Lourdement endettés, les promoteurs marocains cherchent à se reconstruire

Levée obligataire, nouveau business plan, changement de stratégie… Après des années de spéculation, Alliances, Addoha et la Compagnie générale immobilière tentent par tous les moyens de retrouver l’équilibre financier.

Après le scandale Madinat Badès, la CGI veut repartir sur de nouvelles bases © Hassan Ouazzani pour J.A.

Après le scandale Madinat Badès, la CGI veut repartir sur de nouvelles bases © Hassan Ouazzani pour J.A.

Publié le 17 mars 2015 Lecture : 6 minutes.

Le 5 mars était une échéance importante pour le groupe Alliances. Le promoteur immobilier devait alors rembourser une tombée obligataire de 1 milliard de dirhams (92,5 millions d’euros). À un mois de la date fatidique, n’ayant aucune visibilité sur la suite des événements, il donnait encore des sueurs froides au marché. Ce n’est qu’au dernier moment qu’Alami Lazraq, PDG du groupe, a décidé de recourir au marché de la dette privée, en levant un autre milliard. Une opération conclue le 2 mars, trois jours avant le jour J.

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« L’emprunt a été bouclé au forceps. Et Alliances a dû offrir une prime de risque alléchante au marché pour placer ses titres [près du double de celle offerte lors de la dernière levée du groupe, en 2011]. Autrement, on ne sait pas si les institutionnels l’auraient suivi », explique un analyste financier.

JA2827p66 Finance MarocJusqu’au cou

Entre hier et aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. Pas seulement pour Alliances, mais pour tous les grands promoteurs du marché, Addoha en tête. Endetté jusqu’au cou, le groupe d’Anas Sefrioui, leader du secteur, a dû lui aussi faire face à un test à la mi-février : le remboursement d’une ligne de trésorerie de 175,6 millions de dirhams. 

Pour dissiper les doutes sur sa capacité à respecter ses engagements, Addoha a tout fait pour rembourser cette tombée en liquide, alors qu’il pouvait tout simplement renouveler cette ligne, comme il est d’usage sur ce marché des billets de trésorerie. « C’était un signal envoyé principalement au marché et aux banques, qui commençaient à douter des équilibres financiers du groupe », explique notre analyste.

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S’ils ont passé ces tests, Alliances et Addoha ne sont pas pour autant sortis de la zone de turbulences. Leur taux d’endettement est en effet vertigineux : 173 % pour le groupe de Lazraq et plus de 80 % pour celui de Sefrioui. Le tout avec une trésorerie nettement déficitaire. »C’était encore soutenable quand le marché était en période de croissance, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le secteur de l’immobilier vit dans une atonie très inquiétante », lance un expert du secteur.

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Fin d’un cycle

Une situation difficile qui se ressent clairement lorsqu’on observe les chiffres du ciment et du crédit bancaire. Les ventes d’or gris, principal indicateur de la bonne tenue du secteur de l’immobilier au Maroc, ne cessent de baisser depuis trois ans. En 2014, l’activité des cimentiers a chuté de 5,4 %, après une baisse de 6,4 % en 2013.

Idem pour les crédits bancaires aux acquéreurs, dont la croissance a signé un ralentissement notable depuis 2012. Des données qui signent la fin d’un cycle pour les grands promoteurs marocains. « Ce retournement de situation a montré les limites du modèle industriel d’Addoha et d’Alliances, qui ont commis des erreurs stratégiques en se lançant dans une course effrénée au foncier. C’est ce qui a alourdi leur endettement, sans qu’il y ait par ailleurs de rentrées d’argent pour alimenter la trésorerie », explique un analyste du marché.

La logique veut qu’un achat foncier soit affecté à un projet immobilier immédiat. Mais, voyant les prix du secteur monter d’année en année, les deux promoteurs ont voulu anticiper leur croissance future en amassant des réserves foncières à coups d’endettement pour des projets qui ne seront développés que dans dix ou quinze ans. « C’est une démarche de spéculation qui n’obéit pas à la logique industrielle. C’est le péché qu’ils ont commis », poursuit notre analyste.

« Aberrant »

Le département recherche de la banque d’investissement CDG Capital avait déjà alerté le marché en 2013 sur cette situation, avec des mots on ne peut plus clairs. « Lorsque le flux de trésorerie disponible est négatif sur un horizon significatif, l’entreprise court un risque, car non seulement elle ne génère pas les ressources financières suffisantes pour se développer, mais elle accroît régulièrement sa dette, jusqu’à une situation de surendettement. Ce qui peut se retourner contre l’entreprise en période de crise », notaient les analystes de CDG Capital Research dans une étude intitulée « Secteur immobilier : paysage obscur incitant à davantage de prudence ».

Le principal reproche des analystes de cette banque d’affaires concernait la série de flux de trésorerie négative de ces deux promoteurs, sur une durée assez longue, alors même que leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices ne cessaient d’augmenter. Une situation jugée « aberrante » par CDG Capital Research. Le message semble avoir été bien reçu par les professionnels. En août 2014, la Compagnie générale immobilière (CGI), filiale de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), lançait toute une stratégie pour réduire son endettement et repartir sur de nouvelles bases.

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Une stratégie qu’on ne pourra cependant pas suivre de près, la CGI ayant entamé depuis quelques mois son retrait de la Bourse de Casablanca après l’affaire Madinat Badès. Un scandale immobilier qui a entraîné le départ de son PDG, Mohamed Ali Ghannam, désormais poursuivi pour escroquerie et constitution de bande organisée.

Addoha a également réagi dès le début de l’année à travers son « Plan génération cash ». Celui-ci vise à faire passer l’endettement du groupe à moins de 30 % d’ici à 2017 en réduisant de moitié son rythme de production pour se concentrer sur la liquidation du stock d’invendus et le recouvrement des créances clients. Deux éléments qui ont fait exploser le besoin en fonds de roulement d’Addoha. Et avec, ses besoins de financements.

« Nous devons saluer la nouvelle stratégie d’Addoha qui vise à assainir les comptes du groupe. C’est un plan rassurant pour le secteur financier, et d’autres doivent suivre cet exemple », a commenté Mohamed El Kettani, le patron d’Attijariwafa Bank, lors de la présentation de ses résultats annuels.

L’heure de vérité

Quant au groupe Alliances, il s’apprête à annoncer dans les jours qui viennent un nouveau business plan et une stratégie répondant aux mêmes objectifs. Cette dernière a été confiée à la banque d’affaires Rothschild et doit être présentée aux administrateurs du groupe avant le 31 mars.

Si rien ne filtre aujourd’hui sur ses détails, on en connaît d’ores et déjà les grands axes : cession massive de foncier, liquidation des stocks d’invendus, restructuration du pôle construction et réduction du rythme de production. « C’est l’heure de vérité pour les grands promoteurs marocains. Soit ils font profil bas et limitent la casse, soit ils se dirigent vers la cessation de paiements. Une situation qui aura des conséquences catastrophiques sur le secteur financier », estime notre analyste.

Grande déception à la Bourse

Introduits en Bourse entre 2006 et 2008, les trois géants marocains de l’immobilier sont à l’origine d’une grande frustration sur la place casablancaise. Après quelques mois prometteurs à la cote, Addoha, Alliances et la Compagnie générale immobilière (CGI) ont entamé une véritable descente aux enfers, causant des pertes phénoménales pour les investisseurs et les petits porteurs. Le cas de la CGI est le plus parlant. Introduit à 952 dirhams (85 euros) en août 2007, le titre avait atteint plus de 2 500 dirhams avant de redescendre à moins de 725 dirhams. Et c’est à ce niveau de prix qu’il risque de se retirer de la Bourse, engendrant la colère de milliers de petits porteurs. Addoha et Alliances ne sont pas en reste. Depuis leur première cotation, leurs titres ont perdu respectivement 44 % et 80 % de leur valeur.

Ceux-ci étaient pourtant toujours recommandés à l’achat, au vu de la bonne tenue du chiffre d’affaires des groupes et des perceptives de bénéfices qui en découlaient. « Ces groupes évoluent depuis 2008 avec une trésorerie négative de 4 milliards de dirhams en moyenne. Et leur endettement a explosé entre-temps. Aujourd’hui, la situation est devenue intenable avec les difficultés que connaît le marché de l’immobilier », explique un analyste financier. Le seul espoir d’une reprise réside désormais dans la mise en oeuvre de leur stratégie de désendettement sur les trois prochaines années. Celle-ci doit leur permettre de rebooster leur flux de trésorerie, de redistribuer plus de dividendes aux actionnaires et de repartir sur des bases plus solides. 

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