Que cherche Jean-Louis Borloo en Afrique ?
Retiré de la politique active, l’ancien ministre de l’Écologie de Nicolas Sarkozy lance un « plan Marshall » censé aboutir à l’électrification de tout le continent. Mais il se montre fort évasif sur les soutiens politiques dont il dispose. Et sur le financement – 200 milliards d’euros au total – de sa future agence.
Oublié la maladie qui lui a fait renoncer à ses mandats électifs il y a un an ! Jean-Louis Borloo, 63 ans, pète la forme. Il rentre d’Athènes, où il a conseillé le gouvernement d’Alexis Tsipras, à sa demande, sur la façon de se rabibocher avec Bruxelles. Le 3 mars, à l’hôtel de Marigny, dans le cadre d’un « plan com » de grande envergure, il a présenté son mégaprojet d’électrification de toute l’Afrique, en présence d’un invité surprise, le président François Hollande.
Mais ne parlez pas de politique à Jean-Louis Borloo. C’est fini, il n’acceptera plus, jure-t-il, de poste gouvernemental, lui qui en a déjà occupé cinq, et qui, en octobre 2010, faillit être nommé Premier ministre. Ne lui demandez pas non plus la liste de ses alliés ni dans quelles poches il entend trouver l’argent pour financer son « plan Marshall ». Il botte en touche et élude ces questions qu’il affecte de juger subalternes – ce qu’on peut sans doute regretter. À l’en croire, il ambitionne simplement de mettre le génie « fédérateur » qui lui permit jadis de redorer le blason de la ville de Valenciennes ou de réussir le « Grenelle de l’environnement » au service du continent africain et de son milliard d’habitants, qui, face à Gibraltar, continue de vivre « dans le noir ».
Propos recueillis par Marion Douet et Alain Faujas
Jeune Afrique : Pourquoi cette passion africaine ? Et pourquoi l’électricité ?
Jean-Louis Borloo : C’est un cheminement personnel. J’ai dans le passé travaillé sur la déforestation, sur la forêt du bassin du Congo, sur la « barrière verte » au Sénégal et sur le lac Tchad. Devant ces menaces, je m’étais dit : « Ce n’est pas possible, l’enjeu environnemental mondial, désormais, c’est l’Afrique. » Et puis, en 2009, nous avons longuement parlé du déficit électrique du continent avec Meles Zenawi, le Premier ministre éthiopien aujourd’hui décédé, et avec Denis Sassou Nguesso, le président congolais. En fait, ce projet devrait s’appeler Zenawi-Borloo.
J’ai aussi rencontré le président centrafricain François Bozizé, qui m’a impressionné en me racontant que la 2e division blindée du général Leclerc, qui libéra la France en 1945, était surtout composée de ses compatriotes, mais que seulement 3 % de ceux-ci avaient de la lumière et que cette proportion misérable ne changerait pas avant longtemps.
L’énergie est un préalable à tout développement, martèle Jean-Louis Borloo.
L’énergie est un préalable à tout développement. Oui, l’Afrique connaît une croissance rapide de 5 % par an, mais pas toute l’Afrique. Le développement par l’électrification n’est certes pas une idée nouvelle, mais celle-ci ne se concrétise pas. On a fait à ce continent des tas de promesses pour l’aider à s’équiper en centrales et en réseaux, et on ne les a pas tenues. Maintenant, on veut qu’il se finance par des prêts, selon des règles du marché conformes à la folie libérale actuelle, alors que le développement de l’énergie électrique dans nos vieilles nations occidentales n’a jamais eu lieu de cette façon.
Pour que les enfants puissent faire leurs devoirs le soir, pour que les femmes cessent d’accoucher dans le noir, pour que les médicaments puissent être conservés dans des frigos et pour que les usines puissent tourner sans coupures de courant incessantes, il faut un « plan Marshall » comparable à celui que les Américains mirent en place pour reconstruire l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.
Tous les gens que je rencontre sont pour. Car ce continent comptera 2 milliards d’habitants en 2050. Soit la Chine à 14 km de Gibraltar et de l’Europe. C’est un événement planétaire ! Et n’oublions pas que si, grâce à l’électricité, ces pays passent de 5 % à 15 % de croissance par an, cela accroîtra la nôtre de 3 %. L’Afrique, c’est aussi notre avenir.
>>>> Dossier électricité : le paradoxe africain
Est-ce que votre projet d’Agence pour l’électrification de l’Afrique ne doublonne pas avec des institutions existantes ?
Aucun des trente-trois chefs d’État que j’ai rencontrés depuis des mois à Rome, à Paris, à Abidjan, à Addis-Abeba ou à Dakar ne m’a dit : « Je vais me débrouiller tout seul ! » D’ailleurs, il ne s’agit pas d’un « machin » de plus, mais d’un outil, d’un réceptacle unique des initiatives existantes. Il sera géré par et pour les Africains.
Pensez-vous que François Hollande soutient votre projet pour assurer la réussite du sommet de Paris sur le climat, à la fin de l’année ?
C’est sûr que, grâce à ça, le sommet de Paris se passera cent fois mieux. Mais il n’y a pas que le président, tout le monde est d’accord : les chefs d’entreprise et le Medef, les syndicats, la Caisse des dépôts, les partis politiques, la maire de Paris, le président de la Commission européenne [Jean-Claude Juncker], l’ONU… Et de plus, le montant des aides est très faible : de l’ordre de 5 milliards d’euros par an, pendant dix ans.
Nicolas Sarkozy, qui y est très bien introduit, vous aide-t-il à trouver des fonds dans les pays du Golfe ?
Pour quoi faire ? J’ai moi-même rencontré plusieurs fois des représentants de ces pays. Ils comprennent notre projet et m’ont rappelé qu’ils sont les premiers touchés par l’immigration africaine sauvage. Eux aussi ont intérêt à ce que l’Afrique ait de la lumière.
Qu’est-ce que je fais là, sinon de la politique ? La politique, c’est aider les gens à s’extirper des déterminismes qui leur nuisent, non ?
Certains disent qu’il existe trop peu de bons projets d’équipement électrique en Afrique…
Ce n’est pas vrai. Il n’est pas sorcier d’électrifier l’Afrique, qui sera le premier continent à produire de l’énergie renouvelable là où elle sera le moins cher à produire : solaire au Sahel, barrages hydroélectriques dans le bassin du Congo, géothermie dans la faille du Kenya, éolien sur les plateaux éthiopiens… L’Agence mettra des fonds dans la construction du futur barrage d’Inga, en RD Congo, et celui-ci pourra démarrer dix-huit mois plus tard, alors que, sans elle, on y serait encore dans dix ans, avec des milliards de dollars de dépenses supplémentaires : commissions d’ingénierie et études diverses !
Vous interdisez-vous d’investir dans les énergies fossiles ?
Mais celles-ci n’ont aucun problème pour se financer toutes seules ! Mais je ne veux pas entrer dans une guerre des énergies. S’il existe ici ou là un grave problème de pauvreté, il faudra bien se tourner vers une énergie fossile.
Qui dirigera l’Agence ?
Vous essayez de me faire dire que ce sera Donald Kaberuka, qui quittera la présidence de la Banque africaine de développement dans quelques mois. Nous n’avons jamais évoqué ce sujet, même si son équipe et lui sont convaincus par le projet. De toute façon, ce sont les dirigeants africains qui choisiront leur candidat.
Pourquoi êtes-vous réticent à donner des détails concernant votre projet ?
Vous me cassez les pieds. Je tiens à mon « bébé », qui est fédératif. Si j’ouvre ma gueule, je perdrai en crédibilité. Je sais qu’il va y avoir des problèmes. Les choses ne sont pas simples entre la Tanzanie et le Kenya. Ni entre le Sénégalais Macky Sall et l’Ivoirien Alassane Ouattara. Il y en aura forcément un qui va me dire : « Je ne viens pas à ta réunion parce qu’Untel y sera. » Je vais être obligé de le convaincre de venir pour l’Afrique. Alors, inutile de s’attirer des ennuis supplémentaires par des déclarations intempestives !
Reviendrez-vous jamais en politique ?
Qu’est-ce que je fais là, sinon de la politique ? La politique, c’est aider les gens à s’extirper des déterminismes qui leur nuisent, non ? Et si nous ne faisons rien, 10 millions d’Africains supplémentaires seront chaque année privés de lumière.
Le plan Boorloo pour l’électrification de l’Afrique, un projet en clair-obscur
Jean-Louis Borloo est doué pour convaincre, séduire et aimanter autour de lui fidèles et personnalités publiques.
L’ancien avocat d’affaires n’a pas failli à sa réputation en présentant le 3 mars son plan pour l’Afrique sous les ors de l’hôtel de Marigny. Et lorsque les questions sur son projet se font plus précises, il se montre fidèle à son image un peu brouillonne : il esquive ou balaie la question d’une formule définitive. Quels projets, où et comment ? « Les Africains décideront. »
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