RDC : la journaliste Mélanie Gouby au coeur du documentaire « Virunga », en lice pour les Oscars
« Virunga », tourné en République démocratique du Congo (RDC), est en lice pour l’Oscar du meilleur film documentaire lors de la prestigieuse cérémonie des Oscars, dimanche 22 février à Los Angeles. Au coeur du récit : l’enquête sur la compagnie pétrolière Soco International de la journaliste française, Mélanie Gouby, qui s’est confiée à « Jeune Afrique ».
Le documentaire réalisé par le britannique Orlando von Einsiedel et produit par Leonardo Dicaprio met en lumière la lutte des gardes du parc des Virunga (est de la RDC) et de leur directeur Emmanuel De Merode, blessé par balles en avril 2014, pour préserver cette réserve naturelle classée au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Virunga raconte le drame du dernier sanctuaire de gorilles de montagnes au monde, menacé par les groupes armés et l’exploitation pétrolière. La journaliste Mélanie Gouby, au centre de la trame narrative du film, a enquêté sur les activités de Soco International. De passage à Paris, Jeune Afrique l’a rencontrée. Interview.
Jeune Afrique : Comment avez-vous été impliquée dans ce documentaire ?
Mélanie Gouby : Depuis mon arrivée au Congo en 2011, je suivais les activités du Parc des Virunga. Quelques semaines après le début de mon enquête sur Soco International, j’ai rencontré Orlando von Einsiedel. Au départ, son documentaire portait sur le travail des gardes du parc. Quand je lui ai parlé de mes découvertes sur la compagnie pétrolière, il n’a pas hésité une seule seconde : il m’a donné une caméra cachée pour mener mon enquête. C’était une opportunité sans précédent de raconter cette histoire à la fois passionnante et effrayante. C’est important pour nous tous de réaliser ce qu’on va peut-être sacrifier pour l’exploitation du pétrole.
Pourquoi faut-il protéger le Parc des Virunga ?
C’est l’un des parcs qui compte la plus grande biodiversité en Afrique et qui abrite la dernière population de gorilles de montagne. Même au-delà de ces considérations, le parc joue un rôle crucial au sein de la communauté avec son fort potentiel économique. Avant la guerre, le tourisme représentait la toute première industrie de la région. Protéger les gorilles, c’est donc protéger le potentiel économique du parc ! L’industrie pétrolière ne créerait pas autant d’emplois puisque l’exploitation nécessite une main-d’oeuvre spécialisée. Alors que restera-t-il pour les Congolais? L’argent ira dans les poches de Soco International.
Pourtant, Soco International n’a-t-elle pas obtenu des autorisations pour mener son projet d’exploration ?
Soco International possède une concession dont la moitié est située à l’intérieur des limites du parc. Cependant, la compagnie pétrolière n’a pas le droit de faire de l’exploration pétrolière dans le Parc des Virunga. C’est ce dit la loi congolaise. D’ailleurs, ses études d’exploration ont été justifiées à l’intérieur des limites du Parc des Virunga par une exception dans la loi environnementale qui permet les études scientifiques à but non commercial. C’est hypocrite ! Son but est très commercial… Soco est enregistrée au London Stock Exchange. En plus, le parc est classé au patrimoine mondial de l’humanité.
Soco présentera dans quelques mois les analyses de ses travaux d’exploration et le gouvernement congolais prendra ensuite une décision.
Quelle est la position du gouvernement congolais ?
Le système étatique congolais est très faible. Le paysage politique est marqué par la guerre. Le gouvernement tente de trouver une solution. Mais vous savez, le pétrole, c’est beaucoup d’argent. Actuellement; aucune décision n’a été prise sur le forage. Les membres du gouvernement devront avoir un questionnement légitime sur la valeur du parc par rapport à la valeur du pétrole. Moi, je pense que c’est évident : à long terme, la conservation du parc est plus bénéfique pour la communauté.
Dans le documentaire, des scènes tournées en caméra cachée laissent croire que Soco a tenté de corrompre des gardes du parc. Est-ce le cas?
C’est arrivé souvent. Par exemple, l’un des gardes du parc, Rodrigue Katembo, a été approché plusieurs fois avec des sommes d’argent par des agents liés directement ou indirectement à Soco International. D’autres gardes du parc ont aussi été approchés de cette façon. Ces pots-de-vin doivent servir à faciliter l’accès au parc. Mais Soco s’est toujours défendue de procéder de cette façon.
Qu’est-il arrivé à Rodrigue Katembo après la diffusion du film ?
Sa sécurité était en danger alors il a dû s’exiler avec sa famille à Nairobi au Kenya. En octobre 2013, il avait été arrêté et torturé. Rodrigue a pris beaucoup de risques… beaucoup plus que nous tous. C’est un homme très courageux… La condition sine qua non pour son retour, c’est l’arrêt total des activités de Soco.
D’ailleurs, Soco a déjà annoncé la fin des activités. Est-ce vraiment le cas ?
Pas exactement. Après une entente avec WWF, Soco a confirmé en juin 2014 avoir mis un terme à ses activités dans le Parc des Virunga. Cependant, j’ai mis la main sur une lettre confidentielle signée par le directeur de Soco en RDC et destinée au Premier ministre congolais Augustin Matata Ponyo. Toutes les annonces faites dans la presse sont fausses. Ils présenteront dans quelques mois les analyses de leur travaux d’exploration et le gouvernement prendra ensuite une décision. Il faut les garder à l’oeil !
Êtes-vous optimiste pour l’avenir du Parc des Virunga ?
Avec le film, nous avons eu un réel impact et cet impact est déjà palpable. Les dons pour le parc ont explosé. De plus, Soco a aujourd’hui beaucoup de pression. Et depuis la chute du groupe armé M23, les touristes reviennent. Se rendre aux Oscars nous permet d’avoir une très grande exposition médiatique. Pour ma part, j’ai quitté le Congo il y a un an pour ma sécurité. Aujourd’hui, je suis basée au Kenya et je continue mon travail de journaliste.
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>> Pour aller plus loin :
– Aucune sortie en salle du fim Virunga n’est prévue en France : le film est disponible uniquement sur Netflix.
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