Cinéma : Laëtitia Eïdo, star latine
Laëtitia Eïdo joue la résistante kabyle Fadhma N’Soumer dans le film du même nom qui a remporté samedi 7 mars l’Étalon d’argent au Fespaco, à Ouagadougou. Une belle récompense pour l’actrice franco-libanaise qui est également à l’affiche dans « Mon fils », d’Eran Riklis. Portrait.
Exigeante, bosseuse, déterminée, investie… À écouter ceux qui la connaissent, Laëtitia Eïdo compte parmi ces femmes qu’aucun obstacle n’arrête. Rien de surprenant, dès lors, à ce qu’elle ait pu jouer Cléopâtre VII en grec et en latin, Lalla Fadhma N’Soumer en kabyle et Andromaque dans le français limpide de Racine. Avec elles, un seul point commun incontestable : cette Méditerranée douce et violente que son visage comme ses cheveux trahissent.
Elle est pourtant née loin des embruns et du sel, dans les monts du Forez, entre Clermont-Ferrand et Lyon (Massif central). Tel jour de telle année, vous n’avez qu’à deviner. Ce Sud qui coule dans ses veines, il lui vient de sa mère, qui, fuyant la guerre au Liban, rencontre son père en France, où ils vivent heureux, entourés de leurs trois enfants. D’ailleurs, quand il s’agit de choisir un nom d’actrice, Laëtitia élit tout naturellement le patronyme maternel. "Un prénom français d’origine latine et un nom arabe, cela représente un peu ce que je suis, dit-elle, un rien emphatique. Ou ce que j’essaie d’être, un lien de paix."
Aujourd’hui, Laëtitia Eïdo est à Ouagadougou pour le Fespaco, où le film Fadhma N’Soumer, de l’Algérien Belkacem Hadjadj, est en compétition officielle. En France, on peut la voir au cinéma dans Mon Fils, de l’Israélien Eran Riklis, où elle joue "en arabe palestinien" une douce mère de famille. Aux États-Unis, où sa visibilité est meilleure, elle a tenu un des rôles principaux dans deux épisodes de la saison 3 de Strike Back.
Père médecin et sculpteur, mère peintre, l’enfant têtue – c’est elle qui le dit – ne rêve pas de cinéma depuis ses tendres années. Elle, c’était plutôt les livres qui vous emmènent ailleurs et parfois très loin. Mais peut-être faut-il quand même chercher dans l’enfance le goût des métamorphoses. "Nous avons rencontré le racisme assez tôt, se souvient-elle. C’était des trucs de gamins qui nous ont fait comprendre que nous étions différents, mais qui nous ont aussi permis de prendre conscience que c’était une richesse. Je suis devenue un caméléon pour ne pas être distinguée. Je m’amusais à prendre l’attitude des autres, si bien que désormais je sais tirer sur la bonne corde quand il faut…"
L’enfance est paisible et, après le bac à Tournon-sur-Rhône (Ardèche), Laëtitia Eïdo se tourne vers l’architecture, option scénographie. Ce dont elle est sûre, à l’époque, c’est qu’elle ne conçoit pas plus la vie sans création quotidienne qu’elle n’envisage de travailler pour un patron. Le cinéma, cette lectrice vorace l’aime surtout pour les histoires qu’il raconte et elle commence à s’imaginer en réalisatrice. "Montée" à Paris, comme on dit quand les racines sont au Sud, elle va peu à peu délaisser la règle et le compas pour écumer les écoles de théâtre. "J’ai pensé qu’il fallait que je passe par la comédie d’abord", déclare celle qui trouvera son salut dans la technique d’enseignement de Sanford Meisner.
Pour vivre, elle réalise alors des décors de théâtre et enregistre des voix off. Son premier vrai rôle, c’est celui d’Andromaque. La petite compagnie qu’elle a créée, L’Arène Mab’, tourne en France – et surtout en Corse, "dans des petits villages magnifiques". Et lorsque Fabrice Hourlier fait passer des auditions pour tourner Le Destin de Rome dans les langues de l’époque, il "voit" chez elle sa Cléopâtre. "Ce qui m’a plu, c’est de la rendre humaine, de casser le côté reine du personnage mythique", affirme Eïdo, qui reconnaît que passer du théâtre au cinéma n’a pas été évident.
"Au début, j’avais peur de la caméra, c’était comme un oeil qui me regardait. Ce rôle m’a apporté un peu plus de confiance en moi." Peu remarquée en France, elle regarde "au-delà des frontières", dégotte un agent à Londres, un manager aux États-Unis, et, dès qu’elle aime, elle se lance. "J’ai écrit à Eran Riklis, parce que son film Les Citronniers faisait écho à mon expérience personnelle. Il m’a proposé une audition." Sachant que Meryl Streep doit bientôt incarner Maria Callas (âgée) pour HBO, Eïdo s’est d’ores et déjà positionnée pour le rôle (avec quelques années de moins) en réalisant une série de photographies en noir et blanc où la ressemblance avec la cantatrice bondit aux yeux.
Ambitieuse, la jeune Franco-Libanaise se voit bien tourner avec le Français Jacques Audiard et ne refuserait pas un rôle proposé par Abdellatif Kechiche : "Je n’ai plus peur de la confrontation ; je trouve même qu’il est intéressant de se confronter pour créer." Une attitude qui semble lui réussir, en tout cas outre-Atlantique – où elle attend des réponses "après de gros castings".
Passer derrière la caméra ? "Je ne vois pas pourquoi je m’interdirais quoi que ce soit. On n’a qu’une vie et je veux tout essayer. J’ai trois courts-métrages en production et un long en écriture." Son coach de l’agence Médiane, Christophe Averlan, y croit, mais espère qu’elle va poursuivre un peu sa carrière d’actrice. "La France est toujours très frileuse vis-à-vis des acteurs qui ne sont pas seulement acteurs, mais je sais qu’elle va trouver le réalisateur qui aura le courage de son talent à elle." Sinon, Laëtitia Eïdo fuit parfois Paris pour s’en aller vers Toulouse rejoindre son compagnon, qui possède une maison en forêt : elle a besoin de nature.
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