Sexualité : « Volcaniques. Une anthologie du plaisir », ou l’orgasme selon elles…

Ouvrage collectif dirigé par l’écrivaine Léonora Miano, « Volcaniques. Une anthologie du plaisir » explore sans fard la sexualité féminine. Attention, éruption !

Clarisse

Publié le 12 mars 2015 Lecture : 7 minutes.

Devinette. Toxique et fuyant, il submerge les femmes, les surprend aussi. Son absence provoque des fringales et étiole leur féminité. La réponse ? Le plaisir. Vous aviez trouvé ? Alors bravo ! Pour arriver à cette conclusion, douze femmes noires se sont prêtées, avec une délectation manifeste, à un exercice littéraire imposé par l’une d’elles, la romancière camerounaise Léonora Miano : mettre en scène la sexualité féminine.

Paru ce 8 mars aux éditions Mémoire d’encrier sous le titre Volcaniques. Une anthologie du plaisir, cet ouvrage collectif est le deuxième volet d’un travail sur le couple et l’intimité. Dans le premier (Première Nuit. Anthologie du désir), dix auteurs noirs avaient été priés de raconter une première nuit d’amour… et la plupart n’avaient pas osé franchir le seuil de la chambre à coucher. Romancières chevronnées ou peu connues, les femmes, elles, y vont franco. De Paris à Yaoundé en passant par New York et Fort-de-France, que leurs héroïnes soient pucelles ou qu’elles aient "trente-huit ans de carrière sexuelle" derrière elles, leur récit participe d’une exploration décomplexée de l’énigme du plaisir féminin.

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Parmi les auteures, justement, Fabienne Kanor, qui signe une nouvelle cruelle pour la gent masculine, mais très drôle : "Rayon hommes". Elle met en scène une femme de 53 ans, "mariée à un homme à situation", qui se paie des escapades sexuelles à l’étranger. Et, où qu’elle aille, une seule règle : consommer local. "Non pas que je sois raciste et que je ne fantasme que sur les Blancs, mais parce que je refuse de me taper huit heures d’avion pour copuler avec mes frères." Victime tacitement consentante, le mari, lui, se préoccupe juste de savoir si elle lui a rapporté la bonne couleur de cravate.

L’orgasme passe par les mots

Jubilatoire aussi est la nouvelle de la Camerounaise Humley Boum, dont l’héroïne, "qu’aucun homme n’a jamais touchée", apprend à explorer son corps et à apprivoiser son plaisir en lisant des livres érotiques. Chez elle, l’orgasme passe par les mots. Pas les gros ni les scabreux, mais simplement ceux qui disent la délectation avec laquelle les femmes vivent et racontent leurs histoires "immorales".

Comme sa cousine, qui ne lui épargne aucun détail, pas même le "tchouk !" de la pénétration, lors des assauts qu’elle prétend subir de son patron comme du fils de ce dernier. L’héroïne confesse : "J’appris avec lenteur, quelques fois dans la frustration, que certains mots faisaient grimper le plaisir dans la tête trop vite, une drogue trop forte, provoquant ensuite une vague nausée… D’autres, plus subtils, vous emportaient telle une marée. Au début, tout semble trop lent, puis, tout d’un coup, l’on est submergé presque pris au dépourvu par la montée des eaux pourtant attendues." Au point que : "Des heures après, un simple frôlement suffisait encore à émouvoir mes nerfs à vif."

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Plein d’humour, le propos de la journaliste Elizabeth Tchoungui n’en est pas moins dramatique. Son héroïne a "grandi à l’école de la nioxe (la baise)". Pourtant, le plaisir ne faisait pas partie de son vocabulaire. "C’était une invention des Blancs." Après avoir longtemps fricoté sans conviction, elle aura une révélation dans les bras d’une femme : "De ce jour béni où je connus le plaisir dans toute son infinitude, Seigneur, j’ai gardé en mémoire tous les émois, mais il serait inconvenant de vous en faire part : vous risqueriez une malencontreuse érection."

Chez la Guadeloupéenne Gisèle Pineau ("Un petit feu sans conséquence"), une vieille dame mariée pendant quarante-huit ans à un homme "au petit fusil inanimé" confie avoir eu nombre d’autres hommes à ses pieds sans pour autant tromper son mari. "Ils fourraient leur tête entre mes jambes et s’occupaient de mon petit feu. Ils me suçotaient avec tellement de bonté et de patience et d’ardeur…" Le jour de sa mort, le mari impuissant l’a remerciée d’avoir été une bonne épouse. "Il est parti dans la paix, je crois… et l’ignorance de mon petit feu sans conséquence."

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Dans son ensemble, le recueil lève le voile sur des approches et des univers littéraire différents. Léonora Miano se défend d’avoir voulu faire "un recueil érotique destiné à émoustiller le lecteur". En revanche, l’intimité, trop rarement mise en avant par les auteurs des mondes noirs, est scrutée de près, Volcaniques tentant un travail de réappropriation de l’intimité et de la sexualité noire, souvent stigmatisées.

Des sensibilités, des manières de vivre et d’aimer

Sollicitées, certaines femmes ont refusé de se prêter au jeu, soit parce qu’elles ne voulaient pas faire partie d’un groupe d’écrivains noirs, soit parce qu’elles jugeaient le sujet dérangeant. Question d’image, sans doute. Mais, pour Miano, chaque texte retrace d’abord un parcours de femme. On y rencontre des sensibilités, des manières de vivre et d’aimer, des questionnements et des égarements individuels… Pour qui aspire à l’universel, exclure l’intime de la littérature des mondes noirs serait une hérésie. "Si l’on souhaite que son écriture touche au-delà de sa culture d’origine, il faut travailler l’intimité, l’émotion, la pensée du personnage."

À en croire Miano, "Volcaniques est faussement jubilatoire". Si la plupart des auteurs ont collé à l’idée d’éruption appliquée à la sexualité, d’autres ont fait ressortir la dimension trouble de la sexualité par la métaphore d’un volcan brûlant et mortifère. Violée dans l’enfance, la narratrice de Miano ("Full Cleansing") fantasme sur l’idée d’un plaisir "sain", qu’elle croit atteindre en s’autorisant une sexualité débridée. "Un texte dur, reconnaît Miano, où la narratrice tente sans succès de s’extraire de cette part blessée d’elle-même." La dimension trouble apparaît également chez la slameuse Silex, auteure du seul texte véritablement lesbien de l’anthologie – le personnage d’Elizabeth Tchoungui ayant une activité lesbienne de circonstance. "Dans la manière dont les choses sont dites, il y a une esthétique de l’opacité qui renvoie à la noirceur du volcan."

L’intime, qui implique le libre choix du partenaire

Le critique Boniface Mongo-Mboussa n’a pas encore lu l’ouvrage, mais il apprécie la démarche. "Par rapport à la littérature occidentale, la littérature contemporaine africaine a mis du temps à prendre en compte la sexualité, en particulier le plaisir et l’érotisme féminins. Les auteurs n’en parlent pas, bridés par l’éducation – c’est un tabou – et la religion – c’est un péché. Or le sujet est au coeur de nos sociétés modernes : il pose la question du couple ; il faut le creuser." Pour lui, l’un des plus grands romans d’amour érotique est Gouverneur de la rosée, de l’Haïtien Jacques Stephen Alexis.

Les romans les plus novateurs en la matière sont Le Soleil des indépendances (Ahmadou Kourouma), Le Devoir de violence (Yambo Ouologuem, prix Renaudot 1968) ou encore La Profanation des vagins (Désiré Bolya Baenga), dans la mesure où ils contiennent des scènes de sexe. Sauf que, dans ces cas précis, il s’agit de viols, d’agressions, que Miano exclut d’emblée du champ de l’intime, qui implique le libre choix du partenaire.

Spécialiste de littérature africaine, Jacques Chevrier se souvient du Béninois Olympe Bhêly-Quenum offusqué à l’idée d’en parler. "On la pratique, pas la peine de la décrire", disait-il. Selon Chevrier, le sujet est pourtant récurrent dans des textes contemporains, comme Xala ("panne sexuelle", en wolof), d’Ousmane Sembène, ou Une vie de boy, de Ferdinand Oyono – le récit de la vie d’un boy au service de Blancs qui découvre sous le lit les préservatifs utilisés par la maîtresse de maison, qui trompe son mari.

Comme Jacques Chevrier, Boniface Mongo Mboussa reconnaît que la sexualité plaisir est arrivée dans la littérature africaine par l’écriture féminine. Calixthe Beyala est en effet l’une des premières à avoir abondamment écrit sur le sujet. Ce qui lui valut bien des critiques… "Ça commence aujourd’hui à devenir un phénomène de mode, regrette néanmoins Chevrier. On a de plus en plus l’impression que les romanciers s’alignent simplement sur des thèmes vendeurs."

Première Nuit. Une anthologie du désir, sous la direction de Léonora Miano, Mémoire d’encrier, 196 pages, 18 euros

Volcaniques. Une anthologie du plaisir, nouvelles, sous la direction de Léonora Miano, Mémoire d’encrier, 220 pages, 19 euros

Et la tradition orale dans tout ça ?

Il existe toute une tradition orale d’érotisme. Le mythe de la "calebasse dévorante" traverse ainsi la littérature d’Afrique subsaharienne. Par sa forme et ses usages, la calebasse renvoie au sexe féminin. Elle est associée aux travaux ménagers et à la fécondité. Dans la série de contes qui lui est consacrée, la calebasse dévorante détruit et mange tout sur son passage. C’est une métaphore de la peur que la sexualité féminine inspire aux hommes.

La même suspicion prévaut dans les contes mettant en scène la pintade, associée à l’adultère. Mi-domestique, mi-sauvage, elle pond généralement en dehors du poulailler. Elle appartient aux deux mondes entre lesquels elle navigue. Telle est la femme. Forcément !

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