Gabon : Ali Bongo Ondimba adoube le caricaturiste Pahé

Entretien avec Pahé qui publie « 5 ans déjà !! », un recueil de ses dessins des cinq dernières années. Un ouvrage préfacé par sa principale victime, Ali Bongo Ondimba himself.

Le dessinateur gabonais Pahé. © DR

Le dessinateur gabonais Pahé. © DR

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 19 février 2015 Lecture : 6 minutes.

Dans un contexte rendu sensible par le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, le dessinateur Pahé publie au Gabon un recueil des dessins parus au cours de ces cinq dernières années. "5 ans déjà égratigne" sans façon le pouvoir d’Ali Bongo Ondimba. Pourtant, le président a décidé de préfacer ce livre, comme il s’y était auparavant engagé. "Il nous énerve, il nous pique et s’il vise juste il dérange. Cependant aujourd’hui plus encore qu’hier, ses croquis m’apparaissent essentiels", écrit-il. Pahé a bien voulu répondre à nos questions sur le sujet.

Jeune Afrique  : Comment avez-vous fait pour pour obtenir cette préface de votre victime favorite, Ali Bongo Ondimba ?

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Pahé  : Il y a environ quatre mois, je bossais sur mon prochain livre qui devait réunir la plupart des dessins parus sur mon blog et ma page Facebook. J’avais l’idée de faire la suite d‘"Ali 9, Roi de la république gabonaise", de "Laissez nous avancer" et de "Le changement, c’est maintenant !", une espèce de retour sur le parcours d’Ali Bongo depuis son arrivée au pouvoir. La maquette pratiquement terminée, il ne me restait plus que la couverture à concevoir et je pensais bien sûr à lui. Je me suis souvenu que lors de ma rencontre avec le Roi du Gabon, il avait juré sur la tête de toutes ses anciennes copines, être ok pour préfacer la suite de d’Ali 9. Comme je n’avais pas oublié, j’ai  envoyé une copie inachevée de l’ouvrage afin qu’il la lise et la préface. J’ai eu une réponse assez rapide de son cabinet. En gros  : "le Roi est disposé à valider votre requête, mais il faut attendre que son emploi de temps le lui permette !" Rien que ça ! J’ai donc attendu, peaufinant le reste des illustrations. Puis un beau jour, j’ai reçu un appel royal  : ‘Monsieur Pahé, le roi a signé votre préface, on vous l’envoie !’"

Est-ce une conséquence des attentats contre Charlie Hebdo ?

Je ne pense puisque le projet a été conçu avant l’affaire Charlie, la préface est arrivée avant aussi. Entre temps, j’avais déjà envoyé tout le livre avec des rajouts qui tombaient à point nommé, notamment sur les marches de l’opposition à Libreville et la marche de Paris. Incroyable  ! J’ai néanmoins mis sur ma page "Je suis Charlie" car j’avais pu rencontrer Wolinski à Libreville et Tignous dans un festival en Afrique : nous faisions le même métier.

Tout le monde en prend pour sa gueule, aussi bien le pouvoir qu’il incarne que l’opposition.

>> Lire aussi : Gabon : Ali Zen Bongo et l’opposition

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Ne craignez-vous pas de servir la communication d’Ali Bongo Ondimba ?

À ce niveau non, ce serait plutôt moi qui me sert de lui pour vendre mon bouquin ! N’oublions pas qu’avant tout, nous dessinateurs, sommes des artistes qui vivons entres de notre art. Je fais passer des messages, je dénonce, j’informe le public, mais je fais aussi des bouquins pour les vendre. J’utilise le président vu qu’il se vend bien et très bien. Actuellement, mettez du Ali Bongo sur une couverture aguicheuse et vos ventes explosent. Il n’y a qu’à voir les nombreuses unes le concernant, au Gabon, dans la presse écrite. Mais c’est vrai que la sortie de mon bouquin lui sert un peu tout de même, vu l’actualité du moment. C’est un sacré veinard ! En même temps, tout le monde en prend pour sa gueule, aussi bien le pouvoir qu’il incarne que l’opposition. Tous les sujets sont abordés sans retenue.

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Ali Bongo a-t-il eu un droit de regard sur vos dessins  ?

Pour vos lecteurs, sachez que s’il m’avait été dit que ma préface serait faite par le Roi à condition que je supprime quelques dessins désavantageux à son égard, j’aurai refusé net. Aucun de mes dessins n’a été censuré. Il a tenu sa promesse, c’est l’essentiel. Pahé, même dans le royaume de la République gabonaise n’a ni dieu, ni maitre.

Au cours de votre carrière, avez-vous eu affaire à la censure?

Oui, mais vous allez bien rire, la censure venait beaucoup plus de ma rédaction, sur mon lieu de travail, que du pouvoir. Incroyable non ? J’ai fait de nombreuses rédactions, avec mon ton, ma grande gueule. Des dessins, je m’en suis fait interdire plusieurs fois. Le rédacteur en chef me disait : "Pahé, je t’aime bien, mais là, avec ce dessin, je risque d’avoir des problèmes." Ou encore : "Pahé, voici une liste de personnalités que tu ne peux pas critiquer dans le mauvais sens". À la question de savoir ce que cela voulait dire, mon patron me répondait : "Tu ne peux mordre la main qui te nourrit !" En gros, la plupart des rédactions étaient aux ordres d’un membre du pouvoir, ou de l’opposition.

Et vos collègues  ?

Au Gabon, les dessinateurs ont toujours eu la chance de ne pas être inquiétés. Je ne connais aucun caricaturiste qui ait été massacré ou tué pour un dessin. Une légende circule. Laurent Levigot, dessinateurs des années 1990 hyper virulent contre Omar Bongo Ondimba, se retrouva nez à nez au Palais avec son croqué. On raconte que papa Omar lui mit une gifle, en lui demandant s’il portait de hautes talonnettes comme dans ses caricatures. Ah les légendes  ! Autre fait. Maggic Youngou, du Journal La Griffe, se retrouva un jour devant les juges  pour avoir fait une caricature demandant aux militaires de se soulever pour renverser Omar Bongo. Il sera libéré, sans aucune peine. Quand arrive Ali Bongo, en 2009, Lybek du journal L’Union se fera beaucoup de souci avec sa série "Les Gabonitudes" dans laquelle il dépeint la société gabonaise. De petits malins l’appellent souvent pour le menacer, mais il n’a jamais subit de sévices. Moi, Eh bien pour avoir caricaturé deux gendarmes entrain de boire de la bière, je me suis retrouvé 36 heures en cellule. Les bidasses, au Gabon, ils ont de l’humour  ! En résumé, le dessinateur de presse à plus de bol que son pote journaliste de la presse écrite.

Ah bon  ?

Oui, mais je tiens à dénoncer quand même un fait. Au Gabon, tout le monde devient journaliste, tout le monde a son canard. Mais le titre de journaliste vous donne-t-il le droit de tirer à boulets rouges, dans des articles de commande, sur votre prochain  ? Beaucoup diffament et injurient pour alimenter leur fonds de commerce. "J’ai un article sur toi, tu me donnes combien pour le retirer ?" est une  méthode bien connue. Quant à la diffamation à proprement parler, si Pahé vous a diffamé dans un dessin, pas de souci, saisissez les tribunaux, ils lui régleront son compte. Du moins si la loi gabonaise peut nous édifier sur cet épineux problème.

Être caricaturiste en Afrique, c’est toute une histoire par rapport à l’Europe.

Sur le plan personnel, est-ce que vous vous autocensurez sur certains sujets ?

J’ai pour principe de tout croquer. Je suis libre de dessiner qui je veux, ce que je veux. Maintenant tout dépendra de ce que je ferai dire au croqué. Il a des sujets qui fâchent et je m’autocensure car je me mets à la place de mes cibles. Être caricaturiste en Afrique, c’est toute une histoire par rapport à l’Europe. Que celui qui a les oreilles comprenne. Mais je le répète, le dessinateur de presse que je suis n’est pas là pour faire plaisir à tel ou tel, ministre ou autre grand. Je suis le grain de sable qui bloque l’engrenage. Je suis là pour vous titiller et pour mettre le doigt là où ça vous fait mal.

Au Gabon, tout peut se dire?

Je répondrai par cette phrase célèbre  : "On peut rire de tout, mais ça dépend avec qui !" Soyons responsables !
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Propos recueillis par Nicolas Michel
 

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