En Tunisie, la méthode de BNP Paribas fait débat
La direction et certains actionnaires minoritaires de l’UBCI se déchirent autour de la gestion de la filiale du groupe français. Une querelle qui cache un autre problème : son manque de dynamisme.
Lors de l’assemblée générale de l’UBCI, le 5 février, les comptes de la banque tunisienne ont finalement été validés. Et celle-ci a pu débloquer le rapatriement de 17 millions de dinars (7,5 millions d’euros) en faveur de BNP Paribas, sa maison mère, après 10,5 millions de dinars au titre de l’exercice 2013 et 6,5 millions pour 2014. La fin de la crise pour la filiale ? Pas vraiment.
Ses mésaventures commencent au mois de juillet 2014, lorsque la Banque centrale de Tunisie refuse de valider les comptes de la banque : elle juge que l’établissement tunisien a sous-estimé un risque dans le cadre d’une vérification fiscale et reporte l’assemblée générale au 26 août. Mais le mois suivant, nouveau coup de théâtre, celle-ci est encore annulée.
Cette fois, c’est un autre point qui fâche : les frais facturés par BNP Paribas à sa filiale. Certains actionnaires tunisiens minoritaires les jugent excessifs… Dans la pratique, ils n’ont rien d’extraordinaire : les maisons mères facturent couramment l’utilisation du logiciel informatique ou des services d’assistance, par exemple. Le tout est encadré par des conventions validées.
Mais dans le cas de l’UBCI, ces charges ont grimpé jusqu’à 5,5 millions de dinars. Les commissaires aux comptes eux-mêmes s’en inquiètent, estimant qu’une « incertitude pèse sur la réalité » de certains de ces frais. Depuis, la guerre est ouverte entre certains actionnaires tunisiens minoritaires et la direction du groupe.
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Houleuse
À l’issue de son assemblée générale, l’UBCI s’est réjoui, assurant dans un bref communiqué que les conventions avaient été « validées » et que toutes les « résolutions avaient été prises à la majorité ou à l’unanimité ». La banque a précisé que « trois administrateurs, dont deux indépendants, ont été nommés », ainsi que Habiba Hadhri au poste de directrice générale adjointe.
Mais celle-ci a refusé de répondre plus précisément à nos questions. Tout comme BNP Paribas… « Ce n’est pas surprenant, juge un financier de la place. Ils n’ont aucune culture de la communication. C’est incroyable pour une société cotée. »
L’ambiance de la réunion a pourtant été houleuse, alors que des actions en justice sont en cours contre les dirigeants pour détournements de fonds ou abus de biens sociaux. À la tête des actionnaires minoritaires mécontents figure Khaled Sellami, dont le groupe détient 6,77 % de la banque.
Et le groupe Riahi (6,83 % des parts) a aussi rejoint le clan. La médiation du gouverneur de la banque centrale, Chedly Ayari, a échoué. Signe que l’affaire est prise très au sérieux, le nouveau ministre des Finances, Slim Chaker, s’y intéresse de près.
Mehdi Ben Ayed, actionnaire et fils d’Abdessalem Ben Ayed, PDG de l’UBCI pendant vingt-cinq ans, tente lui aussi de se poser en médiateur. et aborde de front la question des conventions : « C’est le droit de BNP d’être rémunérée pour les services externalisés, mais il faut que ce soit formalisé. Et ces rémunérations ne doivent pas être excessives. »
Selon nos calculs, la Société générale a facturé en 2013 entre cinq et dix fois moins de frais que BNP Paribas à sa filiale tunisienne, l’Union internationale de banques (UIB). « Nous avons un intérêt commun, estime Mehdi Ben Ayed, c’est cette banque. Actuellement, on ne parle que de ces questions, au détriment du développement de l’établissement. »
Selon le cabinet AlphaMena, la rentabilité (retour sur fonds propres) de l’UBCI fait en effet peine à voir : 8 %, contre 19 % pour Attijari, 18 % pour la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat) et 13 % pour la Banque de Tunisie. De plus, avec 5 % de part de marché sur les crédits et les dépôts, la banque reste un petit acteur sur un petit marché. Et pèche par son manque de dynamisme. Entre 2009 et 2014, ses ventes ont certes progressé de 63 %. Mais dans le même temps, celles d’Attijari et de l’UIB bondissaient de 89 % et 86 %.
Plutôt active dans le domaine du crédit, elle a en revanche été assez en retard en matière de collecte, ses dépôts ne progressant sur cette période que de 37 %, contre 70 % pour la Banque de Tunisie et 97 % pour Attijari. Un tableau modeste qui confirme « un manque général d’agressivité commerciale, avec beaucoup de formalisme et de prudence dans une économie où il y a encore beaucoup de cash », souligne un analyste.
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Redressement ?
« L’UBCI travaille sur une diversification de son portefeuille, avec des activités de banque privée, et voudrait aussi se développer dans le crédit-bail, la gestion d’actifs et le capital-risque, pondère Aymen Ben Zina, analyste chez Attijari Intermédiation. Les apports de la maison mère ont permis un développement sur le terrain. On ne peut pas demander à une banque de renommée internationale de développer des solutions locales juste pour la Tunisie. »
Jusqu’où ira la crise ? Cotée en Bourse, l’UBCI n’a pas trop souffert de ces querelles intestines. Son cours reste très élevé (25 dinars) au regard de ses réalisations. « Pourquoi les actionnaires minoritaires se plaignent-ils ? s’interroge ainsi Kais Kriaa, d’AlphaMena. Si l’UBCI n’était pas détenue par BNP Paribas, sa valeur à la cote serait sans doute divisée par deux.
Elle est surestimée et ils en ont profité. Ils sont aussi plutôt gâtés par les jetons de présence. » Mais Mehdi Ben Ayed se dit inquiet : « Il y a un risque que la banque centrale soit obligée de prendre les choses en main, nomme des dirigeants, impose un plan de redressement et décide de régler la question des conventions. Cela aura une incidence sur la gestion de l’UBCI par BNP Paribas. »
>>>> Lire aussi – Comment la Tunisie a renoué avec les marchés internationaux
Par Stéphanie Wenger, à Tunis, avec Frédéric Maury
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