Football : United Colors of Qatar

Grâce à une politique de repérage et de naturalisation tous azimuts, l’émirat veut bâtir une sélection compétitive en vue de son Mondial.

Le centre de formation Aspire Academy à Doha. © ALEX GRIMM / BONGARTS / Getty Images/AFP

Le centre de formation Aspire Academy à Doha. © ALEX GRIMM / BONGARTS / Getty Images/AFP

Alexis Billebault

Publié le 13 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

De loin, cela ressemblait davantage à un club qu’à une sélection nationale. Avec son coach espagnol (Valero Rivera), ses joueurs venus du monde arabe (Tunisie, Égypte, Syrie), d’Asie (Iran), d’Amérique latine (Cuba) et surtout d’Europe (France, Espagne, Bosnie-Herzégovine, Monténégro) et seulement deux nationaux, l’illusion était parfaite.

Sauf qu’il s’agissait bien d’une sélection, celle d’un pays – le Qatar -, qui a habilement utilisé les règles de la Fédération internationale de handball (IHF) pour se hisser en finale du Mondial. Selon le règlement de l’IHF, un joueur peut en effet évoluer successivement dans deux sélections nationales, à condition de respecter un délai de trois ans. En football, en revanche, un même international ne peut jouer pour deux sélections seniors en compétition officielle.

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La question de ces naturalisations massives – et parfois temporaires, puisque certaines n’ont qu’une durée de trois mois – n’a pas cessé de faire débat pendant toute la durée du Mondial de handball. "Pourquoi ne pas demander des explications à ceux qui font les règles ?" s’interroge Daouda Karaboué, l’ancien gardien d’origine ivoirienne de l’équipe de France (151 sélections de 2004 à 2013). "Prendre des joueurs pour trois mois, cela accrédite un peu plus la thèse du mercenariat et donne l’impression que la règle a été contournée."

Et pendant que ses handballeurs bouleversaient la hiérarchie mondiale, le Qatar disputait la Coupe d’Asie des nations de football, en Australie, avec une sélection composée en partie de naturalisés de plus ou moins fraîche date et originaires d’Afrique (RD Congo, Égypte, Ghana, Algérie, Soudan, Sénégal), d’Asie (Koweït, Bahreïn) et de France, mais pour un résultat nettement moins convaincant avec une élimination au premier tour.

"Des joueurs qui portent le maillot d’un pays soupçonné de financer le terrorisme"

Le milieu de terrain franco-algérien Zahir Belounis, aujourd’hui à la retraite, avait reçu un passeport qatari pour une durée de trois mois afin de pouvoir participer au Mondial militaire de 2011 : "Cela faisait quatre ans que je jouais au Qatar, à El Jaish, le club de l’armée. On ne m’avait pas versé de prime après la naturalisation. En revanche, durant le stage de préparation et la phase finale au Brésil, je touchais des indemnités journalières, entre 200 et 300 euros, ainsi que des primes de match et d’éloignement du pays. C’était intéressant, mais pas mirobolant, loin de ce qu’auraient touché les handballeurs ou d’autres footballeurs."

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Mais plus que la question financière – "Qu’on me trouve une personne qui aurait refusé de prendre cet argent", ironise Karaboué -, c’est l’identité même du pays qui recourt à ce procédé qui est en cause. Dans un entretien au quotidien français L’Équipe au lendemain du sacre des Bleus, Claude Onesta, le sélectionneur français, avait déclaré "qu’une victoire du Qatar [en finale] aurait envoyé un mauvais message".

Yérime Sylla, l’entraîneur franco-sénégalais de Cesson-Rennes (division 1 française) et sélectionneur de la Belgique, qui a lui-même joué pour la France et le Sénégal, avoue sa gêne face au dossier qatari : "Cela me dérange de voir des joueurs, notamment européens, porter le maillot d’un pays dont on connaît la conception des droits de l’homme et qui est soupçonné de financer le terrorisme islamiste. L’Espagne a déjà eu recours aux naturalisations, ainsi que d’autres pays. Mais le Qatar l’a fait dans des proportions énormes. On peut tout envisager à propos de cette règle : sa suppression, son aménagement, ou bien la rendre encore plus souple, pour parvenir à une mondialisation citoyenne ramenée au sport."

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Le Qatar, avec 300 000 citoyens seulement, ne dispose pas d’un imposant réservoir de sportifs. Et, s’il naturalise allègrement, l’émirat s’est depuis plusieurs années tourné aussi vers la formation, ouvrant notamment l’ultramoderne Aspire Academy, basée à Doha, et qui a installé une antenne à Dakar. Les recruteurs ont supervisé sur plusieurs continents des centaines de milliers de préadolescents depuis 2007. "On sait très bien que les Qataris vont chercher des gamins de 12-13 ans, en Afrique du Nord par exemple, pour les former à Doha, naturaliser les meilleurs et bâtir une sélection nationale capable de faire bonne figure au Mondial 2022, poursuit Belounis. Et comme il aura lieu au Qatar, les princes veulent une équipe qui ne soit pas ridicule, car ils sont très sensibles à l’image du pays." Même si celle-ci est aujourd’hui sérieusement écornée…

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