Adama Toungara : Ce que la Côte d’Ivoire veut faire de ses ressources naturelles
Négligés ces dernières années, les mines et le pétrole sont devenus un pilier du renouveau économique ivoirien. Pour le ministre ivoirien Adama Toungara, cela passe par une réforme en profondeur du secteur.
La Côte d’Ivoire rêve d’un avenir pétrolier et minier. Négligée pendant une décennie de crise politique et économique, l’exploitation des ressources minières pèse aujourd’hui moins de 1 % de la richesse nationale. Divisée par deux depuis 2006, la production pétrolière est tombée à 32 000 barils par jour du fait de l’ensablement du champ Baobab. Une anomalie au regard du potentiel du pays, estiment certains groupes pétroliers et l’exécutif ivoirien, qui a fait des ressources naturelles un des deux piliers du renouveau économique national, avec l’agriculture.
Les autorités visent ainsi une production de pétrole et de gaz de 200 000 barils par jour. Un chiffre ambitieux au vu de la production actuelle du Ghana voisin, d’environ 80 000 barils par jour. Or en Côte d’Ivoire aucun gisement comparable au champ Jubilee n’a été découvert à ce jour. Côté mines, avec un objectif de production de 15 tonnes en 2015 – soit trois fois plus qu’en 2010 -, l’or est au cœur de la stratégie. En attendant la valorisation d’autres minerais comme le nickel, la bauxite et, surtout, le fer.
Bio express
1971 : Diplômé d’ingénierie pétrolière à l’université de Californie du Sud (États-Unis)
1975 -1981 : DG de Petroci et PDG de la Société ivoirienne de raffinage (SIR)
1981-1993 : Conseiller spécial du président Félix Houphouët-Boigny
2001 : Élu maire d’Abobo
2011 : Nommé ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie
Très discret dans les médias, Adama Toungara, le ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, a longuement reçu Jeune Afrique, à Paris, pour exposer la stratégie de l’État ivoirien. Réduction de la surface des concessions minières, taxe sur les superprofits, contentieux frontalier avec le Ghana… Il revient sur tous les dossiers chauds.
Propos recueillis par Pascal Airault et Julien Clémençot
Jeune Afrique : L’État a de grandes ambitions dans les ressources naturelles. Comment les réaliser ?
Adama Toungara : En juin 2011, j’ai rassemblé tous les intervenants du secteur pour un séminaire-bilan à Yamoussoukro. Qu’avons-nous découvert ? La mal-gouvernance, le gel des permis, des attributions clientélistes… Il y avait également un manque de contrôle des activités et une lourdeur de l’administration. Quelque 300 demandes d’opérateurs privés étaient en souffrance dans le domaine des mines. D’autres sociétés avaient une vingtaine de permis et ne faisaient aucune recherche. Elles n’avaient ni les compétences techniques ni les capacités financières pour les exploiter. Leur but était simplement spéculatif. La situation était similaire dans les hydrocarbures. Conséquence : on enregistrait une baisse des activités.
Et qu’avez-vous fait ?
On a tout remis à plat, en concertation avec le secteur privé, et élaboré la vision 2030. On travaille sur tous les aspects : renforcement du cadre réglementaire pour le rendre plus incitatif et améliorer la gouvernance, formation des cadres de l’énergie et des mines, assainissement des sociétés nationales, relance des activités… Un des objectifs est d’intensifier l’exploration afin de multiplier les découvertes et de produire rapidement. Pour aller vite, une quarantaine de permis miniers ont déjà été accordés. Nous avons aussi réduit la surface des concessions minières, comme nous le permet la loi. Sous Laurent Gbagbo, on accordait systématiquement des permis de 1 000 km2. Une hérésie au regard de ce que font nos voisins [250 km2 au Mali et 200 km2 au Burkina Faso, NDLR]. On a donc réduit la superficie à 400 km2.
Les Africains n’accepteront bientôt plus que les sociétés minières étrangères ne reversent pas un centime à l’État.
Un nouveau code minier est prévu. À quoi faut-il s’attendre ?
Ce code, qui sera soumis aux députés avant le mois de mars, va réduire les démarches administratives, intensifier la recherche et limiter la superficie des permis. Le cahier des charges des exploitants sera plus rigoureux aux niveaux technique et financier. On réaffirme aussi certains principes comme la taxe sur les superprofits, qui a pour ambition de mieux partager les revenus entre l’État et l’opérateur.
Cette taxe est rejetée par les miniers. Les pétroliers, eux, l’acceptent. Pourquoi ?
C’est un problème de culture et de mentalité. Dans les pays européens ou nord-américains, cette taxe est appliquée. On l’appelle la « windfall profits tax ». Mais en Afrique, les sociétés souhaitent faire un maximum de bénéfices. Pourquoi avoir peur ? Si les cours n’augmentent pas, elle ne s’appliquera pas.
Instaurerez-vous aussi des contrats de partage de production, comme cela se fait dans le pétrole ?
C’est une idée révolutionnaire que nous étudions très sérieusement. Toutefois, elle ne figurera pas dans le code minier, car nous comptons en discuter préalablement avec les privés. Nous allons aussi revoir le concept de « l’inventeur » du gisement. Pour moi, les ressources naturelles sont la propriété de l’État et non pas d’un opérateur, qui ne fait qu’assurer un service. Ce concept va passer, c’est une question de temps. Les Africains n’accepteront bientôt plus que des sociétés étrangères bénéficient d’avantages exorbitants en matière de fiscalité et ne reversent pas un centime à l’État. Chez nous, une entreprise qui investit 300 millions d’euros peut récupérer sa mise au bout de deux ans. Elle continue pourtant à bénéficier d’exonérations pendant plusieurs années. Dans notre pays, une seule société aurifère paie l’impôt sur le bénéfice. C’est immoral.
Où en sont les projets miniers dans l’Ouest ?
Nous avons de gigantesques réserves de fer aux monts Klahoyo et Tia. Ce projet dort depuis 1971. Le gouvernement a accordé un permis d’exploitation à African Minerals, qui a dix-huit mois pour confirmer les réserves minières. Elle devra aussi démontrer la faisabilité de l’exploitation de ce gisement, qui sera relié au port de San Pedro par une ligne ferroviaire. Dans la ville sera aussi construit un port minéralier. Il s’agit de produire de 20 millions à 25 millions de tonnes de fer par an. Quarante-cinq ingénieurs travaillent sur ce projet. Plus au sud, on pourra aussi exploiter le gisement de fer du mont Gao. C’est un projet intégré qui sera entièrement financé par la société exploitante, pour un coût global de 2 milliards de dollars [1,5 milliard d’euros].
Quelles sont les ressources minières inexploitées ?
Notre pays dispose d’un sous-sol riche d’une grande diversité de matières premières : manganèse, fer, or, nickel, bauxite… La direction des mines et de la géologie, longtemps négligée, doit rejouer un rôle important en matière de recherche. Je vais multiplier son budget par dix.
Où en êtes-vous de votre adhésion à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) ?
Elle est en cours. Nous prenons toutes les dispositions pour nous conformer à ses règles. Nous voulons aussi adhérer au processus de Kimberley et obtenir la levée de l’embargo onusien sur le commerce de notre diamant.
L’exploration pétrolière est l’autre pan de votre stratégie. Où en êtes-vous ?
Pendant dix ans, il n’y a eu que cinq forages d’exploration. Sur la même période, la Guinée équatoriale a réalisé 40 puits et le Gabon 25. L’État avait fait l’erreur de donner des permis à tout venant. Après inventaire, nous avons approché toutes les compagnies qui n’avaient pas fait de travaux pour leur demander de rendre les permis. Sans grincements de dents, huit permis ont été restitués.
Cette politique porte-elle ses fruits ?
Tout à fait. D’avril à décembre 2011, huit forages d’exploration ont déjà été réalisés, notamment par Lukoil et Anadarko. Et nous avons beaucoup d’espoir concernant les travaux que Total entreprend en ce moment. En outre, sur la même période, nous avons signé douze contrats de partage de production. Actuellement, sur 51 blocs (dont 44 offshore), 26 sont attribués.
Y a-t-il toujours des négociations avec le Ghana pour résoudre le conflit territorial concernant une zone maritime potentiellement riche en pétrole ?
Les négociations ont été suspendues à la demande du président Ouattara, pour qu’il n’y ait pas d’interférence politique pendant la campagne pour l’élection présidentielle [du 7 décembre 2012] au Ghana. L’objectif est d’aboutir à un règlement amiable. Je veux préciser que la zone de contentieux ne fait pas l’objet de production. Il y a eu des découvertes, mais nous considérons qu’il ne devrait même pas y avoir d’exploration sans notre autorisation.
Se dirige-t-on vers une zone d’exploitation commune avec le Ghana ?
Nous sommes disposés à analyser toutes les éventualités !
Confirmez-vous la volonté de l’État, déjà affichée par l’ex-président Laurent Gbagbo, d’impliquer davantage la société nationale Petroci dans l’exploration pétrolière ?
Cette ambition ne date pas des années 2000. L’État a toujours eu la volonté de faire de Petroci une société dont les activités couvrent la recherche, le raffinage et la distribution. À la fin des années 1970, elle avait déjà réalisé quatre forages. Il ne faut pas oublier que c’est la société nationale qui a découvert le fameux gisement Foxtrot dont le gaz est utilisé pour produire la majeure partie de notre électricité. Petroci n’a pas été créée pour faire de la figuration. Son slogan est : « Produire l’énergie d’une nation forte ». Elle possède déjà une part de tous les blocs pétroliers attribués par la Côte d’Ivoire, mais elle ne doit pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Nous sommes en train de voir avec des pays amis pour que Petroci puisse obtenir des permis d’exploration chez eux.
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