Africa CEO Forum 2015 : des deals et des débats au sommet du business africain

Coorganisé par le Groupe Jeune Afrique, le Africa CEO Forum a rassemblé plus de 800 décideurs économiques les 16 et 17 mars. L’occasion de se pencher sur l’avenir du continent, mais aussi de nouer des liens et d’enfin travailler ensemble…

Jeune Afrique co-organise depuis plusieurs années l’Africa CEO Forum. © Eric Larrayadieu et Jacques Torregano pour Jeune Afrique

Jeune Afrique co-organise depuis plusieurs années l’Africa CEO Forum. © Eric Larrayadieu et Jacques Torregano pour Jeune Afrique

Julien_Clemencot

Publié le 26 mars 2015 Lecture : 6 minutes.

Crâne lisse, petites lunettes rondes cerclées de métal, moustache finement taillée… Jeremy Rifkin cultive un look très XIXe siècle, un brin aristocratique. Mais si les décideurs politiques et les milieux d’affaires du monde entier lui accordent tant d’attention, ce n’est pas pour ses conférences sur la révolution industrielle de l’Angleterre victorienne, mais pour comprendre ce que pourrait être l’économie du XXIe siècle.

Invité vedette de la troisième édition du Africa CEO Forum organisée à Genève, les 16 et 17 mars, par le Groupe Jeune Afrique, la Banque africaine de développement (BAD) et Rainbow Unlimited, l’économiste américain a partagé son analyse devant un parterre de plus de 800 chefs d’entreprise, financiers et décideurs publics venus de 63 pays, dont 43 africains. Une heure pendant laquelle il a déroulé la base de sa réflexion, voulant voir un formidable réservoir de croissance dans une approche décentralisée de la création de richesses et dans la convergence d’internet, des énergies renouvelables et des transports. Notamment en Afrique, un continent auquel il prédit un rôle de leader dans les décennies à venir.

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Africa CEO Forum JA2828 VerbatimÉminemment optimiste, le rendez-vous annuel des plus grands décideurs économiques africains n’a cependant pas fait l’impasse sur les vents contraires qui ont soufflé ces derniers mois sur le continent, de la chute du prix du baril au terrorisme, en passant par Ebola. « La croissance s’est infléchie sous l’effet des crises, a reconnu Amine Tazi-Riffi, directeur associé au sein du cabinet McKinsey. Après des années d’exubérance, on note un changement d’atmosphère. »

Pour Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement (BAD), la période faste que connaît le continent depuis le début des années 2000 est loin d’être terminée. « En 2008 et en 2009, on disait la même chose. Et l’Afrique s’en est très bien sortie. La capacité de résilience que nos économies ont construite au cours de ces quinze dernières années est réelle », a-t-il justifié. Lors de ses interventions, le Rwandais a néanmoins glissé quelques mises en garde en direction des États, insistant sur l’importance d’une croissance partagée par tous, le respect de la démocratie et l’adoption de systèmes méritocratiques.

Panels

Une nouvelle fois, le Africa CEO Forum a réuni les plus grands noms de l’économie africaine. De nombreux Kényans ont fait le déplacement, aux côtés de Nigérians, de Ghanéens et de Sud-Africains, renforçant la présence de l’Afrique anglophone. Le rendez-vous est aussi devenu celui des multinationales, comme l’ont confirmé la présence de Pierre-André Terisse, patron Afrique de Danone, et celle de Jean-Sébastien Decaux, l’un des héritiers du numéro deux mondial de l’affichage urbain, JCDecaux, qui vient de finaliser l’acquisition du sud-africain Continental Outdoor Media.

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Les participants ont pu suivre trois grandes conférences : sur les trajectoires de croissance des économies africaines, sur la réforme de l’environnement des affaires et sur l’explosion des villes. En complément, cinq thèmes (le développement des technologies numériques, les entreprises familiales, la diversification des sources de financement, les clés d’une acquisition réussie et la création de champions africains) ont fait l’objet de panels spécifiques.

Au coeur de nombreuses discussions, l’industrialisation semble de nouveau figurer parmi les priorités des décideurs. À la clé, les emplois dont le continent a tant besoin et le développement du commerce intra-africain, a rappelé Venkataramani Srivathsan, directeur général d’Olam en Afrique et au Moyen-Orient. « Si le Niger n’importera jamais de cacao brut de Côte d’Ivoire, il se fera en revanche un plaisir d’acheter des tablettes de chocolat venues d’Abidjan, aussi savoureuses et moins chères que celles fabriquées en Europe », a résumé un panéliste.

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>>>>> Retrouvez photos et vidéos du Africa CEO Forum 2015 sur le site dédié

Pour la première fois, le Africa CEO Forum a aussi proposé une demi-douzaine de rendez-vous, limités à une vingtaine de décideurs pour faciliter les contacts entre dirigeants. Une soif d’échanges qu’ils ont commencé à étancher dès le cocktail d’accueil, le 15 mars. On y a notamment surpris le Nigérian Richard Uku, directeur des relations institutionnelles d’Ecobank, parlant longuement avec le Kényan Chris Kirubi, patron du groupe Centum, tandis qu’Abdourahmane Cissé, le ministre ivoirien du Budget, faisait la connaissance du Togolais Gervais Koffi Djondo, cofondateur de la compagnie aérienne Asky. Ces discussions se sont prolongées dans les couloirs et les nombreux salons de l’hôtel Intercontinental. L’occasion de constater, par exemple, que l’Ivoirien Alassane Doumbia, vice-président du groupe Sifca, et le Franco-Sénégalais Abbas Jaber, patron d’Advens, sont dans les meilleurs termes, contrairement aux rumeurs habituellement colportées.

Pour certains, l’événement a aussi été l’occasion de parapher des contrats – et d’en faire la promotion. En marge des conférences, le Béninois Christian Adovèlandé, président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), et le Marocain Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa Bank, ont ainsi conclu un partenariat portant sur les activités de financement de projets, de conseil et d’appel au marché financier. Mais le deal le plus important de ces deux jours est la vente par le capital-investisseur Emerging Capital Partners (basé aux États-Unis), en présence de son cofondateur franco-camerounais Vincent Le Guennou, des 26 % détenus dans le capital de l’assureur ivoirien NSIA au consortium formé par la Banque nationale du Canada et la société d’investissement Amethis Finance, dirigée par le Français Luc Rigouzzo. Attendue depuis des mois, cette cession aurait atteint un montant record de 110 millions d’euros.

Ovation

Le dîner de gala du 16 mars a abrité la cérémonie des Awards, orchestrée par la journaliste franco-nigériane Elé Asu (qui présente l’émission Réussite sur Canal+). Pour le prix du CEO africain de l’année, ce ne sont pas un, mais deux chefs d’entreprise qui ont succédé à la Sud-Africaine Daphne Mashile-Nkosi, patronne de Kalagadi Manganese : l’Algérien Issad Rebrab et le Kényan Chris Kirubi. Fondateur du groupe diversifié Cevital, Rebrab a notamment été récompensé pour sa politique d’acquisitions en 2014 (le français FagorBrandt, les aciéries italiennes Lucchini). Quant à Kirubi, le jury a salué l’obtention par Centum d’un important contrat pour la construction d’une centrale à charbon, ainsi que ses ambitieux projets dans l’immobilier. Très en verve, le tycoon kényan s’est réjoui de voir réunis les décideurs francophones et anglophones et a appelé de ses voeux un continent sans frontières, ajoutant devant une salle conquise : « Nous allons sauver le monde. »

Au cours de la cérémonie, Danone, Helios Investment Partners, Equity Bank et IHS Towers ont également été honorés, tout comme Donald Kaberuka, qui a reçu un prix spécial et une ovation de la part de toute l’assemblée pour le travail accompli à la tête de la BAD, qu’il quittera dans quelques mois.

En trois éditions, le Africa CEO Forum est devenu le rendez-vous incontournable des décideurs économiques d’Alger au Cap. Initialement prévu en Côte d’Ivoire, il a finalement été une nouvelle fois organisé en Suisse, en raison, entre autres, des incertitudes, pour un événement qui doit être planifié de longs mois à l’avance, que faisait planer la crise Ebola. À la tribune, Daniel Kablan Duncan, le Premier ministre ivoirien, n’a cependant pas manqué de renouveler l’invitation de son pays pour la prochaine édition, en 2016. D’autres candidats, du Rwanda au Kenya en passant par le Ghana et le Maroc, sont sur les rangs. Après deux jours de communion pour célébrer et entretenir la croissance africaine, la compétition a déjà repris. C’est la dure loi des affaires.

Par Julien Clémençot, envoyé spécial à Genève

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