Quand l’Afrique arrive en ville

Au centre des réflexions du Africa CEO Forum et d’une étude du cabinet PwC dévoilée en exclusivité à « Jeune Afrique » : la question du développement urbain. Sujet plus que jamais d’actualité puisque, dans les décennies à venir, les métropoles du continent verront affluer des centaines de millions de nouveaux habitants.

Le Caire occupe la première place du classement général de PwC. © Mohamed El-Shahed / AFP.

Le Caire occupe la première place du classement général de PwC. © Mohamed El-Shahed / AFP.

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Publié le 17 mars 2015 Lecture : 6 minutes.

À l’horizon 2050, alors que l’Afrique subsaharienne comptera dix fois plus d’habitants qu’un siècle plus tôt, les citadins seront eux 60 fois plus nombreux, représentant une mutation majeure pour le continent. Le développement urbain, un des thèmes principaux de la troisième édition du Africa CEO Forum, les 16 et 17 mars à Genève, sera donc au coeur des réflexions de notre siècle. Un processus déjà en cours et appelé à se poursuivre au rythme de ce boom démographique qui change le visage de l’Afrique depuis déjà plusieurs décennies.

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Selon les dernières projections, le nombre d’Africains sera multiplié par cinq entre 2000 et 2100, pour atteindre les 4,2 milliards. Dès 2030, le continent devrait compter autant d’habitants que l’Europe et les deux Amériques réunies. Et, situation inédite, à partir de 2035, les citadins devraient être plus nombreux que les ruraux sur l’ensemble du continent. Selon l’ONU, ils seront même 1,26 milliard en 2050, contre moins du tiers aujourd’hui. Même si l’Asie devrait conserver le rythme le plus rapide en matière de croissance urbaine pour quelque temps encore, l’Afrique la suit de près et devrait représenter d’ici à trente ans plus de 20 % de la population mondiale urbanisée.

Le Rwanda invente la capitale de demain

Avec 477 habitants au km2, la densité de population du Rwanda est l’une des plus fortes du continent.

La capitale qui a considérablement étendu ses limites ces vingt dernières années, doit désormais « rationaliser son espace ». Et Kigali a déjà son plan !

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En 2050, près de deux Africains sur trois vivront en ville. Le Nigeria s’installera alors de manière durable sur la troisième marche du podium des pays les plus peuplés au monde avec 444 millions d’habitants (derrière l’Inde et la Chine). Et les contours de Luanda, Dar es-Salaam, Khartoum, Abidjan et Addis-Abeba auront depuis longtemps été redessinés pour permettre à ces villes de rejoindre Lagos, Le Caire et Kinshasa au sein du club très fermé des grandes métropoles africaines de plus de 10 millions d’habitants.

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Bidonvilles

Comment ces agglomérations feront-elles face à de pareils ordres de grandeur ? La question reste en suspens. L’augmentation de la population urbaine, plus rapide que la croissance économique au sud du Sahara depuis trente ans, n’a pour l’instant contribué qu’à « une urbanisation de la pauvreté », selon l’expression des démographes. D’après l’agence ONU-Habitat, plus de 60 % des citadins africains vivent aujourd’hui dans des bidonvilles.

« Pour éviter que les nouveaux arrivants ne s’entassent aux portes de ces métropoles et ne creusent davantage la fracture urbaine entre des taudis en extension et les quelques enclaves de richesse, les Africains vont devoir réinventer leur ville », estime Gilles Pison, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), à Paris.

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Face à ce contexte sans précédent, la ville africaine reste en effet largement à imaginer. Un modèle original à trouver quelque part entre l’étalement urbain désorganisé d’aujourd’hui et les visions futuristes quasi idylliques placardées il y a quelques mois dans les capitales d’Afrique de l’Ouest par une célèbre banque panafricaine. Seule certitude, l’exemple ne viendra pas d’ailleurs. Les schémas hérités des colonisateurs ont depuis longtemps montré leurs limites.

Quant aux projets ultramodernes inspirés de Dubaï ou de Singapour, très en vogue sur le continent, ils ne semblent pas pouvoir répondre aux besoins de base des populations, même s’ils représentent à plus long terme de formidables leviers de croissance économique.

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La ville africaine doit déjà lutter contre une certaine illégitimité historique. « Son existence a longtemps été niée. De nombreux Occidentaux considèrent que c’est une création artificielle, puisqu’il n’y a aucune industrie », s’agace l’économiste Jean-Marie Cour. Décidées à réduire la pauvreté des villes en encourageant les ruraux à rester dans leurs villages, les institutions financières internationales ont cessé de financer tout développement urbain à partir des années 1980, pour au contraire soutenir les campagnes, au nom d’un paradis perdu cher à certains utopistes.

Après vingt ans d’une telle politique, les effets sont catastrophiques pour les villes, incapables de fournir le foncier, les infrastructures et les services nécessaires pour absorber l’exode rural. Acculés par le rythme des migrants, les pouvoirs publics courent après ces décennies perdues.

Urgence

Palmares cites PwC JA 2827« Les autorités sont trop dans le rattrapage et l’urgence pour pouvoir développer une vision », estime Pierre-Antoine Balu, partenaire du cabinet de conseil international PwC, qui vient de publier une étude sur les villes africaines « pour contribuer à la mise en place de cette réflexion ».

Intitulé « The Continent’s Cities of Opportunity », ce document d’une trentaine de pages classe 20 des plus importantes métropoles du continent, selon quatre séries d’indicateurs. Et détermine celles qui sont les plus dynamiques aujourd’hui et celles qui peuvent prétendre à le devenir demain.

Cette première compilation du genre réalisée sur l’Afrique sera mise à jour chaque année. Elle s’adresse d’abord aux investisseurs étrangers, « pour les aider dans le choix de leurs implantations », précise Pierre-Antoine Balu, qui insiste sur les notions de hub et de marché à vocation régionale. Mais également aux autorités publiques, « pour leur permettre de prioriser leurs investissements, de les séquencer en fonction de leurs ressources ».

C’est en effet souvent là que le bât blesse et, en dehors de Kigali et d’Addis-Abeba, les vrais plans de développement urbain restent rares à travers le continent. « C’est pourtant le seul moyen d’anticiper », assure Gilles Pison, de l’Ined.

Pour un pays, l’enjeu est important, alors que le rôle de moteur de développement économique et humain des villes n’est plus à démontrer. L’ensemble des zones urbaines représenterait aujourd’hui 55 % du PIB continental, selon ONU-Habitat. « Personne ne sait vraiment si c’est l’urbanisation qui tire la croissance économique ou le contraire, mais les deux sont clairement liées », reprend le démographe de l’Ined.

La jeunesse de la population africaine, dont l’âge médian est estimé à 19 ans, permet également à l’ensemble du continent d’espérer une période de dividende démographique (la proportion d’actifs est alors supérieure à celle des inactifs), qui permet généralement d’accélérer la croissance économique.

Jean-Marie Cour : « Une ville doit mûrir pour devenir viable »

Économiste et spécialiste de l’aménagement du territoire, Jean-Marie Cour répond aux questions de « Jeune Afrique » au sujet du processus d’urbanisation sur le continent.

Pour cet chercheur français, consultant pour plusieurs institutions internationales, les autorités doivent profondément revoir leur vision de l’urbanisation.

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Cette situation est déjà une réalité en Afrique du Nord et est attendue à l’horizon 2030 pour le reste du continent. Elle se traduit par une main-d’oeuvre abondante et la formation d’un vaste marché urbain de consommateurs. À condition bien sûr que, d’ici là, les villes aient pu créer la richesse et les emplois nécessaires. Selon les projections, le continent comptera 1,1 milliard de travailleurs disponibles en 2040, dépassant les autres régions du monde.

Les métropoles vont donc devoir attirer les investisseurs privés, qui, en plus de générer de l’emploi, pourront contribuer à apporter aux pays africains les 40 milliards de dollars par an dont ils ont besoin pour financer des logements, des équipements publics ainsi que des infrastructures de transports et d’énergie. « Mais pour instaurer la confiance de ces investisseurs, il est primordial de répondre aux enjeux de sécurité », prévient Pierre-Antoine Balu, de PwC.

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Fragilité

La diversification sectorielle des villes, qui doivent s’appliquer à développer les services et les industries, représente une source d’opportunités suffisante pour les intéresser. Tout comme l’émergence d’une classe moyenne africaine, qui devrait dépasser celle de la Chine en 2060 pour atteindre le milliard de personnes, contre 355 millions actuellement. Mais si l’Afrique veut tirer le meilleur parti de ses transitions urbaine et démographique, elle doit encore combler un certain nombre de carences. Et en priorité à la fragilité des autorités publiques.

Après une décentralisation bâclée, les municipalités ne disposent pas des instruments institutionnels et financiers nécessaires pour remplir leur tâche. Il y a urgence à déconcentrer les pouvoirs afin de mieux réorganiser les espaces de peuplement selon une articulation ville-campagne, fondamentale pour assurer le développement socio-économique des centres urbains en particulier, et des pays en général.

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