Fespaco : un cinéma à deux vitesses
La 24e édition du festival de Ouagadougou a révélé un fossé croissant entre les oeuvres africaines promises à un parcours international et celles destinées à un public local.
À l’image du régime burkinabè depuis la démission forcée de Blaise Compaoré, le 24e Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), du 28 février au 7 mars, a donné l’impression d’être "de transition".
Et ce dès le premier jour avec, pour des raisons d’économies et sans doute de sécurité, une cérémonie d’ouverture redimensionnée : si le "plateau" proposé cette année n’était certes pas de second choix, avec le chanteur sénégalais Ismaël Lô et de magnifiques ballets chorégraphiés par Irène Tassembedo, le spectacle, relativement court, fut offert dans le palais des sports de Ouaga 2000 à un public beaucoup plus restreint que celui réuni les fois précédentes dans le grand stade.
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Un grand nombre de films de série B
La "transition" la plus frappante concerne cependant celle, actuellement en cours, du cinéma africain. Beaucoup plus qu’auparavant, et indépendamment des sujets traités – souvent très politiques -, un énorme fossé sépare désormais les oeuvres ambitieuses susceptibles de connaître un parcours international et celles destinées a priori à satisfaire plutôt – sinon uniquement – les goûts d’un public local.
Ainsi, parmi les films en compétition pour remporter l’Étalon d’or de Yennenga, il y avait d’un côté le Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, fort de ses sept césars et que tout le monde voulait voir pour sa "première" africaine, à commencer par le président et le Premier ministre du Burkina ; mais aussi les longs-métrages de la Sénégalaise Dyana Gaye (Des étoiles), des Marocains Hicham Ayouch (Fièvres) et Hicham Lasri (C’est eux les chiens), de l’Ivoirien Philippe Lacôte (Run) et de la Tunisienne Raja Amari (Printemps tunisien). Des oeuvres presque toutes déjà sorties en salle et présentées dans d’autres festivals.
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De l’autre côté, où l’on trouvait la majorité des inédits présentés, on pouvait voir un grand nombre de films de série B s’apparentant soit à des polars "sérieux" (Render to Caesar, du Nigérian Desmond Ovbiagele) ou "satiriques" (Rapt à Bamako, du Malien Cheick Oumar Sissoko, totalement différent des films précédents de l’auteur de Guimba ou La Genèse) ; soit à des mélodrames (Price of Love, de l’Éthiopienne Hermon Hailey) ou des sitcoms (Entre le marteau et l’enclume, du Congolais Amog Lemra) ; soit encore à des célébrations sans grand recul d’insurrections ou de mouvements de protestation proches (Avant le printemps, de l’Égyptien Ahmed Atef, sur la révolte anti-Moubarak vue à travers l’action de militants utilisant les réseaux sociaux) ou lointains (Fadhma N’Soumer, de l’Algérien Belkacem Hadjadj, sur la vie héroïque d’une fameuse résistante à la conquête coloniale).
Des films qui ont souvent séduit le public, auquel ils "parlent" en dénonçant directement ou indirectement les travers des sociétés dans lesquelles vivent les Africains, mais dont on voit mal comment ils pourraient mobiliser des spectateurs hors de leur région d’origine.
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Original et poétique
Rares étaient les oeuvres n’appartenant à aucune de ces deux catégories, comme le très original et très poétique Haïti Bride, de Yao Ramesar (Trinité-et-Tobago), le très maîtrisé OEil du cyclone, de Sékou Traoré (Burkina), ou le nouveau film du Guinéen Cheick Fantamady Camara, Morbayassa, qui pâtit quelque peu de réunir deux parties peu homogènes se passant l’une à Conakry, l’autre à Paris, mais qui est illuminé par l’interprétation remarquable de l’actrice et chanteuse malienne Fatoumata Diawara.
>> Voir aussi : Diaporama, les stars de la 24e édition du Fespaco
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