« Selma » : Ava DuVernay, la foi et le doute
La réalisatrice africaine-américaine Ava DuVernay livre le premier biopic de Martin Luther King : « Selma », un film prenant et subtil qui évite les pièges de l’hagiographie.
Le pasteur King s’habille face au miroir en récitant des fragments de discours. Ses lèvres se tordent. Quelque chose ne va pas… Cette lavallière qui le fait ressembler aux Blancs puissants qu’il dénonce. Il se tourne vers sa femme. Ses partisans, ses frères des quartiers pauvres, seront-ils toujours derrière lui s’il se déguise en notable ?
Voilà le Martin Luther King que dessine Selma : un homme qui doute. Loin du tribun flamboyant et "rêveur" prononçant son plus célèbre discours devant le Lincoln Memorial de Washington. La réalisatrice africaine-américaine Ava DuVernay réussit à donner à voir plus que l’icône stéréotypée entrée dans les livres d’histoire. King, avant qu’il soit roi. Un militant rusé qui élabore des stratégies et échoue souvent avant de faire plier la Maison Blanche dans son combat pour les droits civiques.
Un meneur d’hommes qui met consciemment en danger ses partisans non violents, lynchés par des ségrégationnistes armés de fouets et de matraques couvertes de fil barbelé. Un mari souvent absent, dont on soupçonne l’infidélité. Un soldat de Dieu las, fatigué, que ses compagnons doivent sans cesse galvaniser.
Pour déboulonner la statue, humaniser le monument, Ava DuVernay s’est focalisée sur un épisode complexe de la vie du pasteur. Nous sommes en 1965. En théorie, le Civil Rights Act déclare illégale toute discrimination, qu’elle soit liée au sexe, à la religion ou à la couleur de peau. Mais, dans de nombreux États, les bureaux de vote sont de facto interdits aux Noirs. Dans la ville de Selma, en Alabama, par exemple, seuls 130 Noirs sur 15 000 habitants ont pu s’inscrire comme électeurs. C’est ce bourg qui est choisi par Luther King pour être le point de départ d’une grande procession jusqu’à Montgomery, la capitale de l’État.
Interprétation tout en subtilité
Ce moment particulier est bien choisi, car la marche, si elle contribue à faire basculer la Maison Blanche et l’opinion américaine, est ponctuée de violences et de reculades (au sens propre du terme). L’interprétation tout en subtilité de l’acteur principal, David Oyelowo (qui lui a valu une nomination aux Golden Globes), contribue à accentuer les fragilités du personnage.
Et un casting soigné donne vie à ceux qui l’entourent ou l’affrontent : Carmen Ejogo, en femme blessée de King, Tim Roth en grand méchant gouverneur de l’Alabama, Tom Wilkinson pour incarner le président Johnson, convaincu du bien-fondé du combat du pasteur, mais bien décidé à atermoyer. Même la présentatrice Oprah Winfrey est crédible dans la peau de l’activiste Annie Lee Cooper, née à Selma.
Décors, costumes, musiques finissent de propulser le spectateur dans le Sud américain ségrégationniste du milieu des années 1960. Un vieux monde tenu par les Blancs et qui est bien décidé à ne pas tomber. La reconstitution paraît si juste qu’on en oublie que les discours de King, dans le film, ont dû être réécrits : les héritiers du pasteur en ont confié l’administration à la société EMI Publishing, qui les conserve jalousement en vue de la réalisation d’un autre biopic. Celui-ci, qui pourrait être mis en scène par Steven Spielberg, devrait enfin faire résonner les mots "I have a dream" dans les salles obscures d’ici à quelques années.
Bizarrement snobé lors des oscars (le film, d’abord annoncé comme favori, a seulement été récompensé pour la meilleure chanson originale), Selma vise donc juste. Et dans ce film à hauteur d’homme, chacun peut à nouveau se projeter dans le combat de Martin Luther King.
>> Bande annonce de Selma :
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