Congo-Brazzaville : Enquête sur l’étrange contrat d’un négociant pétrolier suisse
Dans un rapport détaillé, l’ONG suisse la Déclaration de Berne dénonce les conditions, jugées anormalement avantageuses, d’un contrat attribué par l’entreprise publique congolaise CoRaf au négociant de produits pétroliers suisse Philia. Décryptage de « Jeune Afrique ».
Le rapport de l’ONG la Déclaration de Berne sur les activités en République du Congo de la société suisse de négoce pétrolier, propriété du Suisso-Gabonais Jean-Philippe Amvame, connu en haut lieu à Brazzaville, et dirigée par le nigérian Ikenna Okoli, un ancien banquier d’affaires, a attiré toute l’attention du milieu des traders de matières premières à Genève.
« Cela faisait plusieurs mois qu’on s’interrogeait sur cette entreprise sortie de nulle part en 2013, montée en un an avec 25 salariés recrutés du jour au lendemain et devenue incontournable pour qui souhaite acheter du fuel en provenance de Pointe-Noire », raconte à Jeune Afrique un trader d’une grande maison de négoce basée sur les bords du lac Léman.
Usages
Diffusé le 1er mars, l’enquête menée par l’ONG spécialisée sur la transparence économique montre que Philia a profité d’un contrat anormalement avantageux aux dépens de la Congolaise de raffinerie (CoRaf), la société publique qui lui a vendu des produits pétroliers raffinés et dont l’administrateur-directeur-général n’est autre que Denis Christel Sassou Nguesso.
Le contrat, signé du fils du président de la République du Congo (voir document ci-contre), a été attribué à Philia sans appel d’offres, contrairement aux usages pour ce type de cargaisons, dénonce la Déclaration de Berne, en dépit des dénégations de Philia. Un point démenti par la société suisse dans un communiqué diffusé le 7 mars.
Plus remarquable encore, Philia n’a joué qu’un rôle d’intermédiaire, puisqu’elle a revendu les cargaisons de fuel congolais à d’autres négociants, notamment les suisses AOT Trading et Mercuria, mieux introduits dans les circuits de commercialisation. Ce sont ces derniers qui ont trouvé les clients finaux pour les cargaisons (des raffineries américaines et européennes).
Mercuria, sollicité par Jeune Afrique, a refusé de s’exprimer sur cette affaire.
Bénéfices anormaux
« Philia, du fait des relations rapprochées de ses dirigeants avec des personnalités haut-placées au Congo-Brazzaville, s’est substitué à la CoRaf dans son rôle de commercialisation de ses produits raffinés et a réalisé sur ces opérations des bénéfices anormaux », estime un ancien salarié de l’entreprise contacté par Jeune Afrique.
« Outre des marges presque deux fois plus élevées que d’ordinaire dans ce type de transaction, Philia a pu doubler ses profits grâce à un jeu sur des taux de change artificiels, agréé par la direction financière de la CoRaf », dénonce-t-il.
Enfin, autre facilité exceptionnelle mise à jour par la Déclaration de Berne, Philia a obtenu de la CoRaf de pouvoir payer ses cargaisons 60 jours après en avoir pris livraison, ce qui lui évite d’avancer l’argent, alors que le paiement se fait habituellement dans les 10 jours qui suivent le chargement des cargos pétroliers.
Selon les données présentées par la Déclaration de Berne, Philia aurait réalisé environ 3 millions de dollars de bénéfices (sur une vente atteignant 206 millions de dollars) pour le négoce de 11 cargaisons de fuel et d’huile naphta de la CoRaf. « Le contrat a continué à courir jusqu’à présent, mais la Déclaration de Berne n’a pas eu d’autres détails sur les transactions de 2014 et 2015 », souligne l’ONG suisse dans son rapport.
>>>> Lire aussi : Le pétrole africain, ce business suisse
Partage des bénéfices
En réaction, Philia, qui avait tenté sans succès d’empêcher par voie judiciaire la publication du rapport de la Déclaration de Berne, indique dans un communiqué en date du 7 mars 2015 que ses transactions avec la CoRaf sont « mutuellement bénéfiques », dénonce la démarche de l’ONG comme une « cabale occidentale contre le régime de Brazzaville », et nie « toute accointance d’affaires avec des personnes exposées politiquement, que ce soit en République du Congo ou ailleurs ».
« La Déclaration de Berne oublie volontairement d’expliquer que Philia s’est engagée à partager les bénéfices des transactions congolaises avec la CoRaf », fait valoir David Sturken, le porte-parole de Philia, pour qui cette affaire est liée à une vendetta menée par d’anciens employés aigris qui travaillent aujourd’hui pour la concurrence.
« À l’avenir, cette affaire pourrait dissuader les grandes sociétés de trading soucieuses de leur réputation de faire affaire avec Philia », estime toutefois un trader basé à Genève, pour qui, les termes avantageux du contrat avec la CoRaf restent toujours injustifiés, en dépit des dénégations du négociant.
Le silence de la CoRaf, qui refuse de donner des explications sur cette affaire, ne plaide pas en faveur de Philia.
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