Cyclisme : les Africains, nouveaux princes de la « petite reine »
Pour la deuxième année consécutive, un Africain a remporté la Tropicale Amissa-Bongo, au Gabon. Le continent, nouvelle fabrique de champions ? De plus en plus d’experts le pensent.
Le visage grimaçant de douleur, le Tunisien Rafaa Chtioui tente tant bien que mal de rester dans le peloton, au milieu des coureurs européens. La montée est raide, ce 22 février, sur les hauts plateaux Batéké, dans le sud-est du Gabon. Malgré une chaleur écrasante, le coureur de l’équipe Skydive Dubai, qui comptait plus de trois minutes d’avance au départ de la dernière étape, remportera finalement le trophée de la dixième édition de la Tropicale Amissa-Bongo.
Côté gabonais, le public, avec sa tradition d’humour grinçant, charrie ses champions sur leurs faibles performances ; mais les autres coureurs, eux, ne cachent pas leur admiration pour l’équipe locale, qui a commencé l’entraînement moins d’un mois avant la compétition : « Si on ne s’était entraînés que trois semaines, on n’aurait pas pu suivre comme eux ! » assure le Français Yohann Gène, l’une des stars de l’équipe Europcar, vainqueur de la Tropicale en 2013.
Plus que de l’admiration, c’est aussi beaucoup d’espoir qui anime les observateurs, parmi lesquels de grandes figures du cyclisme, tels les Français Bernard Hinault et Laurent Jalabert. Certains les prennent pour des fous, mais eux n’en démordent pas : les stars du vélo de demain sont ici, en Afrique, et c’est sur cette course, la plus grande du continent, que les choses commencent.
MTN-Qhubeka illustre parfaitement l’émergence des coureurs africains
En 2015 comme en 2014, ce sont d’ailleurs des Africains qui l’ont remportée, arrachant leur suprématie aux professionnels européens. En dix ans, la Tropicale Amissa-Bongo a déjà révélé de nombreux talents tels que Natnael Berhane, un jeune Érythréen qui s’est illustré sur la course gabonaise en 2011, avant d’en devenir le premier vainqueur africain en 2014, sous les couleurs d’Europcar. Grande absente de la compétition, l’équipe sud-africaine MTN-Qhubeka illustre parfaitement l’émergence des coureurs africains. En effet, si celle-ci n’a pas couru au Gabon cette année, c’est parce qu’elle se prépare pour le Tour de France, sur lequel elle emportera probablement un ou plusieurs coureurs érythréens, aux côtés d’espoirs sud-africains du cyclisme qui se sont révélés au Gabon, comme Louis Meintjes et les frères Janse Van Rensburg.
Au Gabon, il suffirait qu’un seul coureur se fasse remarquer pour que l’équipe décolle, explique le journaliste Philippe Le Gars.
« Ça ne fait que deux ou trois ans que l’on voit sortir des coureurs africains au niveau mondial, relève Philippe Le Gars, journaliste au quotidien français L’Équipe, qui garde un oeil attentif sur un continent dont il perçoit tout le potentiel. C’est un long processus, il faut des locomotives. Si un coureur marche bien dans un pays, cela crée des vocations. Il a suffi que l’Érythréen Daniel Teklehaimanot commence à se démarquer pour créer l’engouement et motiver les autres. Au Gabon, il suffirait qu’un seul coureur se fasse remarquer pour que l’équipe décolle. »
Il n’y a pas si longtemps, dans le monde du football, l’Afrique était encore absente. Depuis, c’est là que certains des plus grands athlètes ont été découverts, parfois dans la poussière d’un petit terrain de quartier. À l’image des chasseurs de têtes venus chercher les futures étoiles du ballon rond là où elles se trouvent, certains directeurs sportifs dans le cyclisme suivent aujourd’hui ce modèle. C’est le cas, par exemple, de l’Américain Jonathan « Jacques » Boyer, entraîneur de l’équipe du Rwanda, qui se promène en voiture dans les rues de Kigali à la recherche de futurs coureurs, espérant trouver, parmi les commerçants qui remontent les milles collines sur des vélos lourdement chargés, des stars ignorant leur potentiel.
« Il y a cinq ans, les Rwandais ne connaissaient même pas les techniques pour tenir les bidons d’eau en course. Aujourd’hui, ils gagnent des étapes », souligne Philippe Le Gars, déplorant que « pour l’instant, les managers français et européens [soient] encore trop frileux à l’égard de l’Afrique, ils sont sur la réserve… Mais ils regretteront bientôt de ne pas s’être précipités ici ! »
Les pays qui « marchent » sont aussi ceux qui ont une réelle volonté de monter une équipe et de la former. Parmi les observateurs, chacun regarde avec émerveillement le Rwanda, qui possède un formidable centre d’entraînement n’ayant rien à envier à l’Europe ; ses coureurs sont payés au résultat, et Valens Ndayisenga, qui a gagné le dernier Tour du Rwanda, a été reçu par le président en personne. A contrario, au Gabon, d’aucuns pointent le manque de volonté de la fédération, voire des autorités politiques. « Lorsque vous avez des jeunes qui sont concentrés sur leur travail ou leurs études, qui sont contraints d’annuler leurs entraînements, n’ont pas de structures fiables et ne reçoivent pas d’encouragement, il est évidemment difficile de faire évoluer les sportifs, même les plus prometteurs », se désole un proche de l’équipe gabonaise, sous le couvert de l’anonymat.
Interrogé par le quotidien Ouest France sur les cyclistes africains, l’ancien champion Bernard Hinault reste optimiste : « Ce sont de vrais athlètes, ils sont là pour gagner. Ce continent regorge de talents. Maintenant, il leur faut de bons entraîneurs, des fédérations qui veulent les soutenir »… et des stars auxquelles s’identifier, tel Chris Froome, ce cycliste britannique d’origine kényane, vainqueur du Tour de France en 2013, qui ne cesse de revendiquer ses racines africaines.
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