« Il y a un certain ressentiment anti-français au Mali »
Jean, retraité français, vit à Bamako depuis trois ans. Il habite dans le quartier où a eu lieu l’attentat du 6 mars contre le bar La Terrasse, qui a fait 5 morts : trois Maliens, un Belge et un Français. Témoignage.
Jeune Afrique : Que faisiez-vous le soir de l’attentat ?
Jean : Ce soir là, par chance, j’étais au lit chez moi quand j’ai été réveillé par une explosion très puissante. Puis il y a eu deux séries de rafales d’arme automatique. Les gardiens des habitations voisines se sont rassemblés, se demandant ce qui se passait. Dix minutes après environ, j’ai reçu un SMS du consulat indiquant qu’un attentat terroriste avait visé un établissement bamakois et conseillant aux ressortissants français de ne pas sortir…
La "rue Princesse" de Bamako concentre de nombreux bars très fréquentés par les expatriés occidentaux. Faisait-elle l’objet d’une surveillance particulière des forces de sécurité maliennes ou internationales ?
Non, pas du tout. Je la prends environ dix fois par jour et je n’ai jamais constaté de présence policière particulière, du moins en uniforme. Il est possible qu’il y ait eu une surveillance de la part d’agents en civils, mais je ne l’ai jamais remarquée. Par ailleurs, s’il y avait des patrouilles de la Minusma (mission de l’ONU au Mali), il n’est pas sûr qu’elles soient bien vues par les Maliens pour des raisons de souveraineté nationale…
Les mesures de précaution ne vont durer qu’un temps. Après on oubliera et la vie reprendra comme avant : il n’y a pas de réelle psychose.
Une source sécuritaire citée par l’AFP dit qu’un des agresseurs a crié "Mort aux Blancs". Cela vous a-t-il été confirmé ?
Non, je n’ai entendu personne parler de ça.
>> Lire : Le groupe terroriste de Mokhtar Belmokhtar revendique l’attentat de Bamako
Quelle est l’ambiance à Bamako ? Votre vie quotidienne va-t-elle changer après l’attentat ?
L’ambiance n’est bien sûr pas terrible. Je suis resté chez moi samedi, et ne suis sorti qu’à partir de dimanche. La vie continue même si je vais prendre quelques précautions. Rester prudent la nuit, éviter d’aller trop souvent dans les endroits fréquentés par des Européens. Mais bon, il est évident que cela ne va durer qu’un temps, quinze jours ou un mois peut-être. Après on oubliera et la vie reprendra comme avant : il n’y a pas de réelle psychose. L’insécurité existe souvent, on doit faire avec. Dans d’autres pays c’est parfois pire : Centrafrique, Nigeria…
Avez-vous perçu des événements pouvant être interprétés – même rétrospectivement – comme des signes avant-coureurs d’attentat ?
Non, aucun. Même si on sait que la situation politique est tendue et que le Nord du Mali est une zone risquée, la vie à Bamako est plutôt paisible. Il n’y a pas de haine palpable contre les Européens. Le 31 janvier dernier, nous avons reçu un SMS du consulat nous prévenant d’un risque d’attentat à Bamako, mais c’était le seul du genre. Auparavant ce sont plutôt des mises en garde qui nous parvenaient, nous invitant à ne pas se rendre dans des zones où des manifestations politiques étaient organisées.
Après l’opération Serval, début 2011, il y a eu une poussée de francophilie qui n’a pas duré. Comment sont perçus les Français au Mali actuellement ?
Oui, la francophilie post-Serval est vite retombée. Il y a maintenant un certain ressentiment anti-français de plus en plus perceptible. "Si les jihadistes sont encore au Mali, c’est de la faute des Français qui n’ont pas laissé l’armée malienne se redéployer au Nord" ; "Les Français soutiennent l’Azawad", etc : ce sont des propos qu’on entend très souvent, dans la bouche d’amis maliens ou même de chauffeurs de taxi. Et puis, il y a aussi des rumeurs qui vont bon train…
Par exemple ?
On dit notamment que des militaires français se déguisent en Touaregs pour tirer sur les militaires maliens, et qu’on peut les reconnaître parce qu’ils ont la peau très blanche ! Evidemment tout cela n’a aucun fondement crédible. Bref, il vaut mieux éviter les sujets politiques concernant le Nord quand on est Français, c’est très sensible en ce moment…
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