Bénin : la projet d’aménagement de la « Route des pêches » en pleine controverse
Longeant l’océan de Ouidah à Cotonou, la Route des pêches est au coeur d’un énorme projet touristique. Au grand dam des riverains et des historiens.
Sacré Bénin !
Vingt cinq ans après la Conférence nationale qui fut un modèle pour toute l’Afrique francophone, le laboratoire bouillonnant de la démocratie béninoise a du vague à l’âme.
Ce n’est encore qu’une bande de terre de 40 km sur 800 m de large bordant l’océan, de la lagune de Cotonou à celle de Ouidah. Ici, point de bitume. La route nationale inter-États 1 (RNIE 1) qui relie les deux villes passe plus au nord, préservant la zone côtière, témoin du temps de l’esclavage et des colonies. La Route des pêches (c’est son nom) se résume à une simple piste avec, d’un côté, la plage et ses pêcheurs, de l’autre, des cocoteraies et des villages, ponctués de quelques hôtels et restaurants. Un paradis pour les touristes locaux et étrangers.
Le destin de ce petit bout de littoral pourrait cependant être bouleversé par un grand projet d’aménagement. Sorti des cartons il y a plus de dix ans, il ne s’est pas encore concrétisé, faute de financements. Seuls les travaux d’aménagement d’un tronçon routier de 12,5 km entre Cotonou et le village Adounko ont été engagés en février 2014, grâce à une enveloppe de 13,6 milliards de F CFA (environ 20,7 millions d’euros), dont 12 milliards mobilisés par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).
Le Programme de développement touristique de la Route des pêches (PDT-RP) a été relancé par la Table ronde pour le financement du développement du Bénin organisée en juin 2014 à Paris, où il a été retenu parmi les « cinq projets phares déclencheurs de croissance ». D’un coût global de 1 200 milliards de F CFA, le PDT-RP doit être financé par des partenariats public-privé.
Le projet prévoit la création d’une zone d’aménagement touristique, avec la construction d’hôtels (6 000 chambres), d’ensembles résidentiels (7 000 logements, entre villas et appartements), d’infrastructures de loisirs, de commerces, de transports, de services… à terme, cette zone balnéaire devrait susciter la création d’environ 23 000 emplois directs (230 000 indirects) et accueillir jusqu’à 95 000 visiteurs par jour. « Nous voulons faire du secteur touristique le premier pourvoyeur de devises, explique Jean-Michel Abimbola, ministre de la Culture et du Tourisme. On estime que 400 000 touristes visitent le Bénin chaque année. Grâce à ce projet, nous pensons pouvoir augmenter cette fréquentation d’au moins 35 %. »
Auparavant le PDT-RP va devoir trouver des investisseurs, et l’État rassurer les populations en veillant à la bonne intégration des projets à l’environnement. Car entre les pêcheurs – qui risquent d’être expulsés de certaines zones de plage -, les villageois – contraints de céder des parcelles -, sans oublier les historiens et écologistes – inquiets de la préservation du patrimoine -, le projet ne manque pas de détracteurs.
Mémoire
« Tout détruire et mettre du béton partout… Ils sont fous ! C’est l’histoire de l’Afrique qui s’est passée ici, celle de l’esclavage, ils ne peuvent pas arracher cela à nos enfants ! » se désole l’historien Max Kéké devant la Porte du non-retour, à Ouidah. Ce monument a été érigé face à l’océan en 1992, à la mémoire des esclaves partis dans les cales des bateaux portugais.
De Ouidah à Cotonou, ils sont nombreux à s’alarmer, les uns prédisant que tout l’écosystème serait détruit, les autres ayant « entendu dire » que tel ou tel village, vestige du temps des traites, serait entièrement rasé… S’il ne faut pas verser dans l’excès, il est clair que certains riverains devront être expropriés et indemnisés. L’État béninois doit mobiliser environ 30 milliards de F CFA pour cette seule opération d’indemnisation. Or il n’a pu en dégager, pour le moment, que 1 milliard.
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