Côte d’Ivoire : Jésus, mannequin publicitaire trash à Abidjan
Les chrétiens ivoiriens ont visiblement foi dans les vertus de la pub. Mais une affiche représentant un Christ ensanglanté fait polémique…
Lorsque le Christ chassa les marchands du temple, imaginait-il qu’il deviendrait, un jour, la star d’une campagne à caractère publicitaire ? En pleine période de carême où l’on enseigne aux chrétiens de prendre leurs distances avec la société de consommation, les croyants ivoiriens s’emparent des outils du marketing. Dans des quartiers comme Marcory, des affiches de quatre mètres sur trois exhibent une représentation sanguinolente du supplice de Jésus.
Manifestement tiré du film The passion of the Christ, le cliché ne fait pas l’économie d’hémoglobine, exposant aux yeux des Ivoiriens un messie éborgné, tuméfié par la couronne d’épine, lacéré par les coups de fouets et courbé sous le poids de la croix. "Jésus a payé ce prix pour ton salut", lance le simili-slogan de la campagne, ajoutant "Bonne et sainte année 2015".
Prosélytisme outrancier
L’attirance des églises pour les supports publicitaires n’est ni nouvelle, ni africaine. En 2013, par exemple, c’est un clergé français en manque de denier du culte qui plagiait le chanteur Johnny Hallyday en scandant, sur des affiches : "Oh Marie, si tu savais, tous les dons qu’il nous faudrait…" ou "On a tous quelque chose en nous de Jésus-Christ"… Mais la Côte d’Ivoire est-elle prête au mélange des genres, d’autant que l’adaptation de chansons populaires a cédé la place à une image d’une violence très crue, violence déjà critiquée au moment de la sortie du film de Mel Gibson ?
Plus encore, en cette période où la représentation des prophètes crispe les positions, un prosélytisme aussi outrancier n’est-il pas de nature à exacerber les sensibilités ? Notamment dans un État laïc. Notamment dans une sous-région où progresse un terrorisme friand de prétendues justifications divines. Déjà, des Ivoiriens se plaignent de cette affiche quelque peu trop "gore".
Paraboles bibliques
Bien avant le massacre de coptes en Libye, la chrétienté africaine aurait-elle senti le besoin de s’affirmer, jusque dans des lieux publics ? Il semblait pourtant que le christianisme progressait allégrement sur le continent, singulièrement dans sa version évangélique et particulièrement en Côte d’Ivoire. La "comm" chrétienne est déjà très visible au bord de la lagune Ebrié, à la faveur de grands shows prosélytes comme ceux du pasteur allemand Reinhard Bonnke.
En 2012, l’Annuario Pontificio 2012 indiquait que les fidèles du pape étaient également de plus en plus nombreux en Afrique. Il apparaissait que le continent était moins sujet à la crise des vocations. L’Afrique serait même le réservoir d’ouailles idéal du Vatican, alors que la présence des "cathos" a tendance à refluer en Amérique latine et en Europe. Foncièrement croyant, le continent resterait réceptif aux paraboles bibliques, alors que l’Occident incrédule et matérialiste serait devenu imperméable aux expressions religieuses de la spiritualité. Est-ce une raison pour imposer aux yeux des enfants ivoiriens le spectacle trop réaliste d’un Nazaréen agonisant ?
Par Damien Glez
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