Comment Avril veut relancer l’arachide sénégalaise

L’huilier français, ex-Sofiprotéol, se rapproche du groupe Advens pour faire naître le nouveau leader du secteur. Et mise sur l’amélioration des semences et sur le marché chinois pour revivifier la filière.

En vingt ans, les volumes triturés ont chuté de 900 000 à 200 000 tonnes. © Vincent Fournier/JA

En vingt ans, les volumes triturés ont chuté de 900 000 à 200 000 tonnes. © Vincent Fournier/JA

Publié le 11 mars 2015 Lecture : 4 minutes.

Le 27 février, au Salon de l’agriculture, à Paris, c’est dans une salle discrète qu’a eu lieu la rencontre. Autour de la table, le groupe huilier français Sofiprotéol (rebaptisé depuis peu Avril), le Cirad, un centre de recherche français spécialisé dans les cultures exotiques, et l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra). Objectif ? Collaborer pour l’amélioration des semences d’arachide au Sénégal.

La principale variété utilisée dans le pays date de 1969. Face aux producteurs des États-Unis ou d’Argentine, « on demande aux paysans sénégalais de courir une compétition mondiale avec un sac de pierres sur le dos », commente Michel Boucly, directeur général adjoint d’Avril.

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Pour lui, « ce partenariat à trois » a pour objectif d’inciter les autorités sénégalaises à « promouvoir la disponibilité des semences certifiées auprès des producteurs et à sélectionner de nouvelles variétés. »

Dette

L’enjeu est majeur pour Avril, qui sera bientôt le numéro un de la filière arachide au Sénégal. Implanté dans le pays depuis 2013, le groupe, propriétaire notamment des huiles Lesieur ou du leader de l’alimentation animale Sanders, a d’abord racheté en association avec Castel le numéro deux de la transformation, Novasen, à travers le holding Copéol.

Senegal Suneor JA2826p071 infoEt, le 13 février, il a signé avec le groupe Advens, propriétaire de l’huilier numéro un du Sénégal, Suneor, un protocole d’accord permettant la naissance d’un nouveau leader de l’arachide.

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Baptisée Suneol, selon nos informations, la nouvelle entité sera le fruit du rapprochement des actifs de l’ex-Novasen et des activités de trituration (broyage) de Suneor, avec une capacité totale de 300 000 à 400 000 tonnes par an. Au sein de cette nouvelle coentreprise, Advens apportera deux de ses cinq sites (Kaolack et Ziguinchor) pour une valorisation de 14 milliards de F CFA (21,3 millions d’euros).

Environ 3 milliards de F CFA seront payés à Suneor, qui pourra ainsi alléger sa dette et redresser ses activités de raffinage d’huiles importées. Le reste est réglé en actions, via l’attribution à Advens d’un tiers du capital de Suneol, les deux autres tiers étant entre les mains de Copéol, qui décroche la gestion de Suneol.

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Potentiel

Réuni le 27 février, le conseil d’administration de Suneor, dont l’État sénégalais est actionnaire, a décidé de reporter de quelques semaines sa décision, le temps d’étudier le projet. Mais il y a peu de raisons pour que les autorités le retoquent. Issu du monde agricole français, dont il a réussi à structurer la filière oléagineuse, Avril (7 milliards d’euros de revenus en 2013) entend travailler de « l’amont à l’aval de la filière » pour dynamiser la production d’arachide, aujourd’hui estimée à 600 000 t, afin de tripler les volumes triturés.

En vingt ans, ceux-ci se sont effondrés, passant de 900 000 à 200 000 t, en raison de l’augmentation des exportations d’arachides brutes et de la consommation vivrière. Résultat, les usines ont tourné au ralenti. « Cette industrie a été très touchée, note Michel Boucly. Mais il y a du potentiel. L’intérêt du Sénégal, c’est qu’il ne doit pas développer une filière de A à Z, les paysans maîtrisent cette culture. »

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Le travail sur les semences passera par une première phase de « deux ou trois ans » avec l’amélioration des meilleures variétés utilisées au Sénégal. À plus long terme, l’Isra tentera de développer des séries mieux adaptées à l’environnement dans un contexte de « manque d’eau dans le bassin arachidier », comme le rappelle Denis Depommier, chargé du bureau du Cirad à Dakar. Une démarche cohérente pour Avril, véritable « architecte de filière ».

En France, le groupe travaille avec un institut de recherche sur le colza et le tournesol. Dans l’huile de palme, il a investi dans Palmelit, leader mondial des semences. En matière de commercialisation, la stratégie n’est guère différente de celle qu’avait tentée Advens avec Suneor. Le nouveau leader de l’arachide devrait viser en priorité les Chinois, qui consomment la moitié de l’huile d’arachide au monde. « Ils l’apprécient pour son goût de cacahuète mais ne peuvent pas en produire plus », explique Michel Boucly.

Selon Avril, la consommation chinoise pourrait croître de 30 % entre 2015 et 2020. Toutefois, la crainte est que Pékin vienne, comme il l’a fait il y a quelques années, acheter directement les graines non triturées au Sénégal, plombant les usines de transformation. « Ils vont essayer de rafler soit les terres, soit les graines sénégalaises », reconnaît Michel Boucly, qui appelle « les autorités sénégalaises à adopter des taxes sur les produits bruts exportés. »

Palme

Avec ce programme dans l’arachide, Avril donne un coup d’accélérateur à sa stratégie de diversification dans la production d’huiles. Le groupe est déjà acheteur et transformateur de tournesol, de colza et d’olives en Europe ou en Afrique du Nord, et il s’intéresse aussi à la transformation d’huile de palme en Côte d’Ivoire.

L’huilier, qui opère aussi dans l’alimentation animale au Sénégal, en profite pour renforcer son approvisionnement en tourteaux d’arachide, un sous-produit très nutritif obtenu après l’extraction de l’huile. De quoi imaginer d’autres développements dans un domaine qui devrait aussi exploser en Afrique de l’Ouest, avec l’augmentation de la consommation de viande et de lait.

Ennemis d’hier

Il y a dix ans, Advens soufflait à Avril la privatisation de la Sonacos (devenue Suneor). Et, en 2008, il le doublait dans le cadre de la cession de la société cotonnière française Dagris (désormais Geocoton), présente dans une dizaine de pays en Afrique. Le géant français nourrissait alors mépris et méfiance envers son rival mais « n’avait pas de véritable ambition africaine », selon un proche du dossier. Les deux « ennemis » se sont finalement rapprochés lors de la cession du siège parisien de Dagris à Avril.

En discussion autour des actifs de Suneor depuis deux ou trois ans, Advens et Avril (sous la houlette d’Yves Delaine, directeur général adjoint chargé du pôle végétal) ont trouvé un terrain d’entente. Il leur reste à travailler ensemble.

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