatives peut se revendiquer chef de l’opposition. Un flou volontaire qui entretient évidemment les querelles individuelles entre opposants.

En République démocratique du Congo (RDC), une loi sur le statut de l’opposition a également été votée. Adoptée par l’Assemblée nationale en 2007, elle attend depuis son décret d’application. D’après ce texte, les présidents de l’Assemblée et du Sénat doivent convoquer les députés et sénateurs de l’opposition pour élire le "porte-parole de l’opposition". Élection qui n’a encore jamais eu lieu, ce qui fait dire à certains opposants que les autorités bloquent la mise en oeuvre de cette loi.

Enfin, au Sénégal, la Constitution de 2001 reconnaît l’existence et les droits de l’opposition mais aucune loi ne codifie le statut de son "chef de file". Abdoulaye Wade, qui a longtemps réfléchi à cette idée à l’époque où il était opposant, ne l’a finalement jamais concrétisé une fois arrivé au pouvoir.

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Benjamin Roger

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