Argentine : la dame de fer-blanc

Cristina Kirchner achève son dernier mandat sur un énième scandale. Elle aura été davantage que l’ombre de son mari décédé. Mais moins que le chef inflexible qu’elle a tenté d’incarner.

Devant le Parlement, à Buenos Aires, le 1er mars. © Alejandro Pagni/AFP

Devant le Parlement, à Buenos Aires, le 1er mars. © Alejandro Pagni/AFP

Publié le 13 mars 2015 Lecture : 6 minutes.

Le 18 février, Cristina Fernández de Kirchner atterrit à l’aéroport de Mar del Plata, station balnéaire cossue à 400 km au sud de Buenos Aires, puis rejoint en voiture sa résidence d’été de Chapadmalal. Le lendemain, elle a prévu de fêter son anniversaire – elle a 62 ans – avec Máximo et Florencia, ses enfants. Pendant ce temps, à Buenos Aires, plus de quatre cent mille personnes manifestent à l’appel de six procureurs et de la famille d’Alberto Nisman, leur collègue assassiné d’une balle dans la tête, un mois auparavant.

Elles réclament le respect de l’indépendance de la justice. Durant huit années d’enquête sur l’attentat contre la mutuelle juive Amia, en 1994, le magistrat en était peu à peu venu à soupçonner la présidente d’avoir couvert les suspects iraniens.

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Depuis le début de l’année, l’image de Kirchner s’est certes un peu altérée, mais celle-ci n’a perdu que trois points à peine dans les sondages. "Malgré toutes les crises qu’elle a dû affronter, elle conserve une popularité qui avoisine 30 %. Un tiers de l’électorat lui reste indéfectiblement fidèle. Elle a une capacité incroyable à se relever après une chute", explique Martín Rodríguez Yebra, correspondant à Madrid du journal argentin La Nación. Le 26 janvier, faute de preuves, un juge a finalement rejeté la plainte déposée contre elle.

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Un grand talent d’oratrice

Cristina Fernández de Kirchner, alias CFK, fut en 2007 la première femme élue à la présidence argentine – Isabel Perón ne fit, dans les années 1970, que succéder à son mari, mort dans l’exercice de ses fonctions. Elle fut ensuite aisément réélue, quatre ans plus tard. Même ses pires ennemis lui reconnaissent un grand talent d’oratrice, mais est-ce là le secret de sa réussite ? Serait-elle arrivée au sommet de l’État sans son mari ?

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Lorsqu’elle fait la connaissance de Néstor, fin 1974, elle est étudiante en droit à l’université nationale de La Plata, dans la province de Buenos Aires. Lui est membre de la Jeunesse universitaire péroniste. Son père est chauffeur de bus, sa mère travaille pour un syndicat, et elle rêve d’ascension sociale. D’ailleurs, Raúl Cafferata, son premier petit ami, jouait au rugby et, comme presque tous les adeptes de ce sport en Argentine, venait d’une famille bourgeoise.

À peine six mois après sa rencontre avec Néstor, les jeunes gens se marient. Deux ans plus tard, en 1976, l’armée s’empare du pouvoir par un coup d’État. Par prudence, le couple part s’installer en Patagonie, dans l’extrême sud du pays. Au bout de trois ans, Cristina obtient son diplôme d’avocat et, après le rétablissement de la démocratie, en 1983, se lance en politique : elle est tour à tour députée provinciale de Santa Cruz, députée, puis sénatrice fédérale. Parallèlement, elle donne naissance à ses deux enfants et mène une vie discrète. Jusqu’à l’élection de Néstor à la présidence, en 2003…

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Quatre ans plus tard, ce dernier passe le relais présidentiel à son épouse, qui fait son entrée à la Casa Rosada, et prend la tête du Parti justicialiste (péroniste). Sans doute aurait-il été de nouveau candidat à la présidence en 2013, mais le 27 octobre 2010, il succombe à une crise cardiaque. Pour Cristina, tout s’effondre : elle perd à la fois un compagnon fidèle et un mentor en politique. Elle est présidente depuis trois ans, mais c’était lui qui tirait toutes les ficelles. Ce que confirme Martín Rodríguez Yebra : "Cristina, une femme autoritaire ? C’est l’image qu’elle a réussi à imposer à des fins politiques, mais c’est Néstor qui a toujours commandé."

La présidente se retrouve soudain très seule, mais ne se laisse pas abattre et transforme son veuvage en arme électorale. Les tenues noires et austères qu’elle arbore des mois durant séduisent ses compatriotes. Un an plus tard, elle est largement réélue à la tête du pays. Très bonne communicante, elle aime se poser en victime. Et ça marche !

Elle va devoir rembourser 11 milliards de dollars

Il est vrai que, depuis 2007, elle a dû affronter bien des tempêtes. Surtout sur le front économique. En juillet 2014, par exemple, l’Argentine, troisième économie d’Amérique latine, a été déclarée en défaut de paiement partiel – lointaine conséquence de sa faillite de 2001. Sur fond d’inflation galopante, elle va devoir rembourser cette année 11 milliards de dollars (9,8 milliards d’euros) qu’elle doit aux fonds "vautours".

Par ailleurs, les accusations de corruption et d’enrichissement illicite visant le couple Kirchner se multiplient dans la presse depuis deux ans. L’origine de la fortune familiale – qui aurait été multipliée par dix en dix ans – remonte à l’époque (1991-2003) où Néstor gouvernait la province de Santa Cruz. Il est soupçonné d’avoir reçu de considérables gratifications en échange de l’attribution de marchés publics à son ami l’homme d’affaires Lázaro Báez. Le couple, il est vrai, a toujours aimé le luxe.

Aujourd’hui encore, la présidente ne se déplace qu’en jet privé. À la différence de consoeurs chefs d’État comme Michelle Bachelet, Angela Merkel ou Dilma Rousseff, elle soigne son look : colliers de perles, mascara à profusion, manucure et brushing impeccables. "Je suis née maquillée", dit-elle souvent.

Sportive, elle court tous les matins sur le tapis roulant de son gymnase et adore le roller. En octobre 2013, elle a dû être opérée d’un hématome crânien à la suite d’une chute. Elle mange très peu, déteste l’alcool et le tabac, mais enchaîne les problèmes de santé. Selon certains, elle souffrirait de troubles "bipolaires" : son humeur oscillerait continuellement entre égocentrisme délirant et stress intense. Elle serait également obsédée par l’idée que quelqu’un puisse voler la dépouille de son mari, dans le cimetière de Río Gallegos…

Depuis deux ans, CFK s’est rapprochée du pape François, qu’elle a bien connu à l’époque où il n’était que Mgr Jorge Bergoglio. Elle l’a toujours détesté, mais a prudemment fait le choix de ne pas se le mettre à dos : n’est-il pas l’homme le plus populaire du pays ? "La situation sociale semble apaisée, il y a moins de "violence" dans ses discours, serait-ce l’influence de François ?" s’interroge, non sans ironie, un observateur.

La veuve de Néstor semble avoir toujours besoin d’un repère masculin fort, presque paternel. Dans sa biographie non autorisée Cristina Fernández. La verdadera historia ("la véritable histoire", juillet 2014, éd. Sudamericana), la journaliste argentine Laura Di Marco soutient qu’elle n’a jamais connu son père biologique et que le dénommé Fernández n’est que son père adoptif. Son véritable géniteur serait un certain Florencio Lattaro, un collègue de travail de sa mère qui n’aurait pas reconnu l’enfant…

"Elle compte continuer à exercer le pouvoir, à distance"

Depuis la mort de son mari, CFK ne fait confiance à personne. Son fils Máximo est le plus influent de ses conseillers avec Carlos Zannini, le secrétaire de la présidence – c’est ce dernier qui, dit-on, prendrait dans l’ombre les décisions importantes. Le 26 janvier, elle a rappelé à la tête du gouvernement Aníbal Fernández, un fidèle qui avait déjà occupé le poste de 2009 à 2011, et nommé un autre proche, Eduardo de Pedro, secrétaire de la présidence. "Cela confirme que Cristina travaille avec un groupe restreint de collaborateurs, toujours les mêmes", estime un membre du gouvernement de la province de Buenos Aires.

Que va devenir Cristina après le scrutin présidentiel du 25 octobre ? "Elle compte bien continuer à exercer le pouvoir, à distance, mais tout dépendra de son habileté manoeuvrière", estime Martín Rodríguez Yebra. Tout dépendra aussi, quand même, de l’identité du vainqueur !

Le bal des héritiers

Qui succédera à Cristina Kirchner, le 25 octobre ? Trois favoris sortent pour l’instant du lot, parmi lesquels deux opposants : le péroniste Sergio Massa (du Frente Renovador), son ancien chef de cabinet (2008-2009) devenu son principal rival ; et Mauricio Macri, maire de Buenos Aires et leader de Propuesta Republicana, une coalition de partis de droite. Il y a aussi Daniel Scioli, gouverneur de la province de Buenos Aires et candidat officiel du Front pour la victoire (FPV), le parti présidentiel.

Problème : il n’est plus tout à fait sur la même longueur d’onde que la présidente, qui lui préfère Florencio Randazzo, son ministre de l’Intérieur et des Transports. Suite à la réforme constitutionnelle de 2009, tous les candidats devront être désignés par une élection primaire, au mois d’août.

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