L’Afrique du Sud se cherche un champion minier national
Pour le gouvernement sud-africain, le désengagement des multinationales ouvre une voie royale à un futur géant local. Mais les groupes du pays ont-ils les épaules assez larges ?
À Mining Indaba, la grande conférence minière du continent, qui rassemblait du 9 au 12 février quelque 7 000 professionnels de cette industrie au Cap, le ministre sud-africain des Mines, Ngoako Ramatlhodi, a annoncé sa volonté de créer un champion national du secteur à partir des actifs dont cherchent à se séparer des multinationales comme le britannique Anglo American ou l’anglo-australien BHP Billiton.
Le gouvernement de l’ANC souhaite que ce futur géant local soit un groupe privé « entre des mains noires », présent sur plusieurs minerais, et surtout impliqué sur le long terme. « Son management ne devra pas chercher constamment des pâturages plus verts en dehors du pays », a spécifié Ngoako Ramatlhodi, en poste depuis la réélection du président Jacob Zuma en mai 2014.
« Le ministre a choisi son moment pour faire cette annonce : il sait que la plupart des multinationales minières actives en Afrique du Sud passent actuellement en revue leurs actifs dans le pays pour en revendre certains, en particulier dans les filières du charbon et du platine, note Wickus Botha, responsable du secteur extractif chez EY à Johannesburg. Il n’entend pas empêcher les désinvestissements, mais en profiter. »
Actifs vieillissants
Quelques opérations et annonces ont déjà été faites dans le charbon. En juillet, Total Coal (filiale du groupe français) a vendu au sud-africain Exxaro ses mines et son terminal d’exportation de Richards Bay pour 472 millions de dollars (352 millions d’euros), et Anglo American a annoncé vouloir se séparer de ses trois mines de charbon approvisionnant les centrales de la compagnie d’électricité Eskom.
« Quant à BHP Billiton, il pourrait s’engager sur la même voie dans les prochaines semaines », indique Wickus Botha. Dans le platine, AmPlats, filiale d’Anglo American, prévoit de se séparer de ses actifs vieillissants de la région de Rustenburg. Et le suisse Glencore a annoncé le 11 février la revente de ses parts dans Lonmin (24 %), gestionnaire de la mine de platine de Marikana, où la police avait tué 34 grévistes en 2012.
La naissance d’un champion minier privé laisse certains connaisseurs du secteur dubitatifs. « Qui, en Afrique du Sud, a suffisamment d’argent pour acheter ces actifs miniers ? » s’interroge un spécialiste et consultant dans un grand cabinet de stratégie basé à Johannesburg. Il doute par ailleurs que les géants qui se désengagent du pays soient prêts à vendre à des petits acteurs locaux : « Dans le charbon, les investisseurs indiens comme Coal India, déjà présent au Mozambique, sont mieux placés que les groupes sud-africains pour faire des acquisitions. Et, dans le platine, les Russes sont mieux positionnés et moins endettés que les locaux. »
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Mark Cutifani, le puissant patron d’Anglo American, a d’ailleurs indiqué le 16 février qu’il entendait conserver des parts minoritaires dans ses projets sud-africains et qu’il ne vendrait pas des actions à perte, et surtout pas à des groupes inexpérimentés, fussent-ils locaux.
S’unir
« Il sera très difficile pour les sociétés sud-africaines de lever de l’argent sur les marchés, prévient notre consultant sud-africain. La Bourse de Johannesburg est peu appréciée des investisseurs internationaux du secteur, et le contexte global minier est peu engageant, presque toutes les matières premières minérales sont à leur plus bas niveau. »
« Dans le charbon, on pourrait toutefois voir quelques juniors sud-africaines se rapprocher pour être capables de reprendre les mines d’Anglo American et d’approvisionner Eskom », indique Wickus Botha, d’EY. Des groupes locaux spécialisés comme Coal of Africa et Continental Coal, ou plus grands et diversifiés tels que Exxaro ou Africa Rainbow Minerals, pourraient tenter de s’unir.
« Mais je pense qu’il subsistera plusieurs groupes de taille moyenne plutôt qu’un seul géant local », estime Botha. En revanche, dans les autres branches, la naissance de champions semble peu probable. « Les mines de platine sud-africaines ont des coûts très élevés et il n’y a pas de groupe local spécialisé sur ce minerai. On ne peut pas en créer un ex nihilo, alors que c’est une des filières minières les plus complexes techniquement, et nécessitant des investissements très importants », analyse le consultant sud-africain.
« Dans l’or, il existe déjà des champions sud-africains comme AngloGold Ashanti, Sibanye Gold et Harmony Gold, mais ce sont des groupes miniers mondiaux. Même s’ils sont dirigés depuis Johannesburg, ils n’ont pas vocation à rester dans le pays, où les réserves aurifères sont désormais moins attractives que celles d’Afrique de l’Ouest ou d’Amérique du Sud », ajoute Wickus Botha. AngloGold a d’ailleurs essayé en septembre de séparer ses actifs sud-africains de ses autres mines ouest-africaines et sud-américaines en proposant de les coter à Londres. Mais cela n’a pas été accepté par les actionnaires, qui considéraient que cela diluait les synergies.
Attractif
Le projet de Ramatlhodi, qui dispose certes du pouvoir réglementaire mais de moyens financiers limités, a donc peu de chances de rencontrer un franc succès auprès des groupes privés. Et il ne peut réussir sans eux, puisque l’option de la nationalisation des mines a été écartée par Jacob Zuma en 2011 pour rassurer les investisseurs. « Le gouvernement ferait mieux de créer un climat attractif pour les géants miniers, tous mondialisés, peu importe leur nationalité.
Il doit garantir la stabilité des réglementations, alors que les dernières discussions sur la future loi minière entretiennent les incertitudes. C’est la seule manière de favoriser la création d’emplois et de valeur pour le pays, qui reste l’un des plus attractifs au monde sur le plan géologique », affirme le consultant de Johannesburg.
>>>> Lire aussi – Afrique du Sud : la croissance ralentit à 1,5 % en 2014
Par Christophe Le Bec, envoyé spécial au Cap
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