Mgr Kaigama : « On ne peut pas compter sur le gouvernement nigérian pour lutter contre Boko Haram »

L’Archevêque de Jos, Mgr Ignatius Kaigama, de passage à Paris, a répondu aux questions de « Jeune Afrique ». Il exprime son point de vue sur Boko Haram, les élections au Nigéria et le dialogue interreligieux.

L’Archevêque de Jos, Mgr Ignatius Kaigama. © AFP

L’Archevêque de Jos, Mgr Ignatius Kaigama. © AFP

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 10 mars 2015 Lecture : 4 minutes.

Mgr Ignatius Kaigama, 56 ans, est l’archevêque de Jos, au nord du Nigeria, une ville touchée à de multiple reprises par les heurts entre chrétiens et musulmans fondamentalistes. De passage à Paris, le président de conférence des évêques catholiques du pays a répondu aux questions de Jeune Afrique sur les tensions liées à Boko Haram et sur le dialogue interreligieux au Nigeria, alors que les élections générales sont attendues le 28 mars prochain.

>> Lire aussi : Nigeria : les armées nigérienne et tchadienne reprennent la ville de Damasak à Boko Haram

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Jeune Afrique : Les chrétiens sont-ils nombreux au nord du Nigeria ?

Mgr Ignatius Kaigama : Certains, y compris des chrétiens nigérians, ont pris l’habitude d’appeler notre région le "nord-musulman". Mais c’est un tort, car on y trouve des communautés chrétiennes depuis très longtemps, et elles n’entendent pas en partir, elles y sont chez elles. On a tendance à l’oublier, mais le nord du Nigeria n’est pas une région homogène.

Quelles sont les conséquences de l’émergence de Boko Haram pour le nord du Nigeria, et notamment pour la minorité chrétienne qui y vit ?

Boko Haram a commencé comme un petit groupe, presque insignifiant. Mais depuis 2009, la secte a évolué, devenant un problème majeur. Il ne se passe plus une journée sans exactions. Si les chrétiens étaient les premiers visés par ses diatribes, qui les désignaient comme les représentants de la culture occidentale, aujourd’hui, les musulmans en sont tout autant ses victimes.

À Maiduguri, la situation est particulièrement grave pour les chrétiens.

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À Maiduguri, la situation est toutefois particulièrement grave pour les chrétiens : le diocèse catholique a été complètement démantelé à cause de la fuite de la quasi-totalité de la communauté, dans les autres diocèses du Nord. Nous devons nous organiser seuls pour les aider, car on ne peut compter sur le gouvernement, qui est soit dépassé par les évènements, soit un mauvais gestionnaire de ce qui lui est confié.

Quelles discussions avez-vous avec les autorités à ce sujet ?

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Nous voudrions que les autorités s’impliquent davantage. Nous les avons rencontrées à de maintes reprises. Elles nous jurent que la lutte contre le terrorisme et Boko Haram est leur première priorité, mais en vérité, elles laissent faire. Nous voudrions que la mobilisation qui a eu lieu à Paris après les attentats de Charlie Hebdo soit la même partout où le terrorisme frappe, et notamment au Nigeria, où les responsables politiques et la population doivent s’unir et prendre le problème du terrorisme à bras le corps.

Que peuvent faire les puissances régionales et internationales pour résoudre ce conflit ?

Boko Haram  est un problème international, et non pas seulement nigérian. D’ailleurs, même si elle est née au Nigeria, la secte vient de faire allégeance à l’État Islamique, elle a des ramifications internationales. Il y a d’ailleurs déjà une réaction régionale africaine, et c’est tant mieux. Les dernières actions militaires, notamment des armées tchadiennes, camerounaises et nigériennes, ont permis de reprendre des régions à la secte. Mais nous craignons que cela entraine un déplacement du problème dans l’espace, et non sa résolution. En effet, ces dernières semaines au Nigeria, nous remarquons que les terroristes, qui ont subi des revers en brousse, reprennent des villes dont ils avaient été expulsés.

Dans ces conditions, qu’attendre des élections générales, qui ont été reportées au 28 mars 2015 ?

Le niveau de la campagne électorale est déplorable. Nos politiciens sont dans tous les coups bas, et cela nuit au bon vivre ensemble. Néanmoins, nous disons à nos paroissiens d’aller s’inscrire sur les listes électorales, et d’aller voter. La majorité des Nigérians veulent la paix. Ils ont le devoir d’élire des représentants qui peuvent les mener vers cette paix.

Boko Haram  est un problème international, et non pas seulement nigérian.

Le dialogue entre chrétiens et musulmans peut-il changer la donne ?

Il est impossible de discuter avec les représentants de Boko Haram, mais nous dialoguons depuis longtemps avec les responsables religieux modérés, qui représentent l’immense majorité des musulmans de notre région.  Le conseil du dialogue interreligieux (Irec) du Nigeria, qui comprend 50 chefs religieux musulmans et chrétiens, est une instance qui permet notamment d’échanger et d’aplanir nos incompréhensions.

Sur un plan plus local, à Jos, nous avons lancé ensemble deux initiatives qui font avancer le vivre-ensemble. Nous avons créé un internat éduquant des garçons des deux communautés, chrétienne et musulmane, qui vivent ensemble pendant deux ans. Une expérience qui les marque à vie, et qui empêchera la perpétuation de nouvelles violences. Et nous avons aussi créé un institut pour le dialogue et la réconciliation, qui anime des formations et rencontres sur ces sujets auprès des deux communautés. Le dialogue n’a jamais été rompu, même au nord. Quant aux autres régions du pays, les mariages mixtes y sont légions, et musulmans et chrétiens y ont toujours vécu ensemble. Nous voulons que cela perdure.

 

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