Les Bourses des PME font une timide percée
D’Abidjan à Casablanca, toutes les places financières veulent leur marché alternatif. Mais entrepreneurs et investisseurs boudent celles qui existent déjà. Comment les convaincre de franchir le pas ?
Elles sont au nombre de 25 et pèsent plus de 1 100 milliards de dollars (850 milliards d’euros) de capitalisation cumulée : les Bourses africaines ont le vent en poupe. Mais si elles attirent toujours plus de sociétés à la recherche de financements et d’investisseurs en quête de placements, elles semblent encore inaccessibles pour nombre de petites et moyennes entreprises (PME). Intimidées par le ticket d’entrée – processus d’introduction coûteux, démarches administratives complexes et réglementation contraignante – peu de PME osent franchir le pas. Pour leur faciliter l’accès aux marchés, de plus en plus de places financières du continent lancent des compartiments qui leur sont réservés.
En tout, treize places africaines disposent désormais d’un compartiment spécifique. Et la liste va encore s’allonger..
Fin janvier 2013, la Bourse de Nairobi inaugurait le Growth Enterprise Market Segment (Gems), destiné à accueillir les jeunes entreprises en croissance. Dans la foulée, les places de Dar es-Salaam et Kigali ont également mis en place des marchés alternatifs réservés aux PME. En Afrique de l’Ouest, l’année 2013 aura aussi été riche en annonces : en mars démarrait le Ghana Alternative Exchange (GAX) puis, en avril, l’Alternative Securities Market (Asem) voyait le jour à la Bourse de Lagos. Autant de nouvelles plateformes boursières dédiées qui viennent s’ajouter à celles qui existent déjà : AltX de Johannesburg, Nilex égyptien, Semdem mauricien, marché alternatif de la BVMT de Tunis…
Avantages
En tout, treize places africaines disposent désormais d’un compartiment spécifique. Et la liste va encore s’allonger : un compartiment réservé est annoncé à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan, de même qu’à Casablanca, où un marché est en préparation sur le modèle de l’Alternative Investment Market (AIM) londonien.
Partout, les règles du jeu sont peu ou prou les mêmes : les critères d’admission à la cote sont assouplis, mais le régulateur ne transige pas sur les obligations légales de diffusion d’informations financières ni sur le respect des règles de bonne gouvernance. Sur le papier, la formule présente bien des avantages : les PME accèdent ainsi à moindres frais à la Bourse afin de financer leur développement, et les actionnaires peuvent espérer des rendements accrus tout en bénéficiant d’un cadre juridique sécurisant. Dans les faits, le système peine encore à convaincre. Lancés l’année dernière, l’Asem nigérian et le Gems de la Bourse de Nairobi ne décollent pas, tandis que les marchés alternatifs des Bourses ghanéenne et rwandaise attendent toujours l’arrivée de leurs premières entreprises à la cote.
Univers ésotérique
Quant aux efforts de la place de Kampala pour attirer les PME sur son segment dédié – lancé en 2003 – ils sont jusqu’à maintenant restés vains. La Bourse reste pour beaucoup un univers ésotérique, et les entreprises comme les investisseurs peinent à se représenter les potentialités offertes. « Nous devons communiquer davantage », concède Edoh Kossi Amenounve, directeur général de la Bourse régionale ouest-africaine BRVM. La barrière est aussi culturelle, selon son homologue de la Bourse de Kigali, Pierre Célestin Rwabukumba. « Beaucoup d’entrepreneurs préfèrent payer près de 20 % d’intérêts à leur banque et hypothéquer tous leurs biens plutôt qu’ouvrir leur capital, être transparents et partager les profits », se désole le directeur général du Rwanda Stock Exchange, dont le compartiment PME est toujours vide. Même réticence du côté des épargnants, estime Olivier Muneza, du courtier MBEA Brokerage, pour qui « convaincre les investisseurs de se porter sur de petites valeurs est compliqué ». Pourtant, certaines places comme Tunis, où le marché alternatif compte 11 sociétés cotées, commencent à trouver leurs marques.
Convaincre les investisseurs de se porter sur de petites valeurs est compliqué.
« Les entreprises tunisiennes ont compris les avantages de l’ouverture de leur capital. D’ailleurs, en raison de la situation des établissements financiers du pays, elles sont bien obligées de chercher des alternatives au crédit bancaire pour se financer », souligne Kais Kriaa, président du directoire d’AlphaMena, un cabinet d’analyse financière. « Mais l’absence d’une demande institutionnelle reste un obstacle au développement du marché alternatif en Tunisie », déplore-t-il. Un constat que pourraient aisément reprendre à leur compte la plupart des places financières du continent. Alors comment relever avec succès le défi du financement boursier des PME africaines ? Un bon connaisseur du dossier préconise « davantage d’incitations fiscales et de mesures d’accompagnement, afin de créer un écosystème plus favorable ».
Même son de cloche à Tunis : « Il faudrait obliger les institutionnels locaux (assurances, caisses de retraite, banques) à investir en Bourse », estime Kais Kriaa, qui suggère également d’attirer « des investisseurs étrangers en éliminant, par exemple, les restrictions de seuils de participation ».
Pragmatisme
Autre piste à explorer : optimiser les règles de fonctionnement du marché lui-même. Référence mondiale avec plus de 1 100 sociétés cotées (dont 224 étrangères) et près de 39 milliards de livres (48 milliards d’euros) de fonds récoltés depuis ses débuts en 1995, l’AIM du London Stock Exchange est ainsi organisé selon des règles différentes de celles des autres compartiments alternatifs. Il ne requiert aucune exigence de taille minimale, ni d’augmentation de capital ou de période de lock-up (obligation faite aux dirigeants actionnaires de conserver leurs titres pendant une certaine durée après l’introduction en Bourse). Et l’admission à la cote y est contrôlée par les intermédiaires introducteurs (les nominated advisers), qui font aussi office de régulateurs. Un système très souple, caractéristique du pragmatisme de la City.
Sans être intégralement transposable, la recette pourrait inspirer bien des places financières, notamment en Afrique. Cela permettrait peut-être de multiplier les opérations réussies, qui existent aussi sur le continent. Introduit à la mi-août sur l’Enterprise Growth Market à Dar es-Salaam après que son offre eut été sursouscrite de 40 %, l’entreprise d’exploration pétrolière Swala Oil and Gas a facilement levé 4 millions de dollars et clôturé sa première journée de cotation en hausse de 20 %. Une belle performance qui pourrait à l’avenir faire des émules sur les compartiments PME des Bourses africaines. Mais il faudra encore du temps pour que l’idée fasse son chemin et… ses preuves.
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