Rokhaya Diallo : « La liberté d’expression est à géométrie variable en France »
La militante et essayiste Rokhaya Diallo, fondatrice du collectif Les Indivisibles, se voit interdite de participer à un débat sur les violences faites aux femmes organisé dans la mairie du 20e arrondissement de Paris, le 3 mars prochain. Une décision qui émane de Frédérique Calandra, la mairie PS de l’arrondissement, qui se justifie en invoquant notamment la signature de l’intéressée au bas d’une pétition contre Charlie Hebdo… en 2011.
Mis à jour à 20h01.
Jeune Afrique : La maire du 20e arrondissement de Paris, Frédérique Calandra, a refusé de vous voir participer à un débat qu’elle organise le 3 mars sur les violences faites aux femmes. Comment réagissez-vous ?
Rokhaya Diallo : Je suis affligée par le niveau de vulgarité de cette femme. C’est le premier sentiment qui me traverse. C’est de surcroît une décision totalement personnelle : des féministes sont conviées aux débats alors qu’elles ont eu des positions similaires aux miennes. Cela veut donc dire que c’est une vendetta personnelle. Je comprends parfaitement que Mme Calandra ne partage pas mes idées, mais priver les habitants du 20e arrondissement de Paris d’un débat contradictoire sur le droit des femmes relève d’une décision arbitraire. Il faut savoir par ailleurs que Frédérique Calandra a exposé pendant un mois les photos de Michel Houellebecq dans sa mairie et qu’une polémique a été soulevée suite à une interdiction de parler arabe dans la même mairie. Il y a là peut-être les soubassements idéologiques qui ont présidé à une telle décision….
Pour justifier sa décision, la maire invoque notamment votre signature en bas d’une pétition contre le soutien à Charlie Hebdo en 2011. Que pensez-vous de cet argument ?
Ce n’est pas un argument recevable. La chercheuse féministe Christine Delphy fera l’objet d’une soirée au cours de laquelle sera projeté un documentaire sur son travail dans la mairie, alors qu’elle a aussi signé la pétition contre le soutien à Charlie Hebdo en 2011. Le débat auquel on m’a interdit de participer n’a rien à avoir les raisons qui ont justifié cette décision. Frédérique Calandra peut porter les accusations qu’elle veut, je n’ai rien commis d’illégal. Ses allégations sont ridicules. De plus, c’est une insulte aux 4 millions de français qui sont sortis défendre la liberté d’expression le 11 janvier dernier après la tuerie de Charlie Hebdo.
Est-ce que l’attitude de Frédérique Calandra est révélatrice de quelque chose de plus profond, au sein du PS ou de la société française ?
Non, je ne le crois pas. C’est une décision unilatérale mue par une hostilité personnelle. Madame Calandra est connu pour gérer sa mairie de manière très autoritaire… Cela est regrettable que des élus prennent la République en otage pour imposer leurs idéologies. Le principe de neutralité en est altéré.
Par ailleurs, le président Hollande a employé lundi soir au Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) le terme "Français de souche, comme on dit", en parlant des auteurs des profanations des tombes juives à Sarre-Union. Qu’est-ce que cette expression vous inspire, dans son contexte ?
J’aurais préféré que le président de la République rappelle au président du CRIF les valeurs de la République après ses déclarations qui amalgament antisémitisme et islam. Mais nous avons encore une fois assisté à la manifestation d’une liberté d’expression à géométrie variable : certains peuvent tenir des discours ouvertement racistes, sans être aucunement inquiétés, tandis que d’autres sont ostracisés. Cela est très préoccupant.
Justement, que vous inspire les propos de Roger Cukierman, le président du CRIF qui a déclaré lundi – avant de revenir sur ses propos – que Marine Le Pen était "irréprochable personnellement" sur la question de l’antisémitisme, et que les violences antisémites en France sont toutes "commises par des jeunes musulmans" ?
C’est une déclaration ouvertement raciste et islamophobe. Il n’y a pas de débat à avoir la dessus. Et le silence de la classe politique en dit long sur l’état de la liberté d’expression dans notre pays…
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