Maroc : Touria El Glaoui, une pour tous
Cette jeune Marocaine installée à Londres est la créatrice de l’unique foire européenne d’art contemporain africain, 1:54.
El Glaoui : voilà un patronyme que les Marocains connaissent bien. Thami, le grand-père, était « le Seigneur de l’Atlas », pacha de Marrakech, grand ami de Winston Churchill avec qui il partageait la passion du cheval. Hassan, le père, 91 ans aujourd’hui, est un peintre figuratif apprécié du Palais. Mais désormais, il faut surtout compter avec Touria, la fille, qui a créé en 2013 la foire d’art contemporain africain 1:54, à Londres.
Tout sourire, la jeune femme née en 1974 à Casablanca parle sans fard et sans affect, à l’aise quand il s’agit d’évoquer sa lignée de guerriers berbères comme quand il s’agit de décrire la dernière oeuvre d’un plasticien du continent. La peinture, bien sûr, elle est tombée dedans toute petite : elle se souvient encore des parties de cache-cache dans l’atelier paternel, enivrée par les odeurs de térébenthine.
Le grand monde, elle l’a connu très jeune, qui venait rendre visite au peintre favori du roi. Côté maternel aussi, c’était peinture et élégance. Sa mère, mannequin pour Givenchy, est la fille d’un fameux peintre de Montmartre, Maurice Legendre. « J’ai vécu mon enfance à Rabat, j’ai été au collège royal, nous n’étions que six en classe… et je passais mes étés à Ramatuelle, chez mes grands-parents. Je dois dire que j’ai été très chouchoutée en matière d’éducation. » La peinture, elle s’y essaie sans conviction, à l’inverse de ses soeurs. « Moi, je n’ai jamais pensé que j’avais un talent particulier, j’ai toujours voulu faire des affaires. »
D’ailleurs, c’est par là qu’elle a commencé. Certes, elle suivait une « mineure » en photographie, mais c’est bien la finance qu’elle a étudiée pendant quatre ans au sein de la Pace University, à New York. Élève douée, elle a ensuite travaillé pour la firme pétrolière Sugar Oil Company, obtenu un MBA en management stratégique et affaires internationales avant de rejoindre la banque d’investissement Salomon Smith Barney puis d’opter pour le monde des télécoms.
« J’étais devenue assez carriériste après un bon lavage de cerveau à l’américaine, reconnaît-elle, mais ce n’était pas ce que je voulais faire. » Embauchée chez Cisco Systems pour « développer des solutions d’infrastructures téléphoniques sur des marchés inexistants en Afrique et au Moyen-Orient », elle profite de l’aubaine pour « battre en brèche ses a priori », visiter le continent et en découvrir les scènes artistiques. S’occupant aussi de l’oeuvre paternelle, elle prend conscience de la nécessité pour les créateurs d’être visibles à l’international.
Une restructuration la ramène sur les rives de la Tamise. « J’ai réfléchi, je venais de terminer l’exposition sur Churchill et mon père et j’ai d’abord pensé à promouvoir les artistes marocains », se souvient-elle. Elle propose l’idée au Maroc, en vain, et enquête auprès des représentants du secteur, à Londres, en élargissant le concept à l’Afrique entière. Conclusion : le marché est là, mais l’art africain affronte bien des préjugés et n’a guère accès au continent dont il est originaire. « Ça ne me faisait pas peur ! Je me suis arrêtée de travailler en 2011, sans capital ni salaire, utilisant mes économies pour vivre, traversant des périodes de doute… »
Si elle imagine alors recevoir le soutien d’artistes établis, la réalité se révèle plus compliquée. « Ils avaient déjà bien réussi et craignaient de se renommer africains, alors même que leur origine est une variable sur laquelle ils se sont en général appuyés pour percer », dit-elle. Elle reçoit néanmoins le soutien de poids de l’architecte star David Adjaye, qui réalise le design de 1:54, première édition, en 2013. Se tenant à Somerset House à l’heure où la Frieze Art Fair accueille le gratin de l’art contemporain à Regent’s Park, la foire reçoit un bel accueil critique.
Rebelote en 2014 ! 6 000 visiteurs la première fois, 11 000 la seconde, et des pertes qui passent de 90 000 livres (environ 125 000 euros) à 30 000 livres. Fidèle à sa vision, Touria El Glaoui préfère grandir petit à petit en s’appuyant sur un panel d’investisseurs et de sponsors plutôt que de dépendre d’un seul. Se développer en Afrique est une vraie ambition, pour l’instant limitée par le manque de collectionneurs locaux : « Je ne peux pas entraîner des galeries là où il n’y a pas de marché, confie-t-elle. Je souhaite qu’elles s’impliquent financièrement, du coup il faut que ce soit un bon investissement. »
>> Lire aussi : 1:54, la petite foire qui monte, qui monte…
Pour autant, le « business » est loin d’être l’unique préoccupation de celle qui a fait appel à la commissaire camerounaise Koyo Kouoh pour appuyer la dimension intellectuelle de 1:54. « J’ai toujours voulu que mes événements soient plus que de simples places de marché, qu’ils restent art friendly… » La troisième édition de 1:54 est prévue en octobre 2015, toujours à Londres, mais cette unique foire d’art contemporain africain en Occident fera d’abord un détour par New York, du 15 au 17 mai, à Pioneer Works. Quant à Touria El Glaoui, elle devrait disparaître pour une dizaine de jours dans la nature, en Nouvelle-Zélande, avant de mettre de nouveau son énergie au service de l’art… et des 54 pays du continent.
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