Sénégal : quand Bibo Bourgi, principal complice présumé de Karim Wade, fait le procès de la CREI

Au dernier jour du procès de Karim Wade, dont le jugement sera rendu le 23 mars, l’homme d’affaires Bibo Bourgi a plaidé sa relaxe seul, sans ses avocats, s’efforçant de déconstruire la théorie de la CREI qui voudrait faire de lui l’homme de paille du principal accusé.

Le jugement du procès de Karim Wade a été mis en délibéré au 23 mars. © Mehdi Ba/J.A.

Le jugement du procès de Karim Wade a été mis en délibéré au 23 mars. © Mehdi Ba/J.A.

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Publié le 20 février 2015 Lecture : 5 minutes.

Les dés sont jetés. Au terme d’une dernière semaine d’audience consacrée aux réquisitions du Parquet et aux plaidoiries de la partie civile et de la défense, le président Henri Grégoire Diop a tiré, jeudi 19 février, le rideau sur le procès de Karim Wade et de ses neuf présumés complices, qui s’était ouvert à Dakar le 31 juillet. Le jugement a été mis en délibéré au 23 mars. Conformément à la loi instituant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), il ne sera pas susceptible d’appel mais seulement d’un éventuel pourvoi en cassation.

La dernière journée d’audience a été presque exclusivement consacrée aux interventions des deux principaux présumés complices de Karim Wade : Ibrahim Aboukhalil (dit Bibo Bourgi) et Mamadou Pouye. Les deux hommes se défendaient seuls, leurs avocats ayant déserté le procès depuis le 20 janvier. Deux jours plus tôt, le procureur spécial de la CREI, Cheikh Tidiane Mara, avait requis contre chacun d’entre eux six années de prison, 250 milliards de FCFA [380 millions d’euros] d’amende, la confiscation de tous leurs biens et la privation de leurs droits civiques pendant dix ans. Soit une peine quasiment équivalente à celle demandée contre Karim Wade, pourtant considéré comme le bénéficiaire exclusif de l’enrichissement illicite dans lequel Aboukhalil et Pouye n’auraient joué qu’un rôle de prête-noms, endossant l’actionnariat de sociétés que le Parquet spécial estime appartenir en réalité au fils de l’ancien président.

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"À la solde de Karim Wade"

"Je m’appelle Ibrahim Aboukhalil et j’appartiens à la famille Bourgi par ma défunte mère", déclare à la barre, en guise de préambule, celui que tout le monde au Sénégal connaît sous le surnom de Bibo Bourgi. "Ma famille a contribué au développement économique de ce pays, au destin duquel elle est liée. Nous avons toujours répondu à l’appel de la patrie, j’en suis fier et je ne le renierai jamais." Cheveux grisonnants, la voix presque chevrotante, manifestement accablé par le double fardeau d’une santé encore fragile et de l’épée de Damoclès qui pèse sur lui, "Bibo" entre rapidement dans le vif du sujet.

Lisant le texte de son intervention, manifestement préparé avec le concours de ses avocats, l’homme d’affaires entame le procès de la CREI et en particulier du Parquet spécial, à l’origine de la thèse qui lui vaut de comparaître en tant que complice. "Le Ministère public a échafaudé une théorie selon laquelle nous ne sommes pas les détenteurs de nos propres sociétés, résume-t-il. Nous ne serions donc que des prête-noms à la solde de Karim Wade." C’est en effet le principal paradoxe du procès : plutôt que de se pencher sur les éléments de patrimoine qui appartiennent formellement au fils de l’ancien président (comptes bancaires, biens immobiliers et véhicules à son nom), la CREI s’est exclusivement focalisée, pendant plusieurs mois, sur la thèse qui dépeint Karim Wade comme le propriétaire occulte d’une myriade de sociétés appartenant aux frères Ibrahim et Karim Aboukhalil, où son nom, pourtant, n’apparaît jamais : Aviation Handling Service (AHS), Hardstand, Black Pearl Finance, Dahlia, Daport, ABS Corp…

Les commissions rogatoires internationales ont démoli toutes les théories invraisemblables de l’accusation, clame Bibo Bourgi.

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"Sur le simple témoignage de la notaire Patricia Lake Diop, le Parquet affirme que Karim Wade est l’actionnaire unique de AHS", relève Bibo Bourgi. La femme de loi avait en effet déclaré pendant l’enquête qu’au moment de la constitution de cette société de handling, au début des années 2000, c’est Karim Wade qui lui aurait transmis l’intitulé et les caractéristiques de AHS. Sur la base de ce fragile témoignage, complété par ceux de deux anciens cadres qui ont quitté la société en conflit avec les actionnaires, la CREI a bâti le postulat que AHS serait en réalité la propriété de Wade fils. Un raisonnement qu’elle étendra à toutes les autres entités AHS créées par les frères Aboukhalil dans d’autres pays d’Afrique ainsi qu’à plusieurs autres sociétés dont l’actionnariat est réparti entre les deux hommes et leur associé – par ailleurs ami d’enfance de Karim Wade – Mamadou Pouye.

Aucun flux financier

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"Les commissions rogatoires internationales ont démoli toutes les théories invraisemblables de l’accusation, clame Bibo Bourgi. Dix-neuf mois d’investigations et sept mois de débats n’ont pas permis de remettre en cause cet actionnariat." Sans compter la principale faiblesse de l’accusation en la matière : aucun flux financier entre Karim Wade et le moindre compte bancaire ou société de la galaxie Aboukhalil-Bourgi n’a jamais été établi. La libération du capital de ces sociétés a été réalisée sur fonds propres et les investissements sur emprunts bancaires, et l’intéressé affirme avoir transmis aux magistrats les éléments de traçabilité qui le prouvent. Or si Ibrahim Aboukhalil, Karim Aboukhalil et Mamadou Pouye ne sont que des prête-noms, la logique voudrait que l’argent injecté dans ces sociétés provienne de Karim Wade, eux-mêmes se contentant de porter les actions à son profit. Cela impliquerait aussi que l’ancien ministre du Ciel et de la Terre ait reçu des sociétés en question, in fine, ne serait-ce que des dividendes. Or toutes les expertises et investigations diligentées depuis 2012 se sont heurtées à cet écueil : ce lien financier demeure introuvable.

"La nécessité de combattre la corruption et l’enrichissement illicite est une évidence, conclut Bibo Bourgi au terme de son intervention. Mais elle ne saurait justifier des expropriations alors que le droit de propriété est protégé par la Constitution." Selon l’homme d’affaires, les peines requises par le Parquet correspondent à une "extermination civile et civique". Plaidant la relaxe, tout en implorant le président Henri Grégoire Diop de s’"approcher le plus possible de la justice", en l’absence de toute possibilité d’appel, il achèvera son intervention par une citation du Coran : "Prenez garde à l’injustice, elle vous mènera aux ténèbres. Et le jour du jugement, les droits seront rendus à ceux à qui ils sont dus."

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Mehdi Ba, à Dakar

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