Sans heurts, le Maroc a réussi à supprimer ses subventions
Aucun mouvement de protestation n’a sanctionné l’arrêt des aides financières sur les carburants. Une victoire du gouvernement du Maroc due à un timing miraculeux – la chute des prix de l’or noir -, mais pas seulement…
Les dirigeants marocains auraient pu craindre le pire le 1er janvier. La suppression définitive des subventions sur les carburants, annoncée à la fin de l’année dernière, entrait en vigueur. Mais aucune manifestation, aucun courroux populaire n’ont été observés dans le pays. Les responsables marocains, de même que ceux des autres pays engagés dans ce processus, comme l’Égypte, l’admettent : ils ont été bénis par l’effondrement, en quelques semaines, des prix du pétrole. « Nous avons été très chanceux », convient Nizar Baraka, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances et actuel président du Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Ainsi, et ce malgré l’arrêt des aides, le gas-oil a perdu 0,56 dirham par litre, tombant à 8,43 dirhams (0,76 euro), tandis que l’essence diminuait de 1,57 dirham le litre, à 9,29 dirhams.
Impopulaire
Figurant parmi les mesures phares du gouvernement d’Abdelilah Benkirane (Parti de la justice et du développement, islamiste modéré), élu à la fin de l’année 2011, la réforme s’annonçait pourtant comme des plus impopulaires. À l’époque, la Caisse de compensation, chargée de distribuer les aides sur les produits de grande consommation (les hydrocarbures, le gaz butane, mais aussi les produits alimentaires comme la farine ou le sucre), voit son budget exploser. Celui-ci atteint alors plus de 50 milliards de dirhams, contre 3 milliards au début des années 2000, en raison de l’envolée des prix de ces matières premières. À eux seuls, les produits énergétiques en représentent 90 %, étranglant les finances publiques.
« Ces aides étaient utiles juste après l’indépendance, affirme aujourd’hui Mohamed Bousaïd, le ministre des Finances. Il y avait beaucoup de gens dans le besoin, et c’était le rôle de l’État de stabiliser les prix. Mais les subventions étaient devenues insoutenables. L’objectif maintenant est de cibler les plus démunis. »
Car, au Maroc et dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient en général, ces subventions, qui pèsent de 5 % à 10 % du PIB, n’ont qu’un impact limité sur les populations pauvres, qu’elles sont pourtant censées viser. Ces dernières ne bénéficieraient ainsi que d’un dixième du montant des aides gouvernementales sur les produits énergétiques, selon un rapport de la Banque mondiale publié en octobre 2014. À l’inverse, les 20 % les plus riches capteraient entre 60 % et 80 % de ces sommes.
Pollution
Sans compter que les subventions sur les carburants favorisent le chômage en soutenant des industries intensives en capital comme la pétrochimie ou l’aciérie – qui requièrent peu d’employés. Et qu’elles font également augmenter la pollution de l’air et donc le nombre de maladies cardio-vasculaires en décourageant le recours aux transports publics.
Pour que cette réforme soit un succès, le Maroc a préparé le terrain. Depuis deux ans, une prudente planification de la réforme et des campagnes de sensibilisation ont été mises en place pour convaincre les Marocains du bien-fondé de la mesure, même si elle signifiait des dépenses supplémentaires pour les ménages ou 25 % de hausse sur les courses en taxi. Elles ont été portées par Abdelilah Benkirane lui-même. « Le chef du gouvernement a expliqué la réforme aux gens, en permanence », insiste Nizar Baraka.
>>>> Lire aussi – Maroc : la reprise, c’est bientôt
Dans cette aventure, l’islamiste modéré, qui souhaitait démontrer la compétence de son jeune gouvernement, a bénéficié d’une base de soutien assez large. « Les Marocains sont convaincus que tous les politiciens sont des voleurs, souligne Karim Tazi, un industriel marocain, patron de Richbond. Mais ils croient toujours que Benkirane n’en est pas un, qu’il fait les choses parce qu’il le doit. »
Progressive
L’année dernière, le gouvernement a amorcé la réforme en indexant partiellement les prix des carburants sur les cours internationaux du pétrole. Il a ensuite pris soin d’engager une baisse progressive des subventions selon un calendrier clairement annoncé, et en excluant les combustibles de cuisine, principalement utilisés par les populations pauvres. Et les autorités ont déclaré que la moitié des économies tirées de cette réforme avaient été en partie allouées à des programmes pour les plus démunis, l’éducation et la santé.
Mais la baisse des cours du pétrole ne sera pas éternelle. En cas de hausse du baril, les ménages marocains, dont le pouvoir d’achat sera alors amputé, pourraient finalement protester. De fait, un certain nombre d’observateurs estiment qu’il est encore trop tôt pour juger du succès ou de l’échec de la réforme.
>>>> Lire aussi – Chute du pétrole : les pays importateurs peuvent enfin souffler
Par Borzou Daragahi © Financial Times et Jeune Afrique
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