Et si l’effondrement du cours des matières premières était une chance pour l’Afrique ?
Amaury de Féligonde est associé-fondateur de Okan Consulting, un cabinet de conseil en stratégie et en finances spécialisé sur l’Afrique.
-
Amaury De Féligonde
Ancien de McKinsey et de l’AFD, associé d’Okan, société de conseil en stratégie et en finance dédiée à l’Afrique.
Publié le 5 mars 2015 Lecture : 4 minutes.
Des indépendances aux années 1990, les performances économiques du continent africain ont été étroitement liées au cours des matières premières agricoles, minières ou pétrolières. Le sort des pays du Sahel semblait dépendant du cours du coton (Mali, Burkina) ou de l’uranium (Niger). L’avenir du Nigeria ou de l’Angola était lié au prix des hydrocarbures. La santé de la Mauritanie variait en fonction du cours du fer. Les observateurs évoquaient une véritable « malédiction des matières premières ». L’Afrique était « mal partie », comme le proclamait René Dumont.
Si cette dépendance demeure encore trop forte, la fin des années 90 et la décennie 2000 ont vu la majeure partie des économies africaines progressivement se diversifier.
Le Maroc a mis en place des politiques visant à développer l’industrie, les services et l’agriculture. En 2014, l’industrie automobile marocaine a exporté pour près de 4 milliards d’euros, devenant le premier secteur d’exportation, devant l’agro-industrie et les phosphates.
La baisse des cours pourrait forcer des gouvernements, menacés par une certaine autosatisfaction, à accélérer leur diversification.
La révision des statistiques du Nigeria a permis de revoir à la hausse le PIB (+ 80%), grâce à la réévaluation du rôle des services (télécoms, audiovisuel). Le Gabon s’est engagé dans une diversification de son économie, notamment au sein de la zone économique de Nkok où 400 millions de dollars ont déjà été investis. Le Rwanda a misé, avec un succès croissant, sur les secteurs des technologies de l’information et du tourisme.
Une aubaine
Mais l’inquiétude suscitée sur le continent par la chute des cours de la plupart des matières premières essentielles – le pétrole est passé de 100 à 60 dollars en quelques mois, le fer de 150 à 50 dollars par tonne en moyenne – à travers le continent, d’Alger à Luanda, montre que la diversification de l’économie de nombreux États africains demeure un objectif primordial. À bien des égards pourtant, le brutal effondrement du cours de matières premières essentielles peut constituer une chance pour les pays africains.
Pour commencer, ce phénomène est une réelle aubaine pour les importateurs d’hydrocarbures, soit 40 nations d’Afrique. La chute du prix du baril leur permet d’améliorer leur balance commerciale, de faire baisser le coût à la pompe, entraînant une amélioration du niveau de vie et engendrant des économies sur les subventions aux carburants (7 milliards de dollars au Nigeria, 276 et 600 millions de dollars au Ghana et au Cameroun).
Plus fondamentalement, la baisse des cours pourrait forcer des gouvernements que menaçait une certaine autosatisfaction à accélérer leur diversification, en révisant leurs politiques de développement.
Révision fondamentale
Comme le montrent Singapour, ou le Rwanda plus récemment, l’émergence est moins affaire de matières premières que de politiques publiques bien pensées et méthodiquement mises en œuvre. Cependant, la voie est étroite pour transformer en opportunité ce qui est aussi un risque immédiat pour beaucoup de pays encore trop dépendants des commodités. Le nouveau contexte appelle de la part des autorités une révision fondamentale de leur fonctionnement.
Les gouvernements peuvent mieux dépenser, ils peuvent aussi augmenter leurs revenus. Les Etats doivent ainsi élargir l’assiette fiscale et améliorer la collecte de l’impôt.
À titre d’exemple, la RDC a fait croître ses rentrées fiscales de 300 millions à 9 milliards de dollars entre 2001 et 2014, grâce à la paix retrouvée et à la mise en œuvre d’une véritable stratégie d’efficacité fiscale. Une dizaine de pays africains (dont le Sénégal en Afrique de l’Ouest, la Tanzanie à l’Est, la Namibie au Sud du continent) ont délégué le contrôle de leurs flux portuaires à des sociétés privées, via des partenariats publics-privés, pour améliorer le recouvrement de leurs droits de douane.
Le nouveau contexte appelle de la part des autorités une révision fondamentale de leur fonctionnement.
Pour mieux dépenser, les États doivent aussi améliorer le ciblage de leurs investissements, mieux les structurer et les « délivrer » plus vite. En amont, les gouvernements doivent éviter les « éléphants blancs » (aéroports gigantesques pour un nombre de passagers restreint, autoroutes à péage qui restent vides, projet de raffineries non-compétitives, etc.) et favoriser les investissements dans des infrastructures favorisant l’émergence de relais de croissance.
Devant la perte de compétitivité de sa filière sucrière, Maurice a ainsi favorisé les investissements dans de nouveaux secteurs porteurs (services financiers et offshoring, tourisme et éducation supérieure), outre le textile, lui permettant de bénéficier d’une économie diversifiée. De même, le Rwanda mise sur les technologies de l’information et le tourisme (qui croissent de 10 à 15 % par an), afin de diversifier un tissu économique encore trop agricole.
S’entourer de bons conseillers
Ensuite, pour structurer des projets utiles et rentables, et entrer dans des partenariats réellement équilibrés (PPP pour les infrastructures économiques et sociales ; concessions minières et pétrolières), les gouvernements doivent apprendre à s’entourer de conseils professionnels.
À titre d’exemples, le gouvernement Marocain a bâti les Plan Maroc Vert (agricole) et Emergence (industrie) avec le cabinet McKinsey, le gouvernement du Cameroun a pris un conseil technique et financier pour l’appuyer dans les négociations d’attribution des concessions de Kribi.
Enfin, les États doivent mettre en place des institutions et des outils permettant de mettre en œuvre de façon efficace les programmes structurants. Le Rwanda et l’Ethiopie, pays dont le taux de croissance avoisine les 8 à 10% depuis une décennie, peuvent faire figure de modèles, les ministres y étant évalués sur la base de l’état d’avancement des chantiers dont ils ont la charge.
Comme le dit un proverbe Bamoun : « l’eau qui ne coule pas croupit ». L’effondrement du cours des commodités peut constituer une chance pour l’Afrique. Encore faut-il que les autorités comprennent qu’il est de leur intérêt de revoir leurs méthodes, pour faire de ce défi une opportunité et atteindre l’émergence tant recherchée.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Économie & Entreprises
- Doublé par la junte au Mali, Maroc Telecom restera-t-il dans le pays ?
- Chez Itoc au Sénégal, les enfants de Baba Diao revisitent la gouvernance du groupe
- Carburant en Afrique : pourquoi les exportateurs mondiaux jouent des coudes pour a...
- « Neuf des vingt pays qui présentent les taux de croissance les plus forts au mond...
- Sénégal : à quoi doit servir la nouvelle banque de la diaspora ?