Macky Sall et Yaya Jammeh : « Je t’aime, moi non plus »
Convié à la célébration officielle du cinquantenaire de l’indépendance gambienne, ce mercredi, à Banjul, le président sénégalais, Macky Sall, a décliné l’invitation de son homologue Yahya Jammeh. Un accroc de plus dans la relation en dents de scie entre les deux chefs d’État.
Les médias s’étaient empressés d’évoquer un réchauffement des relations entre les deux hommes. Il n’en sera finalement rien. Invité ce mercredi 18 février par son homologue Yahya Jammeh pour les célébrations du cinquantième anniversaire de l’indépendance de la Gambie, Macky Sall ne se rendra pas à Banjul. Il sera représenté par son Premier ministre Mahammed Dionne et un de ses proches, Souleymane Jules Diop, le secrétaire d’État aux Sénégalais de l’extérieur.
À Dakar, dans l’entourage du président, on évoque, outre le traditionnel conseil des ministres du mercredi, "un calendrier chargé et arrêté depuis longtemps sur la tournée en Casamance". Macky Sall effectuera en effet, du 19 au 25 février, un voyage d’une semaine dans la région la plus méridionale du pays, coincée entre la Gambie et la Guinée Bissau et agitée par une rébellion depuis les années 1980.
Le président sénégalais Macky Sall est entré en fonction le 2 avril 2012. © AFP
Main tendue à Jammeh
L’absence du chef de l’État sénégalais au cinquantenaire de l’indépendance gambienne, auquel sont attendus ses homologues Ernest Bai Koroma (Sierra Leone), John Dramani Mahama (Ghana), Alpha Condé (Guinée), Jose Mario Vaz (Guinée Bissau) ou encore Mohamed Ould Abdelaziz (Mauritanie), constitue une péripétie de plus dans la relation en dents de scie qu’il entretient avec Yahya Jammeh depuis son arrivée aux affaires, en avril 2012.
Tout avait pourtant bien commencé entre "Macky" et son voisin, qui dirige la Gambie d’une main de fer depuis plus de vingt ans. Le 15 avril 2012, quelques jours à peine après son entrée en fonction, le président sénégalais avait effectué son premier déplacement officiel à l’étranger à Banjul. Avec cette visite de courtoisie, en forme de main tendue à Jammeh, le nouveau chef de l’État affichait ainsi sa bonne volonté à l’égard de son hôte, qui se déplaçait à son tour début mai à Dakar.
Les trois visites de Macky à Banjul
Ce souhait d’instaurer une relation apaisée entre les deux pays a vite sombré dans les eaux tumultueuses du fleuve Gambie. En août 2012, l’imprévisible Yahya Jammeh décide d’exécuter neuf condamnés à mort, dont deux Sénégalais. À Dakar, c’est la stupeur. Macky Sall et ses proches sont furieux et le communiqué du président cinglant. "C’est avec consternation que j’ai appris l’exécution des condamnés à mort en Gambie, parmi lesquels figuraient deux de nos compatriotes. Nous avons été surpris par le mépris des autorités gambiennes à l’égard du Sénégal, qui aurait dû être informé au moins de la décision par les voies appropriées telles que la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires ainsi qu’à l’esprit de bon voisinage."
La confiance va mettre plusieurs mois à se rétablir. Jammeh marque d’abord des points en facilitant, en décembre 2012, la libération de huit soldats sénégalais détenus par des rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). En février 2013, la décrispation est officialisée : Macky Sall est reçu en grande pompe et avec tous les honneurs à Banjul pour l’anniversaire de l’indépendance de la Gambie. Il y retournera une troisième fois en octobre 2014.
Le président gambien Yahya Jammeh est au pouvoir depuis juillet 1994. © AFP
La carotte et le bâton
Depuis, les relations entre les deux voisins sont loin d’être linéaires et avant tout dictées par la realpolitik. "Les Sénégalais n’ont jamais vraiment eu le choix : ils savent parfaitement qu’ils ont besoin des Gambiens pour régler le conflit en Casamance", explique un diplomate de la région. Obligé de composer avec l’infréquentable Jammeh, Macky manie donc la carotte et le bâton pour tenter de trouver des compromis. De son côté, le président gambien, que beaucoup décrivent comme paranoïaque et irrationnel, souffle le chaud et le froid en fonction de ses humeurs ou de ses besoins.
Dernier faux-pas dans cette valse sénégalo-gambienne hésitante : l’accusation par Yahya Jammeh du rôle indirect joué par Dakar dans la tentative de coup d’État manqué à Banjul le 30 décembre dernier. Il avait alors accusé à demi-mots le Sénégal d’avoir abrité et accueilli des putschistes. De leur côté, les responsables sénégalais affirment qu’ils ont été pris de court et qu’ils n’étaient au courant de rien. "En réalité, ils se passeraient bien de Jammeh et n’auraient pas été si mécontents que le coup d’État aboutisse", glisse notre source diplomatique. Ce n’est probablement pas la récente décision du président-dictateur gambien d’annuler la construction du pont au-dessus du fleuve Gambie, vital pour les Sénégalais, qui leur fera penser le contraire.
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Benjamin Roger
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