Gabon : Akanda ou Beverly Hills aux portes de la jungle

Créée il y a deux ans au nord d’une Libreville surpeuplée, la commune d’Akanda grandit à vue d’oeil. Cité idéale qui promeut la mixité sociale, ou gâchis écologique ?

Mairie de la commune nouvelle d’Akanda. © David Ignaszewski

Mairie de la commune nouvelle d’Akanda. © David Ignaszewski

Publié le 13 mars 2015 Lecture : 7 minutes.

Ali Bongo Ondimba © Marco De Swart/AFP
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Gabon, à l’heure des comptes

Sur l’échiquier politique, comme sur les plans économique et social, les grandes manœuvres ont commencé. Objectif : la présidentielle 2016.

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Le long d’une ruelle en terre trône une bâtisse flambant neuve, peinte en jaune vif. Bienvenue à l’hôtel de ville d’Akanda. Créée il y a tout juste deux ans, la commune, qui s’étend désormais du très chic quartier de La Sablière (qui faisait auparavant partie de la capitale) jusqu’aux plages du Cap Estérias, au nord de Libreville, ne cesse de faire parler d’elle.

Lors du scrutin local de décembre 2013, l’élection d’un maire gabonais d’origine corse n’a pas laissé indifférent. "Le premier maire blanc du pays !" titraient les journaux nationaux. Dès son entrée en fonction, l’édile, Claude Michel Sezalory, a donc tenu à rassurer : "Il n’y a que la peau qui est blanche, le reste, mon coeur, est africain et surtout gabonais."

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À 68 ans (dont près de soixante passés au Gabon), ce promoteur immobilier n’est pas vraiment un inconnu dans le paysage librevillois. Sa proximité de longue date avec le président, Ali Bongo Ondimba, est un secret de Polichinelle. Dans les années 1980, ce militant du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) a fondé Alliance, l’une des premières agences immobilières de la capitale (également active dans la gestion de patrimoine), reprise quelques années plus tard par l’actuelle première dame, Sylvia Bongo Ondimba.

Les priorités affichées par Claude Michel Sezalory pour sa jeune et vaste commune sont l’aménagement de la voirie et la construction du "plus grand et plus beau" marché d’Afrique centrale, mais aussi d’écoles, de dispensaires et de parcs pour enfants.

Des terres pour faire de la spéculation immobilière

Outre Sezalory, la fine fleur du PDG siège à Akanda. Au sein du conseil municipal, on retrouve en effet le patron du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), Serge Mickoto, ainsi que le directeur général de Pétro Gabon et président de la chambre de commerce, Jean-Baptiste Bikalou. Également élue conseillère municipale fin 2013, la fille aînée du président, Malika Bongo Ondimba, fait quant à elle ses premiers pas en politique dans la commune. Elle est aujourd’hui maire adjointe du 2e arrondissement.

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Un casting qui ne doit rien au hasard, selon plusieurs ONG et partis d’opposition, pour lesquels Akanda est une "création artificielle" destinée à servir des intérêts privés et à accaparer des centaines d’hectares encore vierges aux portes de la capitale. "Ce que vise le pouvoir, ce sont les terres pour faire de la spéculation immobilière et rien d’autre", s’indignait, lors de la campagne électorale, en décembre 2013, l’ex-leader de l’opposition, André Mba Obame, dont les interventions sont devenues rares en raison de graves problèmes de santé. Ce sera le "plus grand scandale écologique et foncier de notre pays", avait-il alors prédit.

Parmi les ouvrages suscitant la polémique figure la construction d’un port de plaisance à La Sablière. Un projet porté par… Alliance. Sur son site internet, le promoteur mentionne juste le projet Marina sans donner de détails avec, en toile de fond, une photo représentant de luxueux yachts amarrés à un ponton, devant une allée de palmiers. D’après un notable d’Akanda, le programme prévoit aussi la construction d’une zone résidentielle, avec des immeubles, autour du futur port. On trouve aussi la trace du projet sur le site du groupe Acri-In, basé dans le sud de la France. Le spécialiste de l’ingénierie maritime indique être chargé par son client, Alliance, de la maîtrise d’oeuvre de la "Marina des Sablières à Libreville" pour un montant de 188 600 euros et que le projet, débuté en 2013, est en cours.

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Bâtir à tour de bras de coquettes habitations

"Ils veulent faire d’Akanda une sorte de Beverly Hills à la gabonaise, dénonce de son côté Marc Ona Essangui, contempteur invétéré des Bongo Ondimba et secrétaire exécutif de l’association Brainforest. Des promoteurs font déjà pression sur certains villages… Les habitants vont être dépossédés. On leur promet des compensations financières pour les faire déguerpir."

Les appétits immobiliers pour la zone nord de Libreville ne sont cependant pas nouveaux. En quinze ans, et donc bien avant la création d’Akanda, les prix ont flambé dans les quartiers d’Angondjé et Okala, qui font désormais partie de cette commune. Alors qu’au début des années 2000 le prix du mètre carré sur un terrain viabilisé y avoisinait les 12 000 F CFA (environ 18,30 euros), il oscille désormais entre 40 000 et 70 000 F CFA. Ce qui reste abordable, comparé aux prix atteints dans certains quartiers de Libreville.

Le développement d’Angondjé, surtout, s’est fortement accéléré depuis l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2012 et la construction du stade de l’Amitié sino-gabonaise. Tout autour du complexe sportif, on a défriché et bâti à tour de bras de coquettes habitations, avant même que les routes soient tracées et que les lotissements soient desservis par le réseau d’eau et d’assainissement… Aujourd’hui, on ne compte plus les grandes familles du Gabon qui y possèdent déjà des terrains et/ou des villas. On y retrouve, entre autres, l’ex-ministre des Sports, René Ndémezo’o Obiang, les enfants de la présidente du Sénat, Rose Francine Rogombé, la famille de l’ancien Premier ministre Léon Mebiame, etc. Les lots sont partis comme des petits pains… "Beaucoup de terrains ne sont pas encore construits, mais il ne faut pas se leurrer, vous n’en trouverez quasiment pas qui soient libres ou à vendre", prévient un agent immobilier.

Beaucoup squattent des terrains qui ne leur appartiennent pas

Par ailleurs, en l’absence d’un cadastre fiable (le Gabon ne comptait que 18 000 titres fonciers en 2014), les propriétaires légitimes peinent souvent à faire valoir leurs droits. "Beaucoup squattent des terrains qui ne leur appartiennent pas. Ils se construisent une belle maison et, comme ce sont de "grands monsieurs", il est impossible de les déloger", poursuit notre professionnel de l’immobilier. Ce que confirme Roger Mba, un habitant du quartier, en désignant une imposante résidence, entourée de hauts murs : "Là, c’est un ministre qui a construit à l’endroit où la route devait être goudronnée. Du coup, explique-t-il, la piste a été tracée de manière à contourner la maison, et c’est pour ça qu’elle fait un virage."

À grands renforts de communication, l’État affirme pourtant vouloir faire d’Angondjé un nouveau pôle urbain censé incarner la cité idéale, avec une politique de la ville axée sur une mixité sociale et fonctionnelle, qui doit ensuite s’étendre au reste du pays. Le quartier doit donc intégrer progressivement des programmes de logements économiques (pour les classes moyennes) et sociaux, mais aussi des commerces, des centres médicaux, des écoles maternelles, des espaces verts, et être desservi par un bon réseau routier. Les chantiers sont en cours un peu partout. Près d’un millier de logements sociaux sont d’ailleurs déjà prêts, qui doivent être mis en location-vente dans les semaines à venir.


Le bitume fait le bonheur des rollers. © David Ignaszewski

La moitié de la population gabonaise, au bord de l’asphyxie

À terme, ces lotissements devraient accueillir près de 120 000 habitants et contribuer à résoudre la crise du logement à Libreville. Et il y a urgence : la capitale, où vit plus de la moitié de la population gabonaise, est aujourd’hui au bord de l’asphyxie, envahie par les constructions précaires et anarchiques.

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L’aménagement d’Angondjé devra aussi respecter les principes édictés par le "SmartCode", un modèle international de développement urbain qui fait la part belle à l’aménagement durable, en délimitant notamment des espaces naturels protégés. Car, au-delà des enjeux socio-économiques, la maîtrise de l’urbanisation préoccupe les défenseurs de l’environnement, la ville étant bordée par le parc d’Akanda (l’un des sites les plus importants d’Afrique centrale pour sa population d’oiseaux migrateurs) et la forêt classée de la Mondah, véritables poumons verts pour la capitale.

Valorisation de l’écotourisme

Selon l’ONG locale H2O Gabon, ces dernières années, des tonnes de sable destinées à la construction ont été prélevées illégalement le long du littoral, entraînant peu à peu la dégradation des mangroves de la zone d’Akanda, déjà fragilisées par la pollution de la capitale. Consciente des enjeux environnementaux, l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) a lancé un ambitieux programme, baptisé "Arc d’émeraude", articulé autour des aires protégées situées en périphérie de Libreville, dont le parc national d’Akanda et la forêt de la Mondah. Dans cette dernière, l’accent sera mis sur la valorisation de l’écotourisme. L’ANPN prévoit notamment de créer un jardin botanique et un centre de découverte pédagogique et d’écoloisirs, "Le Bois des Géants", où l’on pourra pratiquer l’Accrobranche, se hisser dans la canopée et s’adonner à diverses activités culturelles ou sportives.

"La croissance urbaine, si elle est mal gérée, représente une menace importante pour le parc d’Akanda en termes de pollution et de consommation d’espace, explique Mathieu Ducrocq, responsable du projet Arc d’émeraude. C’est pourquoi nous devons essayer d’orienter son développement vers des principes verts." En espérant que les Akandais joueront le jeu.

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